Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : décryptage des 12 principaux points du texte

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : décryptage des 12 principaux points du texte

Système universel par points, âge pivot, fin des régimes spéciaux… certaines mesures étaient déjà connues, d’autres sont des arbitrages rendus peu avant l’intervention du premier ministre.

Par Bertrand Bissuel , Raphaëlle Besse Desmoulières et Aurélie Blondel •

Publié le 12 Décembre 2019

Système universel par points, « âge d’équilibre », fin progressive des régimes spéciaux… Devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le premier ministre, Edouard Philippe, a présenté, mercredi 11 décembre, les grandes orientations de la réforme des retraites, au septième jour d’une mobilisation très suivie, notamment à la SNCF et à la RATP.

Certaines mesures étaient déjà connues, préconisées dans le rapport du haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, d’autres correspondent à des arbitrages rendus peu avant l’intervention du premier ministre. Décryptage des principales mesures.

« Le premier principe, c’est l’universalité »

Les 42 régimes existants vont, à terme, être fondus en un seul – ce qui signifie, au passage, la fin des régimes spéciaux. Les mêmes règles (à quelques exceptions près) s’appliqueront à tous les actifs, quels que soient leur statut ou profession : salarié du privé, fonctionnaire, avocat, médecin, agriculteur, élu… C’est la traduction du slogan de campagne d’Emmanuel Macron, durant la présidentielle de 2017 : « Un euro cotisé donnera les mêmes droits à tout le monde. » L’objectif ? « Redonner confiance dans un système qui ne doit plus être soupçonné de privilégier certains aux dépens des autres », a expliqué M. Philippe, mercredi.

« Les Français auront le même niveau de cotisation sur la totalité des revenus jusqu’à 120 000 euros »

Pour acquérir des droits, les personnes (à l’exception de certains travailleurs non salariés) cotiseront sur la base de 120 000 euros brut annuels, soit trois fois le plafond actuel du régime de base de la Sécurité sociale. Une somme qui englobe les revenus de plus de 90 % des actifs. Mais elle est trois fois moindre qu’aujourd’hui pour le régime général du privé. C’est une des raisons qui fonde l’opposition de la CFE-CGC à cette réforme. La centrale des cadres craint que cela n’ouvre la porte à la capitalisation pour les très hauts revenus qui, s’ils veulent maintenir leur niveau de pension, devront souscrire à des produits d’épargne retraite (en cotisant sur les ressources situées au-dessus de 120 000 euros). C’est autant de cotisations salariales et patronales de moins pour le futur régime, mais aussi moins de droits à servir.

« La loi donnera des garanties incontestables sur la valeur du point, pour garantir le niveau des retraites »

Le futur système fonctionnera en points et non plus avec des trimestres validés, cette unité de compte ayant pour inconvénient de ne créer aucun droit si la personne n’a pas travaillé durant une durée minimale (ce qui pénalise les abonnés aux contrats précaires). Chaque heure cotisée engendrera des points, donc des droits à pension. Ce capital sera porté dans un compte propre à chaque assuré – un peu comme dans le régime complémentaire du privé Agirc-Arrco. Les points accumulés durant la vie professionnelle seront convertis en euros, sur la base d’une « valeur de service » : celle-ci progressera tous les ans au même rythme que le salaire moyen de l’ensemble des actifs, ce qui est plus favorable que le mécanisme actuel, calé sur l’inflation. Le gouvernement a promis qu’une « règle d’or » serait édictée, stipulant que cette valeur ne baissera pas. Elle sera fixée par une instance de pilotage dans laquelle les organisations d’employeurs et de salariés joueront un rôle important, d’après le gouvernement.

« Nous garantirons une pension minimale de 1 000 euros net par mois pour une carrière complète au smic »

Dans le cadre du système universel, une même pension minimale serait instaurée pour toutes les personnes à carrière complète ayant toujours cotisé sur la base de faibles revenus, peu importe leur statut professionnel. Son montant serait égal à 85 % du smic net. Les conditions du dispositif demeurent toutefois quelque peu floues. Faudra-t-il attendre d’avoir « l’âge d’équilibre », soit peut-être 64 ans en 2027, pour en bénéficier, comme le préconisait le rapport Delevoye ? Ce n’est pas tranché, répond-on dans l’entourage du haut-commissaire.

En attendant, le gouvernement promet de revaloriser dès 2022 les minima de pensions qui existent d’ores et déjà pour les assurés bénéficiant d’une retraite à taux plein au régime général, ainsi qu’aux régimes des indépendants et des agriculteurs, afin de faire en sorte que, dès cette année-là, « une personne ayant fait toute sa carrière au smic [perçoive] 1 000 euros net de retraite ».

« Des points supplémentaires pour chaque enfant, et ce dès le premier enfant et non à partir du 3e comme aujourd’hui »

Le gouvernement entend accorder un bonus de pension de 5 % par enfant, dès le premier, par défaut à la mère. Le couple pourrait toutefois décider de l’attribuer au père, ou de se le partager. Les familles avec trois enfants ou plus bénéficieraient de 2 % supplémentaires. Un enfant donnerait donc droit à 5 %, deux enfants à 10 %, trois à 17 %, quatre à 22 %. Un dispositif très différent des règles actuelles. Si une majoration de pension, souvent égale à 10 %, existe déjà aujourd’hui pour les parents dans nombre de régimes, elle ne concerne en effet que les familles avec au moins trois enfants et est versée au père et à la mère. Des droits à la retraite sont attribués dès le premier enfant, mais sous forme de trimestres.

