Les retraites

Libération - Retraites : un rapport piège pour le gouvernement

Novembre 2019, par Info santé sécu social

Par Lilian Alemagna — 18 novembre 2019

Sollicité par Matignon, le Conseil d’orientation des retraites conclut, dans un rapport sur la situation financière du système, à un important besoin de financement. Et laisse l’exécutif face à ses responsabilités.

C’est la petite réforme des retraites avant le grand soir du régime universel. Celle que le gouvernement prépare avant la grande fusion des 42 régimes existants, promise par Emmanuel Macron : le retour à l’équilibre financier du système actuel avant le basculement, en 2025, dans un unique régime en points.

Pour y arriver, Edouard Philippe avait sollicité, mi-septembre, le Conseil d’orientation des retraites (COR) pour livrer un nouvel état des lieux de « la situation financière de notre système de retraites durant la prochaine décennie ». Dans ce même discours au Conseil économique et social (Cese), le Premier ministre demandait au COR de lui détailler « l’ampleur des mesures qu’il faudrait […] prendre » pour résorber le déficit de l’assurance vieillesse. « Chacun sera donc parfaitement informé, à la fois de la situation à laquelle nous faisons face, et des leviers disponibles pour agir », expliquait Philippe. Où comment tenter de s’appuyer sur une instance qui rassemble les partenaires sociaux pour justifier ensuite des mesures impopulaires.

Récupération
Que dit le document, dont Libération a pu prendre connaissance et qui sera remis officiellement à Matignon jeudi matin ? D’abord que les caisses de retraite auront besoin de 7,9 à 17,2 milliards d’euros si le gouvernement veut les remettre à flot en 2025. L’écart résultant des différents scénarios de croissance annuelle retenus (entre 1 % et 1,8 %) et des « conventions » étudiées (selon les compensations de l’Etat dans les régimes spéciaux et de la fonction publique). Mais, préviennent les membres du COR pour se préserver de toute récupération politique, « le fait que le système de retraites présente un déficit en 2025 n’implique pas nécessairement […] que celui-ci doive être résorbé à cette échéance par des mesures d’économies ». D’ailleurs, puisque c’était la commande d’Edouard Philippe, ce rapport arrête ses prévisions en 2030, contre 2070 dans les anciens rapports. Or, en fonction des perspectives de croissance, un retour à l’équilibre était annoncé pour la fin des années 2050.

Dans ce nouveau document - qui diffère très peu de celui publié en juin -, le COR rappelle que « quel que soit le scénario économique retenu », la part des dépenses de retraite dans le PIB restera autour du niveau de 2018 (13,8 %), soit l’enveloppe choisie pour le futur régime par points. Le COR répète ensuite qu’il n’existe pas de dérapage des dépenses de retraite : « L’évolution de leur part dans le PIB serait maîtrisée tant sur un horizon de dix ans que de cinquante ans. » Les experts attribuent cela aux « réformes entreprises depuis le début des années 90 » et notamment l’indexation sur les prix (et non plus les salaires) dans les régimes de base qui fait - relativement - baisser le niveau des pensions si on les compare aux salaires des actifs. Résultat, si le système accusera plusieurs milliards d’euros de déficit dans cinq à dix ans, c’est avant tout à cause d’un manque de… ressources, que ce soit des cotisants ou des cotisations. La « maîtrise de la dépense publique », qui passe notamment par la baisse du nombre de fonctionnaires pèserait en effet sur l’équilibre.

Partant de ce constat, le COR formule donc, à la demande du Premier ministre, « plusieurs options possibles d’ajustement des paramètres pour atteindre l’équilibre fin 2025 ». Mais, là aussi, avec moult pincettes : le conseil considère en partie qu’il ne lui « appartient pas […] d’exprimer des recommandations sur les voies et moyens » de parvenir à cet équilibre voulu par le gouvernement. Et donc de devenir une caution du gouvernement qui compte intégrer ces mesures d’âge dans le futur projet de loi préparé par le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, et toujours attendu pour le premier semestre 2020.

Quelques-unes retiendront l’attention du gouvernement. L’exécutif ayant écarté l’idée de reporter l’âge légal au-delà de 62 ans, de geler de nouveau les pensions des retraités et d’augmenter les cotisations vieillesse patronales et salariales, il reste deux options en magasin pour Matignon : allonger la durée de cotisation ou créer un « âge minimal du taux plein ». Une nouvelle borne en deça de laquelle on pourrait partir mais avec une pension moindre et qui ressemble fortement à l’âge pivot défendu par Delevoye pour le futur système universel.

« Intégré »
Si le gouvernement choisit d’allonger la durée de cotisation au-delà de ce qu’à prévu la réforme Touraine de 2014, il demandera alors aux générations comprises entre 1959 et 1963, de travailler plus longtemps selon les scénarios et conventions retenus. A titre d’exemple, la génération 1963 qui, jusqu’ici, doit cotiser 42 ans pour bénéficier d’une pension à taux plein, devrait travailler deux à quatre ans de plus pour bénéficier de ce même taux plein. Et si Matignon pioche l’idée d’un « âge minimal du taux plein », elle obligera aussi les salariés et fonctionnaires proches de la retraite à faire quelques mois de rab. Selon les options livrées par le COR, la génération née en 1963 sera toujours autorisée à partir à 62 ans mais devra aller jusqu’à plus de 63 ou 64 ans pour bénéficier du taux plein. Ce qui, de fait, pénaliserait ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui avaient tous leurs trimestres de cotisation pour partir à 62 ans.

« On peut choisir d’allonger un peu la durée d’assurance ou faire un âge pivot, confirme-t-on à Matignon. Ce ne sera pas populaire mais c’est intégré par la population. » Les arbitrages ne seront pas connus avant « la fin de l’année ». Dans les deux cas, il s’agirait de mettre finalement à contribution des générations de futurs retraités qui pensaient être épargnées par un changement de règles si proche de leur pot de départ. De quoi faire plusieurs millions de mécontents. Et de manifestants.

Lilian Alemagna