Le chômage

Médiapart - L’exécutif s’en prend frontalement aux chômeurs

Octobre 2018, par Info santé sécu social

26 SEPTEMBRE 2018 PAR DAN ISRAEL

En cadrant étroitement les négociations des syndicats et du patronat sur les règles d’indemnisation de l’assurance-chômage, le gouvernement ne cache pas son but : réduire le montant des allocations versées aux demandeurs d’emploi. Il attend au moins un milliard d’économies par an. Plusieurs sujets inflammables sont sur la table.

S’il persistait des doutes quant aux intentions du gouvernement, les cinq jours qui viennent de s’écouler les auront définitivement dissipés : l’exécutif prévoit de revoir en 2019 une grande partie des règles définissant le montant des allocations chômage qui sont versées chaque mois à environ 2,3 millions de demandeurs d’emploi (en 2018, moins de la moitié des 5,6 millions d’inscrits à Pôle emploi touchent de telles allocations).

Il s’agira de la troisième « réforme systémique du marché du travail », après les ordonnances réformant le code du travail en 2017 et la loi « avenir professionnel » bouclée le 1er août, transformant l’apprentissage, la formation continue et, déjà, l’assurance-chômage. Et le résultat en sera immanquablement une baisse des droits des chômeurs.

Le 17 juillet, les syndicats, les organisations professionnelles et les observateurs du système s’interrogeaient sur un changement d’attitude apparent du pouvoir, lui qui organisait au débotté un mini-sommet social à l’Élysée. Emmanuel Macron et son gouvernement allaient-ils renouer le fil avec les partenaires sociaux, écartés de toutes les grandes décisions depuis ce début de quinquennat ? Seraient-ils notamment écoutés à propos du grand chantier à venir, celui de la réforme du chômage, annoncée sans prévenir par le président devant le congrès de Versailles le 9 juillet ?

La réponse est arrivée mardi 25 septembre au soir, avec la lettre de cadrage envoyée aux syndicats et au patronat, gestionnaires de l’assurance-chômage et théoriquement chargés de fixer les règles d’indemnisation. C’est la nouvelle loi « avenir professionnel » qui a rendu obligatoire ce document, dans lequel le gouvernement précise ce qu’il attend des négociations entre partenaires sociaux, en termes de règles à revoir et d’économies à en attendre.

La lettre de cadrage confirme en tout point la présentation orale qui en avait été faite aux partenaires sociaux, le 21 septembre, par Antoine Foucher, directeur du cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud. Sur le papier, les intentions du gouvernement sont louables, puisqu’il entend « faire reculer le chômage, en favorisant l’emploi durable et en répondant aux besoins en compétence des entreprises ».

Un message martelé par le ministère, qui cache mal la réalité : l’exécutif demande de tailler dans les dépenses et d’économiser entre 1 et 1,3 milliard d’euros par an de 2019 à 2021. Des sommes à comparer aux 39,7 milliards d’euros versés aux chômeurs en 2017.

Ces économies viendront s’ajouter à celles qu’avaient déjà négocié les syndicats avec le patronat en 2016. Les nouvelles règles résultant de ces discussions sont en vigueur depuis seulement un an, le 1er octobre 2017, et permettent déjà d’économiser 800 millions d’euros par an.

La potion est amère. Vendredi, en sortant du ministère, les responsables syndicaux ne cachaient pas leur colère. « L’état d’esprit ? Des économies, des économies, des économies, sur le dos des demandeurs d’emploi. Cela signifie une baisse généralisée des droits », a lancé Michel Beaugas, le négociateur FO. « Le cadrage budgétaire prévaut sur le sens même du régime d’assurance-chômage », a déploré Marylise Léon pour la CFDT.

« Le gouvernement veut faire porter aux partenaires sociaux la responsabilité des économies qu’il veut faire sur l’endettement de l’Unédic », a confirmé Jean-François Foucard, de la CFE-CGC. « On nous dit : “À l’intérieur de cette prison, vous êtes libres de négocier des baisses de droits, et ça aidera les chômeurs à retrouver un boulot…” », a résumé ironiquement Denis Gravouil, de la CGT. Même Jean-Michel Pottier, de la Confédération des petites et moyennes entreprises, a constaté qu’il s’agissait d’« une réforme à l’envers, parce qu’on part d’un objectif budgétaire ».