Par ailleurs, les réversions, que touchent les veufs et veuves dans un couple marié, sont, elles aussi, sur le point de voir leur calcul harmonisé. L’idée : que le conjoint survivant perçoive au moins 70 % des pensions totales du couple, afin de maintenir son niveau de vie. Exemple : Dany touche 2 000 euros de pension, Camille 1 200 euros. Si Dany meurt, Camille aura 2 240 euros de retraite totale (70 % de 3 200 euros) – sa pension de 1 200 euros et 1 040 euros de réversion.

Enfin, les divorcés ne seraient plus éligibles à la réversion et l’âge minimal serait 62 ans. Aujourd’hui, le dispositif, le plus souvent accessible à partir de 55 ans, est bien plus complexe : une fraction (50 % à 60 %, selon les régimes) de chaque pension du conjoint décédé est accordée au survivant, en plus de sa pension personnelle. Elle est versée seulement aux plus modestes dans certains régimes, mais sans condition de ressources dans d’autres.

« La gouvernance du système sera confiée aux partenaires sociaux, sous la supervision du Parlement »

Aujourd’hui, les différents régimes sont pilotés de façon très diverse. Certains par les partenaires sociaux, d’autres par l’Etat, d’autres encore avec des modèles plus mixtes. Cela résulte de leur histoire et varie selon les professions et le statut des assurés : salariés du privé, fonctionnaires d’Etat, territoriaux, hospitaliers, professions libérales, salariés de grandes entreprises publiques… Ce qui explique que certains relèvent des lois de financement de la Sécurité sociale alors que d’autres sont gérés par les partenaires sociaux sans intervention du Parlement. C’est le cas par exemple de la complémentaire du privé, l’Agirc-Arrco, où les organisations patronales et de salariés représentatives ont la main.

M. Philippe a souhaité que la nouvelle gouvernance du futur système soit mise en place dès l’adoption de la loi, au cours de l’année 2020, au plus tard le 1er janvier 2021. Une caisse de retraite universelle sera donc créée et son conseil d’administration sera constitué, de manière paritaire, de représentants des employeurs et des salariés des secteurs privé et public ainsi que de représentants des travailleurs indépendants. C’est lui qui fixera chaque année les évolutions des paramètres du nouveau système comme la valeur d’achat et de service du point, « l’âge d’équilibre », le taux de cotisation… Les décisions du conseil d’administration devront respecter la trajectoire financière pluriannuelle fixée par le Parlement. Certains resteront cependant à la main de l’Etat, comme l’âge légal de départ en retraite.

« Travailler progressivement un peu plus longtemps »

Aujourd’hui, la règle de droit commun prévoit que les assurés peuvent réclamer le versement de leur pension à partir de 62 ans – avec des exceptions (carrières longues, régimes spéciaux, etc.). Pour que sa pension atteigne le taux plein, la personne doit avoir payé des cotisations pendant un certain nombre de trimestres. Si cette condition n’est pas remplie, la pension est diminuée (décote ou malus) – ce qui peut être évité si l’intéressé reste en activité jusqu’à 67 ans : environ 20 % des femmes attendent d’avoir atteint cet âge (dit d’annulation de la décote) afin de liquider leur retraite sans que celle-ci soit amputée.

A l’avenir, les personnes pourront continuer à partir à la retraite à 62 ans. Mais le gouvernement souhaite inciter les individus à rester en emploi au-delà, de manière à ce que le système ne soit pas en situation déficitaire. C’est pourquoi il veut créer un « âge d’équilibre » – supérieur à 62 ans –, assorti d’un bonus-malus : si la personne liquide sa pension avant cette borne d’âge, elle se voit appliquer une décote (et une surcote dans le cas inverse). Sur le papier, l’âge d’équilibre en question sera fixé par le futur organe de gouvernance du dispositif dans lequel siègent les partenaires sociaux.

Mais les syndicats considèrent que, dans les faits, le dispositif présenté mercredi les oblige à suivre une feuille de route très précise, le souhait du gouvernement étant de porter, peu à peu, ce nouveau paramètre à 64 ans en 2027. Pour y parvenir, « l’âge d’équilibre » rentrerait en vigueur en 2022 et augmenterait progressivement. Les premières personnes concernées seraient celles nées en 1960 : elles devraient travailler jusqu’à 62 ans et quatre mois, si elles ne veulent pas essuyer un malus. Parallèlement, l’âge d’annulation de la décote actuellement en vigueur (67 ans, donc) sera supprimé, à terme.

