Le chômage

Médiapart - Chômage : le gouvernement adoucit le discours, mais durcit le contrôle

Mars 2018, par Info santé sécu social

20 MARS 2018 PAR MATHILDE GOANEC ET DAN ISRAEL

Le ministère du travail a enfin expliqué aux syndicats ses intentions sur le contrôle des chômeurs. Échelle des sanctions, redéfinition des « offres raisonnables d’emploi », le gouvernement stigmatise les demandeurs d’emploi, tout en communiquant sur un prétendu renforcement de « l’accompagnement ».

Le gouvernement dévoile enfin son jeu, mais en partie seulement. Lundi 19 mars en fin d’après-midi, les syndicats et les organisations patronales avaient rendez-vous au ministère du travail pour connaître les orientations qui seront retenues sur le contrôle et l’accompagnement des chômeurs, dans le projet de loi de réforme de l’assurance-chômage et de la formation professionnelle. Ce n’est pas trop tôt. Le texte devrait arriver au Parlement fin avril, et sera envoyé dans les prochains jours au Conseil d’État. Au départ, ces mesures devaient être dévoilées autour du 20 janvier, mais l’exécutif a finalement pris son temps, sans doute conscient de leur caractère explosif.

La réunion de lundi a laissé les syndicats sur leur faim. Car si les grandes lignes du projet ont été dévoilées, on ne sait pas encore grand-chose des évolutions concrètes qui vont toucher les demandeurs d’emploi. « Nous aurons le projet de loi écrit seulement la semaine prochaine, indique Denis Gravouil, le négociateur en chef de la CGT. Nous n’avons eu aucun document, tout a été présenté oralement, c’est un scandale en soi. » « Ça devait se faire sous forme de multilatérale, c’est-à-dire de débat. Or, ça n’a pas été un débat, mais une simple présentation, sans aucun écrit. À ce stade, on a presque plus de questions que de réponses », a confirmé la numéro deux de la CFDT Véronique Descacq sur Radio Classique. Et la présentation de la ministre du travail Muriel Pénicaud de cette réforme ne permet pas de lever l’épais voile de brouillard qui entoure les intentions réelles du gouvernement.

Bien sûr, la ministre prend bien soin de communiquer sur les mesures d’accompagnement de sa réforme, mais dans les faits, il s’agit d’abord de durcir le mode de contrôle. Au menu dévoilé lundi 19 mars, pas une ligne pour alléger le nombre de demandeurs d’emploi suivi par chacun des agents, privilégier le face-à-face aux rendez-vous téléphoniques, ou revoir le mode de classement des chômeurs, qui laissent certains très loin de l’institution Pôle emploi. En fustigeant « un système injuste », le gouvernement masque avant tout un tour de passe-passe budgétaire.

Les agents qui seront spécifiquement chargés du contrôle, qui sont 200 aujourd’hui, seront 600 d’ici le premier semestre 2019, et 1 000 d’ici 2020. Mais sans que les effectifs de Pôle emploi ne soient revus à la hausse pour faire face à cette montée en charge. Au contraire, même : cette année, le budget prévoit déjà 300 suppressions de postes, notamment dans les agences de proximité, et quatre milliards d’euros d’économies sont demandés au total au ministère du travail sur la durée du quinquennat.

Où Pôle emploi va donc trouver ces 800 postes supplémentaires ? Dans les rangs des conseillers à l’accompagnement, qui vont voir le temps consacré à chaque demandeur d’emploi se réduire encore, et leur portefeuille de chômeurs s’alourdir (la plupart des conseillers accompagnent aujourd’hui des centaines de demandeurs d’emploi chacun). De quoi donner raison au chercheur Jean-Marie Pillon, qui, interrogé par Mediapart en février, estimait que « le contrôle n’est pas forcément une mesure idéologique, mais plutôt gestionnaire dans le sens où il s’agit d’une division du travail à moyens constants ».

