Les retraites

Marianne - Les professions libérales en grève à leur tour : "Si la réforme des retraites passe, c’est la fin de mon cabinet"

Janvier 2020, par Info santé sécu social

Publié le 03/01/2020

A partir de ce 3 janvier, le collectif SOS Retraites, regroupant seize professions libérales appelle à une "grève glissante" jusqu’au 6 janvier. L’organisation, qui a déjà organisé une journée d’action le 16 septembre, dénonce "la négation par l’exécutif, de l’existence des régimes autonomes" n’ayant "jamais rien coûté aux contribuables".

Et maintenant, même les libéraux s’y mettent. Ce vendredi 3 janvier, le collectif SOS Retraites, qui regroupe seize professions libérales de la santé, du droit, du chiffre et de l’aérien lance une "grève glissante" pour protester contre le projet de réforme des retraites. Kinésithérapeutes, médecins, avocats, pilotes de ligne ou personnels naviguants vont donc se mobiliser successivement jusqu’au 6 janvier. A travers cette action, le collectif entend dénoncer la "négation par l’exécutif, de l’existence des régimes autonomes" qui "n’ont jamais rien coûté aux contribuable".

Comme l’indiquait un communiqué publié le 25 décembre, les kinésithérapeutes sont appelés à cesser leur travail dès le 3 janvier, les infirmiers appelés à refuser de nouveaux soins le même jours. Les médecins sont eux invités à fermer leurs cabinets le 6 janvier. Pour finir, les experts comptables organisent également une "journée du désarroi" ce lundi. Les avocats entameront ce jour-là une semaine de mobilisation. Ce jeudi, 80% des barreaux s’étaient déclarés en grève. Deux syndicats d’Air France appellent également à la grève : le syndicat des pilotes d’Air France (Spaf), mobilisé lundi et mardi, et le syndicat des naviguants Air France (SNGAF) - d’hôtesses et stewards - de lundi à jeudi.

"PAS UN EURO AU CONTRIBUABLE"
Tous répondent à l’appel du collectif SOS Retraites. "Nous avons choisi d’entreprendre une grève glissante afin que chaque profession puisse décider du jour qu’elle juge le plus approprié pour se mobiliser, note auprès de Marianne Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB), devenue porte-parole de SOS Retraites. L’idée est de sensibiliser sur le cas de ces professions qui n’ont pas l’habitude de faire grève et dont le rôle serviciel reste souvent méconnu. Nous représentons près d’un millions d’actifs qui n’ont à ce jour pas été entendus par le gouvernement", poursuit-elle.

Professions médicales, experts comptables, pilotes de ligne… Créé en août, le collectif a déjà manifesté à Paris le 16 septembre, avec un objectif : la survie des "régimes autonomes", c’est-à-dire de la possibilité pour ces professions libérales - ou encore des professionnels de l’aérien - de disposer de leurs propres caisses de retraite. "Ces régimes sont le fruit d’une organisation dans nos professions et n’ont jamais coûté un seul euro aux contribuables", affirme Christiane Féral-Schuhl.

LES "MESSAGES DE DÉTRESSE" DES AVOCATS
Avec cette nouvelle action, SOS Retraites entend rappeler sa volonté "d’être exclu de ce fait de la réforme" afin de sauvegarder ses "régimes de retraite autonomes, vertueux et solidaires". "On veut supprimer des régimes qui sont non-seulement pérennes, mais aussi solidaires, s’indigne la présidente du CNB. Les avocats reversent près de 100 millions d’euros par an au régime général." "Du côté des médecins, ce montant s’élève à pas moins de 200 millions d’euros chaque année", ajoute de son côté Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France.

En priorité, les membres du collectif s’inquiètent de la hausse générale des cotisations que pourrait entraîner la réforme des retraites : "Les propositions actuelles reviendraient à doubler les cotisations de beaucoup de profession, en les passant de 14 à 28%", poursuit Christiane Féral-Schuhl. "Cela va étrangler les petits cabinets libéraux", s’alarme-t-elle. L’avocate met en garde contre "l’image de grande richesse" qui colle à la peau des professions libérales : "On pense souvent au riche avocat d’affaire, au chirurgiens. Mais nos professions sont aussi composées d’infirmiers ou d’avocats qui ne supporteront pas une telle hausse des charges." Plus qu’un simple régime autonome, ces professions jouent aujourd’hui, selon la porte-parole de SOS Retraites, leur survie : "Nous parlons de structures fragiles, souvent des indépendants, qui prennent donc à 100% en charge leurs cotisations. Cette réforme va encore plus les fragiliser. Je reçois aujourd’hui des messages de détresse d’avocats qui m’écrivent : ’Si la réforme des retraites passe, c’est la fin de mon cabinet’.", regrette-t-elle.

