Le chômage

Médiapart - Crise économique : « sans plan d’action, Pôle emploi ira dans le mur »

Mai 2020, par Info santé sécu social

17 MAI 2020 PAR CÉCILE HAUTEFEUILLE

Les agences Pôle emploi reprennent progressivement leurs activités le lundi 18 mai. Si la direction générale a planché sur les conditions sanitaires, elle n’a pour le moment rien communiqué sur le probable déferlement de nouveaux chômeurs. Au grand dam de conseillers qui craignent d’être débordés.

Réceptionner les colis de visières et de vitres en plexiglas, déballer les masques et le gel hydroalcoolique, placer les marquages au sol, évaluer les distances réglementaires... Thierry*, directeur d’une agence Pôle emploi, a passé la semaine du 11 mai à organiser la réouverture de son établissement. Les agences Pôle emploi reprennent progressivement du service le lundi 18 mai.

Les demandeurs d’emploi seront, dans un premier temps, accueillis uniquement sur rendez-vous, même pour utiliser un scanner ou un ordinateur. Tous les conseillers ne reviendront pas immédiatement en agence. Les équipes de direction doivent planifier les rotations pour maintenir une partie de leurs agents en télétravail.

Tout à la tâche pour préparer cette reprise, Thierry a l’esprit ailleurs. La crise économique et sociale qui se profile l’obnubile. « C’est louable de se focaliser sur les conditions sanitaires, mais il faut aussi anticiper la catastrophe qui arrive ! » Son agence enregistre déjà 17 % de demandeurs d’emploi supplémentaires. D’après lui, ce n’est que le début. Et il faut agir vite. Élaborer une stratégie pour accompagner, au mieux, tous les nouveaux inscrits. « Il faut capter tout de suite ces profils, les mettre immédiatement dans une dynamique. Sinon, dans un an, on les retrouvera en train de moisir dans les cases des chômeurs de longue durée. »

Thierry a la désagréable impression de « prêcher dans le désert ». D’après lui, la direction générale de Pôle emploi est dans « la négation totale de la réalité ». Il le répète à plusieurs reprises : « On va dans le mur en klaxonnant. On fait comme si la crise sanitaire n’allait avoir aucune conséquence. Si on n’agit pas rapidement, en amont, on va s’écrouler ! »

La direction de Pôle emploi reconnaît la hausse historique des inscriptions en mars mais ne formule pas d’inquiétudes particulières pour la suite. Ou du moins attend de voir. Anticipe-t-elle un afflux de demandeurs d’emploi ? « C’est l’inconnue des prochains mois, on y verra plus clair à la rentrée », botte en touche Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, dans un entretien accordé au Figaro.

La parole se veut rassurante. « Pôle emploi est mieux armé qu’en 2008 pour faire face à la crise. Nous commençons à travailler sur les réponses à apporter en cas d’augmentation de la charge », garantit le DG. Interrogé sur ce point par Mediapart, Pôle emploi n’a pas fourni davantage de précisions : « Le travail est en cours », nous a-t-on répondu.

En coulisses, les organisations syndicales ont obtenu quelques pistes. Non officielles. Il a notamment été question de faire appel à de jeunes retraités de Pôle emploi, spécialistes de l’indemnisation. « Ce serait incroyable d’en arriver là !, s’étrangle Guillaume Bourdic, représentant syndical CGT au CSE central de Pôle emploi. Reprendre en CDD des retraités, alors que le chômage va exploser et que des gens vont chercher du boulot… Ce serait un comble de la part de Pôle emploi ! »

D’après lui, cette idée révèle surtout une problématique bien réelle pour l’organisme : les conseillers experts en indemnisation ne sont pas assez nombreux. Dans le jargon de Pôle emploi, on les appelle les « GDD » (pour « gestion des droits »). « Ces dernières années, la direction s’est employée à faire des GDD un métier en décroissance, explique un délégué syndical du SNU-FSU en Occitanie. L’automatisation des tâches, la dématérialisation à outrance des services ont été des prétextes pour diminuer les effectifs de ces experts. Et à l’aube d’une probable hausse des inscrits, la direction est bien embarrassée. Sa stratégie n’était peut-être pas la bonne ! »

L’accompagnement des demandeurs d’emploi est une autre source de stress. Les portefeuilles des agents (le nombre de demandeurs d’emploi à la charge d’un conseiller) sont déjà bien garnis et beaucoup craignent d’être complétement débordés. « Nous ferons de la gestion de chômage de masse, redoute Thierry, le directeur d’agence. On va mettre la pression sur nous et, bien évidemment, sur les chômeurs. Pour remettre les gens au boulot, coûte que coûte. » Les récentes prises de parole de la ministre du travail sonnent justement comme un avertissement pour les chômeurs. « Il va falloir un peu d’agilité dans les temps qui viennent, […] aller là où il y a de l’emploi, […] se dire qu’on sera amené à travailler dans un autre métier », a prévenu Muriel Pénicaud le 6 mai, sur Europe 1.

D’ailleurs, selon une note interne que Mediapart a pu consulter, les radiations (suspendues depuis la mi-mars) vont reprendre. Les sanctions pour refus de deux offres raisonnables d’emploi sont même de nouveau possibles depuis le 11 mai. Le document appelle à la bienveillance et à prendre en compte de nouveaux « motifs légitimes » d’indisponibilité tels que la garde d’enfant ou une santé fragile. « Ces motifs doivent néanmoins être attestés par le demandeur d’emploi par une déclaration sur l’honneur. […] Chaque situation devra être appréciée par le conseiller référent », précise la note. Le contrôle de la recherche d’emploi a également repris le 11 mai.

Mais, en cas de manquement, aucune sanction ne pourra être prononcée avant le 1er septembre prochain. Il s’agit, dans un premier temps, de « redynamiser » les demandeurs d’emploi, de faire le point avec eux sur les « actions déjà menées et sur les prévisions d’actions futures ». Enfin, les radiations pour absence à convocation seront de nouveau en vigueur le 19 mai. Si les futurs inscrits ignorent encore à quoi ressemblera leur accompagnement, ils sont au moins déjà fixés sur leurs obligations.