Le droit à la santé et à la vie

Libération - Les candidats de droite et d’extrême droite veulent supprimer le dispositif permettant l’accès aux soins des étrangers sans papiers. Une mesure purement électoraliste

Février 2017, par Info santé sécu social

Par Pierre-Yves Geoffard, Professeur à l’Ecole d’économie de Paris, directeur d’études à l’EHESS.

Les bons comptes de l’aide médicale d’Etat

Restreindre l’accès des étrangers aux droits sociaux est une des propositions centrales du programme de Marine Le Pen, mais cette idée figure aussi dans celui de François Fillon. La rhétorique est connue : les prestations sociales sont si généreuses qu’elles attireraient en France de nombreux migrants, et ceux-ci seraient responsables du déficit persistant de la Sécurité sociale.

Mais cet argumentaire oublie que les étrangers vivant en France travaillent, et paient des impôts et des cotisations sociales. Les études qui ont cherché à effectuer un bilan comptable des prestations sociales perçues et des cotisations versées par les étrangers montrent que ce bilan est à peu près équilibré, voire légèrement positif. Car si les étrangers reçoivent plus de prestations familiales, ils perçoivent moins de retraites, et leur dépense de soins est moindre que la population générale. C’est d’autant plus vrai pour les migrants récents. Car même si la France accueille des migrants bénéficiant d’un niveau d’éducation plus faible que dans les autres pays de l’OCDE, les migrants sont en général actifs et en meilleure santé que la population générale. Ce phénomène, connu par les spécialistes des migrations sous le terme de « healthy migrant effect », n’est pas propre à la France, mais est très éloigné de l’image que certains ou certaine veulent donner des étrangers.

Pourtant, il suffit de changer de perspective, et de se placer du point de vue des migrants eux-mêmes pour le comprendre. Un projet migratoire est souvent l’objet d’une décision collective, prise par une famille, qui décide d’envoyer l’un de ses membres travailler dans un pays où il gagnera mieux sa vie et pourra renvoyer une partie de ses revenus à sa famille restée dans le pays d’origine. Or ce projet est coûteux : les frais de voyage et d’installation sont élevés, encore plus en cas d’entrée clandestine dans le pays de destination car il faut alors payer des passeurs, et l’accès au logement est souvent plus cher pour les personnes ne bénéficiant pas de titre de séjour officiel. C’est pour la famille, qui réunit les fonds nécessaires à un tel projet, un sacrifice, un investissement dont elle attend un certain retour. Pour que cet investissement soit rentable, il faut que celui qui est envoyé à l’étranger puisse travailler, et gagner suffisamment d’argent pour en transférer au pays. Il vaut donc mieux qu’il soit rapidement employable, si possible muni de qualifications lui permettant d’exercer un métier, et surtout en bonne santé.

L’aide médicale d’Etat (AME), dispositif permettant, sous certaines conditions, l’accès aux soins des étrangers sans papiers, est dans le viseur des candidats de droite et d’extrême droite, qui veulent la supprimer. Ces candidats devraient lire les rapports produits par l’administration, et celui relatif à l’AME, réalisé en 2010 par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, qui ne sont pas connues pour être des repaires de gauchistes. Si ce rapport confirme bien que le budget total de l’AME est en constante augmentation, il rappelle surtout que l’AME est un dispositif de financement des hôpitaux et des structures de soins. Que se passe-t-il quand une personne, qu’elle soit française, européenne ou non européenne, se présente à l’hôpital ou dans un service de soins ? Elle est prise en charge et soignée : c’est, en France comme ailleurs, une obligation déontologique, inscrite dans le serment d’Hippocrate. Et ceci quelle que soit la couverture maladie dont bénéficie la personne ayant besoin de soins.

L’hôpital détient alors une créance, correspondant au coût des soins dispensés, sur la personne soignée. Si la personne est couverte par la Sécu ou une autre forme d’assurance, c’est simple : la facture correspondant au coût des soins est réglée par l’assureur. Lorsque la personne ne dispose d’aucune assurance santé, l’hôpital cherche à recouvrer la créance auprès de la personne elle-même. Si celle-ci n’est pas solvable, l’hôpital doit, parfois après de coûteuses démarches de recouvrement entraînant de multiples frais administratifs, abandonner la créance et la passer par pertes et profits. D’une manière ou d’une autre, cette dette sera réglée par les patients solvables, ou tôt ou tard comblée par l’Etat ou la Sécu. Avec ou sans AME, la collectivité finit toujours par payer. Mais en cas d’absence de dispositif formel de type AME, ce jeu de bonneteau entre dispositifs sociaux génère des frais administratifs élevés, en plus du coût des soins eux-mêmes. Supprimer l’AME ne ferait qu’augmenter ces frais administratifs : la démagogie a un coût.

Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Bruno Amable, Anne-Laure Delatte et Ioana Marinescu.
Pierre-Yves Geoffard Professeur à l’Ecole d’économie de Paris, directeur d’études à l’EHESS.