Le chômage

Libération - Les chômeurs dans le viseur de Macron

Novembre 2021, par Info santé sécu social

Lubie

Dans son allocution, mardi, le chef de l’Etat a ressorti le mythe du demandeur d’emploi assisté pour annoncer des contrôles renforcés. Déjà ciblés par la refonte brutale du système d’indemnisations, les plus précaires se retrouvent de nouveau stigmatisés.

par Frantz Durupt
publié le 11 novembre 2021

Aux yeux d’Emmanuel Macron, il n’y a toujours qu’à « traverser la rue » pour trouver du travail. Et s’il reste du chômage après tous les efforts gouvernementaux pour ramener son taux à 7,6 % au troisième trimestre (selon l’Insee), la faute en revient désormais aux chômeurs eux-mêmes. Il l’a dit – sans le dire – mardi lors de son allocution télévisée, au cours d’un long passage plaçant le « travail » au centre de sa politique économique. « Notre économie crée des emplois comme jamais », a expliqué le chef de l’Etat, s’appuyant sur les près de 500 000 créations d’emplois nettes recensées depuis le début de l’année. « Au point, a-t-il ajouté, que, dans des secteurs comme la restauration, le BTP, les services, l’artisanat ou l’industrie, tous les entrepreneurs me disent peiner à recruter aujourd’hui. » Et de délivrer son diagnostic : « Au moment où 3 millions de nos compatriotes se trouvent encore au chômage, cette situation heurte le bon sens. »

Le chef de l’Etat devrait lire les études de la Dares, la direction des recherches du ministère du Travail. Il y a un an, celle-ci expliquait bien que les tensions de recrutement, structurelles dans les secteurs qu’il a cités s’expliquent plutôt par des rémunérations trop faibles ou des conditions de travail trop difficiles. Qu’importe : pour Emmanuel Macron, le « bon sens » triomphera autrement qu’en revalorisant les salaires, puisqu’en la matière, il estime que tout a déjà été fait. Grâce aux primes et aux défiscalisations du gouvernement, « c’est au minimum 170 euros de pouvoir d’achat par mois en plus pour les bas salaires », a-t-il vanté. Sous réserve qu’un smicard à temps plein réunisse les conditions pour toucher ces 170 euros, il se retrouverait avec 1 430 euros net par mois.

Renforcement des contrôles

Prenant des airs martiaux, le président de la République a préféré s’en prendre aux chômeurs. « Pôle Emploi passera en revue les centaines de milliers d’offres d’emploi disponibles sans réponse dès les prochaines semaines », a-t-il prévenu. Et menacé : « Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues. » Comme si la réforme de l’assurance chômage, que l’exécutif a finalement imposée cet automne envers et contre toutes les contestations syndicales, n’était pas déjà assez brutale. Comme si, surtout, les demandeurs d’emploi ne pouvaient pas déjà faire l’objet de contrôles et de sanctions.

Car sous sa fermeté apparente, l’annonce d’Emmanuel Macron n’en est pas une. Pôle Emploi a généralisé depuis 2015 des contrôles censés permettre de débusquer les chômeurs qui ne rechercheraient pas assez « activement » un emploi. Assurant le service après-vente de l’allocution présidentielle mercredi matin sur RTL, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a indiqué que l’agence en avait réalisé près de 400 000 en 2019, et que la nouveauté résidait dans le fait qu’il y en aurait 250 000 au cours des six prochains mois, « donc une augmentation de 25 %, plus spécifiquement sur les secteurs en tension ». Pôle Emploi indique que ces contrôles se feront à effectifs constants, avec les 600 conseillers dont c’était déjà la tâche exclusive. Pour tenir l’objectif, « on regarde comment faire évoluer la procédure de contrôle pour la simplifier », précise l’établissement public.

« Les moins qualifiés sont plus sanctionnés »
Le processus de contrôle, qui peut s’étaler sur plusieurs semaines, est souvent mal vécu par les demandeurs d’emploi. Fournir les justificatifs prouvant que l’on recherche activement un travail peut être long et fastidieux, et n’est pas toujours couronné de succès. « Dans les faits, ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui sont le plus sanctionnés, contrairement aux plus diplômés, qui sont plus armés pour discuter avec Pôle Emploi et pour garder une trace de ce qu’ils font », explique Jean-Paul Domergue, de l’association Solidarités nouvelles face au chômage.