HOLD-UP SUR LES RÉSERVES DES COMPLÉMENTAIRES
Chez les médecins, le bilan n’est pas beaucoup plus brillant : "Notre profession a la particularité d’avoir surcotisé depuis des années pour compenser le départ à la retraite passé ou à venir de nombreux médecins, explique le docteur Olivier Petit, chargé du dossier retraite pour la Fédération des médecins de France. Nous allons donc passer de 38% à 28%." Une bonne nouvelle ? Pas sûr : "Dans le même temps, le montant de nos prestations vont-elles aussi baisser de 37,8%. Ce qui signifie que nous devrons payer plus pour avoir la même retraite", décrypte Olivier Petit.

Mais c’est surtout l’avenir des réserves financières de leurs complémentaires qui préoccupent les professionnels libéraux : selon un sondage Harris Interactive réalisé pour l’Union Nationale des Profession Libérales (UNALP), 90% des professionnels du secteurs se montraient "très majoritairement inquiets à l’égard de la réforme du système des retraites", n’hésitant pas à "parler de ’vol’ ou encore de ’spoliation’ des caisses des régimes spéciaux". Ici, pas de peur que le gouvernement fasse main-basse sur les réserves accumulées par les complémentaires. A la FMF, on craint davantage une "disparition mécanique" du bas-de-laine des médecins. "En annonçant la bascule autour de la génération 1975, l’exécutif a annoncé la création de deux catégories de futurs retraités et de retraités, détaille Olivier Petit. La charge des allocations va peu à peu s’alourdir pour les plus anciens, alors que le nombre de cotisants va baisser." Face au manque de recettes, les réserves des complémentaires risquent donc d’être mises à sec "beaucoup plus rapidement que prévu". "C’est un hold-up pur et simple", s’indigne Jean-Paul Hamon.

NÉGOCIATIONS EN ORDRE DISPERSÉ

Les professionnels du médical comptent faire part de leurs craintes ce 7 janvier, lors d’une réunion au ministère de la Santé. "Nous entendons notamment exposer nos réticences sur le flou entourant la valeur du point sur laquelle seront calculées les pensions. Avec notre complémentaire, nos projections sur le montant de nos retraites sont prévues 40 ans à l’avance, avec un réajustement tous les ans. Vous voyez le décalage ? Nous avons besoin d’éclaircissements", relève Olivier Petit. "Si nous n’obtenons pas gain de cause, nous poursuivrons la mobilisation de la FMF", ajoute Jean-Paul Hamon.

Si SOS Retraites mène une nouvelle action commune en ce mois de janvier, les professions bénéficiant de régimes autonomes continuent à négocier en ordre dispersé. Dernier exemple en date : le secteur de l’aérien. Le SNPL, syndicat de pilotes majoritaire en France, s’était initialement joint au mouvement collectif en lançant un appel à la grève pour le 3 janvier. Le préavis a cependant été suspendu en raison "d’avancées significatives", obtenues du gouvernement au sujet du maintien de leur caisse autonome de retraite complémentaire, la CRPN, ainsi que la possibilité de partir avec une retraite à taux plein à 60 ans. "L’exécutif a refusé de recevoir le collectif à la table des négociations, regrette Christiane Féral-Schuhl. Il reste sourd à nos demandes."

Dispersé dans la négociation, le collectif SOS Retraite entend néanmoins rester uni dans la mobilisation. La "grève glissante" démarrée en ce début 2020 n’est pas la dernière action prévue par la collectif. SOS Retraite "annonce que si ses légitimes revendications ne sont pas entendues par le gouvernement, il maintiendra également le mouvement de grève annoncé le 3 février 2020", et invite notamment à la fermeture de tous les cabinets médicaux à partir de cette date. "Les portes seront fermées. Ce sera une grève illimitée", prévient Jean-Paul Hamon.