Asie

Libération - Coronavirus : la Chine malade de son système de santé

Février 2020, par Info santé sécu social

Par Zhifan Liu, correspondant à Pékin — 4 février 2020

L’épidémie qui frappe le pays depuis décembre met en évidence ses carences dans la prise en charge des patients. Les médecins manquent et le parcours de soins repose essentiellement sur des hôpitaux publics surchargés.

En période de crise, la Chine a les moyens de réagir vite et fort. Pour preuve, les deux nouveaux hôpitaux de fortune construits en un temps record à Wuhan, tandis que le coronavirus a déjà fait au moins 425 morts et contaminé plus de 20 400 personnes sur son sol depuis décembre. Mais l’épidémie met aussi en lumière les failles d’un système de santé qui repose essentiellement sur les hôpitaux publics.

Aux urgences, les patients présents en salle d’attente viennent aussi bien pour une tumeur qu’un simple rhume, faute de cabinets de consultation. Dans les salles d’examen, pas de place pour l’intimité alors que cinq patients peuvent être amenés à attendre ensemble leur diagnostic établi par un même docteur. « Il n’y a pas de véritable suivi médical en Chine, contrairement à d’autres pays où l’on consulte d’abord le médecin de famille, puis un spécialiste, avant de se diriger éventuellement vers un hôpital. Les Chinois, eux, s’orientent naturellement vers les hôpitaux car une partie des soins y est remboursée », explique Meng Wu (1), pédiatre à Tianjin, ville portuaire située à 120 km de Pékin. D’après l’OMS, la Chine compte 1 médecin généraliste pour plus de 6 666 citoyens, contre 1 pour 1 500 à 2 000 à l’échelle internationale. Une statistique qui fait tache sur le CV de la deuxième puissance mondiale.

Médecins débordés
En temps normal, les médecins sont débordés. « Dans le public, on voyait une centaine de patients par jour. Il n’y a pas de rendez-vous, c’est le premier arrivé le premier servi. Et nous, en tant que personnel soignant, on reste tant qu’il y a encore des gens à traiter », poursuit la quinquagénaire. A sa sortie d’école de médecine, Meng a été envoyée dans un hôpital public, comme il était de coutume à une époque où la Chine n’avait pas encore entamé sa réforme économique. Elle y a fait toute sa carrière avant de bifurquer vers le secteur privé « car avec l’âge, le corps ne suit plus ». Depuis, le rythme est bien moins élevé, mais ses services ne sont désormais accessibles qu’aux plus fortunés.

Avec la crise sanitaire, les hôpitaux publics de Wuhan, foyer de l’épidémie, ont été pris d’assaut par toutes les personnes fiévreuses. Devant des établissements saturés, de nombreux patients sont refoulés ou attendent toujours d’être diagnostiqués, faute de lits disponibles et de kits de dépistage. C’est le cas de Lin, atteinte de fièvre, le 21 janvier. Après plusieurs tentatives, elle a trouvé un établissement qui a accepté de l’accueillir, celui où cette ancienne infirmière de 57 ans exerçait avant de prendre sa retraite, raconte sa fille Fang au téléphone. Depuis, Lin est à l’isolement mais ne sait toujours pas si elle est positive au coronavirus. « Après son premier examen, personne n’a été capable de lui expliquer les résultats. A la suite du deuxième, le test était négatif, mais le troisième scanner a montré une infection pulmonaire sans que personne ne soit capable de dire si c’est le coronavirus ou seulement une pneumonie », explique Fang. Les autorités centrales ont promis que les soins des personnes infectées par le virus seraient entièrement pris en charge. Dans l’attente d’un diagnostic définitif, c’est Lin qui règle la facture, dont elle ne connaît pas encore le montant. L’accès même des centres hospitaliers est rendu très difficile à Wuhan, mis en quarantaine depuis le 23 janvier, avec des rues barrées et des transports en commun à l’arrêt.

Pots-de-vin
Si le système de santé chinois couvre une partie des frais hospitaliers, l’argent reste le nœud du problème pour une population dont la méfiance augmente envers le personnel médical, parfois accusé d’accepter des pots-de-vin, dans un système dominé par le guanxi, les relations. « Il existe tout un tas de restrictions dans les hôpitaux, allant du choix des médicaments prescrits à la durée pendant laquelle un malade peut être hospitalisé. Cela peut créer de la frustration chez les patients », fait remarquer Meng.

Ce manque de moyens est matérialisé par des agressions à intervalles réguliers contre des praticiens. Le 21 janvier, quand Pékin recensait ses premiers cas de coronavirus, un médecin était attaqué à l’arme blanche. Un mois plus tôt, une doctoresse de 55 ans était mortellement agressée dans un autre hôpital de la capitale par le fils d’une ancienne patiente. Devant la multiplication de ces agressions sur tout le territoire, une loi visant à punir plus sévèrement les attaques contre les personnels hospitaliers devrait voir le jour en juin, sous l’impulsion de médecins et infirmiers aux abois. Un terme en chinois a même été créé pour qualifier ce phénomène : yinao, que l’on peut traduire par « troubles médicaux ».

(1) Tous les noms ont été changés.

Zhifan Liu correspondant à Pékin