La méthode peut cependant surprendre : dans l’immense majorité des cas, les agents de contrôle, implantés depuis deux ans dans des services dédiés, pallient une relation distendue entre le conseiller en agence et un demandeur d’emploi découragé, même si la menace de radiation peut servir à remobiliser la personne au chômage. Comme le montre notre reportage à Nancy, la pratique des services de contrôle confirme ce que tout le monde sait, chiffres à l’appui, depuis la publication d’une étude détaillée deux ans après la création de services de contrôle sur tout le territoire national : ce que les demandeurs d’emploi réclament, c’est bel et bien un soutien de l’institution, et la fraude aux allocations-chômage est très largement un mythe. Certes, à la suite de cette étude, réalisée sur un panel extrêmement réduit de cent demandeurs d’emploi, on a établi que 14 % des dossiers contrôlés ont abouti à une radiation. Mais en fait, 60 % de ces chômeurs radiés ne touchaient plus aucune allocation de Pôle emploi. Autrement dit, seuls moins de six demandeurs d’emploi sur cent « trichaient » réellement…

Mais la ministre du travail persiste et signe dans les médias, au lendemain de la rencontre avec les syndicats pour leur présenter la réforme, en employant des mots qui assument leur part de stigmatisation : « Pôle emploi a fait des tests : deux demandeurs d’emplois sur trois font les meilleurs efforts ; 20 % se découragent. Il faut les aider à se remobiliser. Et 14 % ne font aucun effort, a-t-elle dit sur Europe 1. Cette minorité crée un sentiment d’injustice. » Même discours dans L’Opinion, où elle critique « la petite minorité de ceux qui abusent » et « jettent l’opprobre sur les autres demandeurs d’emploi ».

En dépit des études, du terrain et des chiffres, le gouvernement reste donc fidèle à la promesse du candidat Macron : concentrer ses efforts sur la radiation de chômeurs. Dans un souci louable de rééquilibrage de l’échelle des sanctions, les radiations pour absence à rendez-vous avec le conseiller, qui représentent aujourd’hui près de 70 % des motifs de sanction, verront leur durée de radiation passer de deux mois à deux semaines, mesure saluée par les syndicats. En revanche, les radiations consécutives à une insuffisance de recherche d’emploi seront allongées. De combien ? Elles iront sans doute jusqu’à quatre mois maximum, mais le détail sera précisé dans le projet de loi.

Le conseiller Pôle emploi, « juge et partie »
La vraie nouveauté réside dans la définition des « offres raisonnables d’emploi », et les sanctions en cas de refus de ces offres. La règle actuelle veut qu’un demandeur d’emploi ne peut pas, sans raison valable, refuser deux offres raisonnables, définies précisément par la loi : une heure de trajet maximum depuis le domicile, ou une distance de 30 kilomètres maximum. Dans les faits, ces données sont difficiles à évaluer, et les radiations très rares.

Cela est d’autant plus vrai que les offres d’emploi faites par les entreprises sont parfois bancales, voire financièrement insuffisantes au regard des qualifications des demandeurs d’emploi. L’idée que les chômeurs ne candidateraient pas alors que des emplois existent est par ailleurs démentie par une étude publiée en 2017 par Pôle emploi, selon laquelle sur les 300 000 offres restées non pourvues en 2016, 87 % avaient « suscité des candidatures » que les employeurs n’avaient pas jugées satisfaisantes.

