Le chômage

Libération - Chômage : « Intensifier les contrôles accroît les inégalités face au retour à l’emploi »

Novembre 2021, par Info santé sécu social

Interview

Comptage des chômeurs et des offres d’emploi, répression accrue des demandeurs… Alors qu’Emmanuel Macron a encore durci le ton dans son allocution, mardi, le sociologue Didier Demazière alerte sur les effets contre-productifs des opérations de contrôles trop standardisées.

publié le 11 novembre 2021 à 15h25

« Les demandeurs d’emploi qui ne démontrent pas une recherche active verront leurs allocations suspendues. » Dans son intervention mardi soir, Emmanuel Macron a remis sur le tapis la question du contrôle des chômeurs, accusés à demi-mot de se complaire dans leur situation, alors que le chômage baisse et que les pénuries de main-d’œuvre se font ressentir dans plusieurs secteurs. Didier Demazière, directeur du master Sociologie et pratiques managériales de Sciences-Po Paris et directeur de recherche au CNRS, étudie notamment la question du chômage. Le sociologue revient sur les questions du contrôle, du comptage des chômeurs et des offres d’emploi alors qu’un nouveau volet de la réforme de l’assurance chômage vient d’être mis en place.

Renforcer le contrôle des chômeurs est-il une solution pour qu’ils trouvent du travail ?

Historiquement, la thématique du contrôle est à peu près absente dans les moments de dégradation de la conjoncture et d’augmentation du chômage mais elle ressort dès qu’il y a une reprise de l’emploi. Cette thématique est liée à une croyance idéologique, en partie adossée à la théorie du « job search », pour laquelle les chômeurs sont en situation d’arbitrer entre les revenus de remplacement qu’ils touchent et les offres d’emploi disponibles. Et selon cette théorie, partagée dans les milieux gouvernementaux actuels, il y aurait une part des chômeurs qui ne serait pas assez active dans la recherche, même si cette part est non chiffrée donc on peut laisser croire qu’il s’agit de la grande majorité des chômeurs.

Avec Marc Zune, vous avez d’ailleurs enquêté sur des chômeurs radiés pour insuffisance de recherche d’emploi en Belgique…

Nous souhaitions notamment répondre à cette question de l’arbitrage entre revenu de remplacement et offres d’emploi. La très grande majorité de ces chômeurs sont à la recherche d’emploi. Mais la plupart d’entre eux, qui ne sont très souvent pas qualifiés, considèrent que préparer et envoyer un CV ou une lettre de motivation n’a aucun sens puisqu’ils n’ont pas de diplômes à faire valoir ou des expériences trop hachées. Ils vont donc directement voir les employeurs pour faire valoir des compétences qui ne sont pas visibles dans des CV écrits, comme le courage, se lever à l’heure… Le problème est que la recherche d’emploi orale et informelle est difficilement reconnue par les services publics de l’emploi, qui veulent des preuves écrites. Intensifier les contrôles a ainsi comme effet d’accroître les inégalités face au retour à l’emploi, puisque les moins diplômés seront les plus sanctionnés. Cela illustre les effets contre-productifs des opérations de contrôles menées aujourd’hui, trop standardisées. Je ne dis pas que le contrôle n’a aucun sens, mais lui comme l’accompagnement devraient partir de la prise en compte des expériences des chômeurs, qui sont hétérogènes.

Que vous inspire le parallèle entre les offres d’emploi non pourvues et le nombre de chômeurs ?

Ce raisonnement se situe dans un marché du travail abstrait, où il y aurait un passage facile entre la demande d’emploi et l’offre d’emploi. Or s’il y a un nombre d’offres non pourvues dans l’Ouest de la France, cela n’a aucun sens de les mettre en balance avec les demandeurs d’emploi qui se trouvent dans l’Est. Tout cela traduit une méconnaissance du fonctionnement du marché du travail, qui n’est pas juste des chiffres, mais des territoires, des entreprises, des secteurs d’activité…

Par ailleurs, les offres d’emploi non pourvues sont une catégorie à manier avec prudence. Parler de 1 million ou de 500 000 offres non pourvues n’a pas de sens. Une offre est non pourvue dans un temps donné car il faut toujours plusieurs semaines pour qu’elle soit satisfaite. Parler en revanche d’offre non pourvue il y a trois mois a déjà plus de sens car cela traduit des difficultés de recrutement. Il faut alors chercher l’explication : des demandeurs pas assez actifs, ce qui justifierait les contrôles, et une autre, très forte mais très rarement évoquée, qui est l’attractivité. Le terme « offre d’emploi » invisibilise le caractère hétérogène de ces offres : ce n’est pas la même chose un temps plein ou un temps partiel, avec horaires réguliers ou non, travail de nuit ou non… Sans parler des rémunérations. Les difficultés de recrutement dans l’hôtellerie-restauration illustrent ce problème.

Le comptage des chômeurs, entre les différentes catégories et les personnes radiées, complique-t-il les réflexions possibles sur ces personnes ?

Le comptage des chômeurs n’a jamais été aussi ardu qu’aujourd’hui, si l’on veut bien sortir des statistiques officielles. Quelqu’un qui est au chômage a deux caractéristiques centrales : il est privé d’emploi, de manière totale ou partielle, et il veut travailler. Mais cette recherche, comme je l’ai expliqué, est difficile à mesurer. Or, cela comprend notamment des personnes qui veulent travailler mais qui sont découragées de rechercher un emploi, car ils le font depuis longtemps, ont subi des échecs et vexations répétées et donc ont surtout comme urgence de survivre. Les chômeurs sont donc distribués dans des statuts sociaux très divers, mais il n’y a pas d’appareil statistique qui permette de rassembler ces statuts.

A court terme, cela va provoquer une dégradation des conditions d’indemnisation, en particulier pour ceux qui travaillaient de manière intermittente. Il y a dans cet aspect de la réforme l’idée que si des chômeurs ont des emplois par intermittence, c’est qu’ils sont des optimisateurs. Et cette mesure s’inscrit totalement, là aussi, dans la théorie du Job Search. Or c’est absurde puisque le système est tellement complexe que même les personnes qui travaillent à la direction statistique de l’Unédic ont du mal à définir des logiques optimisatrices. Et par ailleurs ceux qui sont capables de travailler et d’arrêter quand ils le veulent ne sont pas très nombreux.