Selon Pôle Emploi, 15 % des contrôles donnent lieu à une sanction. Les punitions s’échelonnent d’un à quatre mois successifs de radiation en cas d’« incapacité à justifier ses recherches d’emploi ». Pour les demandeurs d’emploi concernés, cela peut se traduire par une suppression des indemnités chômage le temps de la radiation, et donc une perte définitive de droits. Mais la direction de Pôle Emploi assure que l’objet de ces contrôles n’est pas d’aboutir à des radiations : « Le contrôle est là pour remobiliser le demandeur d’emploi. Pour 51 % des contrôles, il s’avère que la recherche est bien active, et 22 % donnent lieu à une remobilisation des demandeurs d’emploi. » Il n’empêche que le durcissement annoncé pourrait avoir des conséquences concrètes sur les chiffres du chômage : chaque trimestre, Pôle Emploi recense près de 45 000 radiations administratives, soit autant de chômeurs comptabilisés « en moins », le temps de purger leur peine.

Cibler prioritairement les travailleurs précaires
Au sein de Pôle Emploi, la sortie présidentielle ne surprend pas. « Ça fait vingt ans qu’on stigmatise les chômeurs en leur faisant porter la responsabilité du chômage pour dédouaner toutes les politiques publiques de l’emploi », souligne Sylvie Espagnolle, déléguée syndicale centrale CGT. « On en a l’habitude un peu avant les échéances électorales, notamment présidentielles. Tout comme d’avoir des opérations d’augmentation des formations pour faire baisser les chiffres. » « C’est une rengaine qui revient régulièrement et c’est vrai que l’opinion accepte ça », abonde Jean-Paul Domergue. Pourtant, rappelle-t-il, une étude menée par Pôle Emploi en 2018 avait mis en lumière qu’une « insuffisance de recherche d’emploi » n’avait pu être constatée que pour 8 % des demandeurs d’emploi indemnisables ciblés par un contrôle.

En la matière, Emmanuel Macron n’innove pas. Il y avait comme de l’écho dans le poste mardi soir. Tandis qu’on croyait écouter l’actuel président de la République, en surimpression s’esquissait le visage d’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy. En campagne pour sa réélection à la présidence de la République, celui-ci avait lancé, en février 2012, l’idée d’organiser un référendum sur les droits des chômeurs. Il s’agissait, disait-il, de créer un « nouveau système dans lequel l’indemnisation ne sera pas une allocation que l’on touche passivement ». L’objectif politique était limpide : faire vivre l’idée que les finances publiques entretiennent généreusement plusieurs millions de personnes qui préfèrent passer leur journée à glandouiller dans leur canapé plutôt qu’à trouver une activité.

Dans les faits, à peine un inscrit à Pôle Emploi sur deux touche une indemnité et, si c’est le cas, c’est tout simplement car il a suffisamment cotisé pour y avoir droit. Peu importe pour le chef de l’Etat, qui compte sur le fait que cette stigmatisation fonctionne toujours, en expliquant également que sa réforme de l’assurance chômage vise à ce que « le travail permette de vivre dignement et paie toujours davantage que l’inactivité ». Un contresens, puisque cette réforme cible prioritairement des travailleurs précaires contraints d’enchaîner les CDD, qui sont donc tout sauf inactifs, et dont les indemnités vont mécaniquement baisser en raison d’un nouveau mode de calcul.

A Pôle Emploi, cette annonce de nouveaux contrôles inquiète au moment où les conseillers vont déjà se retrouver en première ligne pour gérer les conséquences de la réforme, et alors que l’assassinat d’une conseillère de l’agence de Valence, en janvier, est encore dans les esprits. La CGT a lu une déclaration à l’occasion d’un comité central d’entreprise, mercredi. « Pour nous, dit Sylvie Espagnolle, une chasse aux chômeurs a été lancée. » Or, ajoute-t-elle, « le seul moyen de mettre la pression sur les chômeurs, c’est de mettre la pression sur les agents »