D’après le projet de loi, le conseiller de Pôle emploi sera désormais le capitaine, chargé de définir en fonction du demandeur d’emploi qu’il a en face de lui quelles sont les offres d’emploi raisonnables qu’il lui faudra accepter, dans un cadre néanmoins fixé par le conseil d’administration paritaire de Pôle emploi. « Ce n’est pas du contrôle bureaucratique, c’est humain, a insisté la ministre sur Europe 1, on tient compte de la situation de la personne, des bassins d’emplois. L’intelligence n’est pas interdite. »

Actuellement, c’est au cours du premier entretien après inscription, réalisé dans un temps contraint, que se définissent le type de métier exercé et envisagé pour la suite, le niveau de salaire exigé et les possibilités de mobilité géographique. À l’avenir, le conseiller pôle emploi sera amené à revoir cette définition au prisme du besoin local de main-d’œuvre. « On accentue ce qui préexistait, déplore Guillaume Bourdic de la CGT Pôle emploi, soit une adaptation du demandeur d’emploi au besoin du patronat localement. Bien sûr que le contexte économique compte mais nous défendons l’idée que l’emploi recherché et occupé doit être un emploi désiré et qui réponde aux qualifications du demandeur d’emploi. »

Outre les risques d’individualiser la relation et donc d’accroître la part de subjectivité, le gouvernement revient sur un élément fondateur de la culture professionnelle des agents de Pôle emploi : la séparation étroite entre le conseil et le contrôle. À l’avenir, le conseiller suivra le demandeur d’emploi, évaluera ce qu’il considère comme une offre raisonnable, et demandera éventuellement des sanctions en cas de recours. Il devient « juge et partie » selon les organisations syndicales.

Enfin, cette mesure arrive alors même que le mécontentement monte contre le renforcement de l’évaluation individuelle des agents (appelée en jargon Pôle emploi « l’observation de la relation de service »), et notamment le comportement du conseiller vis-à-vis de l’usager. « Si on renforce la position coercitive des agents, et qu’ils sont évalués sur cette compétence par leur hiérarchie, ils risquent d’arbitrer dans le sens de la sanction au détriment des usagers », poursuit Guillaume Bourdic.

L’ambiguïté est similaire concernant le « journal de bord » que devront tenir les chômeurs pour garder la trace de leurs démarches de recherche d’emploi, et qui sera « expérimenté » dans deux régions à partir de 2019 : au moment de l’actualisation de sa situation sur internet, le demandeur d’emploi devra remplir les cases dédiées.

Le principe de ce journal de bord est déjà appliqué de façon empirique par certains demandeurs d’emploi, comme Roselyne, cette stakhanoviste de la recherche que nous avions rencontrée il y a deux ans. Et il peut être un réel outil de soutien pour les démarches à effectuer. Mais il pourra tout aussi bien se retourner contre celui qui le tient, si les contrôleurs de Pôle emploi l’examinent de près. Difficile de ne pas imaginer que si les cases sont jugées peu remplies, le conseiller juge que les démarches de recherche d’emploi ne sont pas assez fournies, alors même que certaines, comme l’activation de son réseau, laissent peu de traces.

Cet éventail de nouvelles mesures peut globalement laisser craindre une différence d’appréciation, et donc de traitement des cas, en fonction des conseillers de Pôle emploi qui jugent, des régions où ils sont examinés, ou de la période elle-même. Une crainte renforcée par le dernier versant de la réforme, également annoncé lundi par le gouvernement : la réforme de la gestion de l’assurance-chômage. Après en avoir agité la menace, l’exécutif a renoncé à retirer cette gestion aux partenaires sociaux. Si ces derniers continueront d’établir les règles selon lesquelles les Français touchent des allocations, syndicats et patronat le feront désormais dans un cadre contraint, comme c’est déjà le cas pour l’assurance-maladie.

En effet, avant chaque négociation, le gouvernement leur enverra un document « précisant la trajectoire financière à respecter et fixant des objectifs pour l’évolution des règles de l’assurance-chômage ». Et si les règles fixées par les syndicats et le patronat ne lui conviennent pas, « l’État pourra définir par décret les paramètres du régime ». Autrement dit, l’État aura la main sur l’enveloppe à distribuer dans le cadre des allocations chômage. En cas de restrictions budgétaires, les agents de Pôle emploi pourraient donc être enclins à distribuer plus facilement sanctions et radiations, afin de ne pas dépasser le budget fixé.