« Nous allons étendre et améliorer la prise en compte de la pénibilité selon des critères qui seront les mêmes pour tous »

Le compte professionnel de prévention (C2P) sera ouvert aux fonctionnaires et aux salariés des régimes spéciaux. Ce dispositif est aujourd’hui réservé aux salariés du privé exposés à des conditions de travail éprouvantes. Il permet d’accumuler des points qui financent des formations, un passage à temps partiel sans baisse de la rémunération, ou de partir deux ans plus tôt à la retraite. A l’origine, ce mécanisme comprenait dix facteurs de pénibilité, mais il a été fortement remanié en juillet 2017 par le gouvernement, qui a retiré quatre critères. Ne restent plus que : travail de nuit, tâches répétitives ou « en équipes successives alternantes », activité en milieu hyperbare, exposition à des températures extrêmes, environnement bruyant. Contrairement à la demande de la CFDT, les quatre critères supprimés ne seront pas réintroduits. Mais les seuils relatifs au travail de nuit seront abaissés. « Cela permettra à près d’un quart des aides-soignantes à l’hôpital de partir plus tôt », a souligné le premier ministre.

Par ailleurs, M. Philippe a souhaité rassurer ceux qui sont exposés à des fonctions dangereuses dans le cadre de missions régaliennes, comme les pompiers, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison et les militaires. Ces derniers, a-t-il précisé, « conserveront le bénéfice des dérogations d’âge » qui leur permettent de liquider leurs droits de façon anticipée et « les gains représentés par les bonifications de durée » seront préservés.

Partir « ni trop vite ni trop tard »

Les nouvelles dispositions sur le calcul des pensions s’appliqueront en 2025 aux personnes ayant moins de 50 ans fin 2024, c’est-à-dire nées à partir de 1975. Les droits accumulés avant 2025 seront garantis à 100 % en vertu des règles actuelles, tandis que ceux constitués après 2025 seront convertis selon les principes du système universel. La transition est différente pour les fonctionnaires exerçant des métiers pénibles ou dangereux (agents hospitaliers, policiers) et les salariés des régimes spéciaux, qui peuvent liquider leur pension plus tôt que les autres actifs : la première génération concernée sera 1980 pour ceux qui peuvent partir à 57 ans et 1985 pour ceux qui ont la faculté de liquider leur pension dès 52 ans. Quand aux jeunes, ils intégreront le régime beaucoup plus tôt : dès 2022 pour ceux qui sont nés à partir de 2004.

« Des engagements fermes vis-à-vis des enseignants »

Le gouvernement en est conscient depuis longtemps : si la réforme leur est appliquée de façon mécanique, les professeurs en seront les grands perdants. Avec la fin du calcul de la pension sur les six derniers mois de traitement, ces derniers verraient le niveau de leur pension baisser de façon importante. La prise en compte des primes, censée compenser ce nouveau mode de calcul, ne leur est en effet pas d’un grand secours : ils n’en ont que très peu. C’est pourquoi le chef du gouvernement veut inscrire dans la loi « la garantie selon laquelle le niveau des retraites des enseignants sera sanctuarisé ». Il a également promis d’engager « des revalorisations » progressives – sans préciser sous quelle forme – à partir de 2021. Si l’accent sera mis « sur les débuts de carrière », les autres ne seront pas oubliés, a-t-il assuré. Son ambition : « Véritablement repenser le métier d’enseignant. »

« Des transitions spécifiques pour les travailleurs indépendants, les artisans, les commerçants et les professions libérales »

Des règles communes s’appliqueront à tous les actifs en matière de cotisations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce mouvement de convergence s’effectuera de manière progressive pour les non-salariés. Le but est de ne pas les mettre en difficulté, car une large partie d’entre eux sont assujettis à des niveaux de prélèvements plus faibles que celui qui est envisagé (28,12 %) : pour eux, ce taux-là sera imposé jusqu’à 40 000 euros de revenus, avant d’être ramené à 12,94 % pour les gains compris entre 40 000 et 120 000 euros. En outre, les cotisations hors assurance vieillesse (par exemple la CSG) seront assises sur une masse de revenus (assiette) plus réduite, de manière à diminuer leur poids et contrebalancer ainsi l’accroissement des prélèvements pour les retraites. L’exécutif souhaite ainsi que les professions concernées ne soient pas écrasées sous un surcroît de charges.

Parmi les non-salariés, les libéraux forment un sous-groupe singulier, du fait de la multiplicité des situations rencontrées (montants de cotisations supérieurs à 28,12 % dans certains cas, inférieurs dans d’autres, etc.). Les changements à venir doivent encore être discutés par l’exécutif et les professions touchées.

« Un mot au sujet du calendrier »

Le projet de loi relatif à la création du futur système devrait être présenté en conseil des ministres le 22 janvier 2020. L’Assemblée nationale l’examinera à partir de la fin février, si tout se déroule comme prévu, l’objectif étant que le texte soit définitivement adopté d’ici à l’été. Celui-ci ne contiendra pas l’intégralité des nouvelles règles : diverses mesures seront renvoyées à des décrets et à des ordonnances, notamment au sujet des périodes de transition et des convergences. Avant le passage au Parlement du projet de loi, le pouvoir en place a l’intention de diffuser des « outils pédagogiques », de manière à illustrer l’impact de la réforme, à travers des cas types.