Le gouvernement assume ce sévère coup de vis financier. Certes, l’assurance-chômage prévoit de retrouver l’équilibre l’année prochaine et de dégager plus de 5 milliards d’excédents en 2020 et 2021. De quoi faire baisser la dette, proche de 35 milliards d’euros. Toutefois, assure la lettre de cadrage, « ces excédents n’apparaissent pas suffisants pour engager une résorption substantielle de la dette du régime, équivalente aujourd’hui à plus de onze mois de recettes ». L’assurance-chômage risque donc « de ne pas être en mesure d’assurer sa fonction protectrice » en cas de prochaine crise économique, estime l’exécutif.
Dans ce strict carcan, le gouvernement prétend ne rien imposer. « C’est aux partenaires sociaux de se saisir des outils qu’ils souhaitent », assure par exemple Muriel Pénicaud dans Le Parisien. En vérité, le document de cadrage fait dans la suggestion – très – appuyée. Il y est « demandé aux partenaires sociaux » de « revoir les règles », de « franchir une étape supplémentaire pour mettre un terme » à certains mécanismes ou de « corriger » une situation.

Là encore, le constat du gouvernement ne peut être que partagé, puisqu’il décrit « une dualité du marché du travail », où 86 % des salariés sont en CDI, mais où près de neuf embauches sur dix se font en CDD. « Un nombre croissant de personnes connaissent ainsi des trajectoires professionnelles faites de chômage et d’emplois précaires, et voient leur capacité de construire leur vie professionnelle et personnelle se réduire », écrit à juste titre le ministère du travail. Cette situation « n’est pas le fait de la volonté des personnes », analyse-t-il toujours justement, « mais le produit de règles qui ne sont pas suffisamment orientées vers l’incitation au retour à l’emploi durable ».

Le problème est que, fort de ce constat impeccable, le gouvernement va faire porter une grande partie des efforts nécessaires pour y remédier sur ceux qui en pâtissent en premier lieu, les demandeurs d’emploi eux-mêmes.

Des changements à venir en défaveur des salariés et des chômeurs

Les syndicats et le patronat vont d’abord devoir revoir les règles qui permettent de bénéficier de droits rechargeables à l’assurance-chômage. Depuis 2014, il est prévu que si un chômeur travaille pendant qu’il touche son allocation-chômage, il allonge la période pendant laquelle il peut toucher de l’argent de Pôle emploi. Un mécanisme qui peut durer indéfiniment, pour peu qu’il travaille au moins 150 heures pendant sa période d’indemnisation.

Ces paramètres sont incontestablement bénéfiques pour les chômeurs et les incitent à trouver un travail, même court et peu rémunéré, pendant qu’ils touchent des allocations. Mais le gouvernement fait mine de penser que ce dispositif « conduit un nombre croissant de personnes à vivre de plus en plus longtemps dans une situation de précarité ».

« Non, les droits rechargeables ne sont pas responsables de l’augmentation de la précarité », réagit Marylise Léon de la CFDT, très attachée aux droits rechargeables. En vérité, l’exécutif semble estimer que ce système coûte trop cher, et il demande donc de le modifier.

Le même mécanisme est à l’œuvre concernant la redéfinition du calcul du salaire journalier de référence. Ce calcul sert à établir le montant de l’allocation versée à un chômeur. Selon le gouvernement, il est source d’inégalités : un même nombre d’heures de travail et un même salaire horaire peuvent donner droit à des allocations plus importantes si ce travail a été effectué dans le cadre de plusieurs contrats fractionnés de quelques jours, au lieu d’un contrat courant sur plus d’une semaine.

L’exécutif veut donc que les règles de calcul soient revues à la baisse, pénalisant de fait les salariés qui subissent les contrats les plus courts, et qui sont rarement en position de négocier la durée de leur contrat, encore moins de calculer que telle durée leur sera favorable à Pôle emploi…

Une étude du ministère du travail a même établi en 2017 que les effets pervers mentionnés par l’exécutif pour justifier sa demande étaient en fait très peu fréquents : selon les analystes du ministère, cette utilisation stratégique de la durée des contrats ne concerne « que 6 % des personnes en activité réduite, soit environ 94 000 personnes, avec une part non négligeable d’intermittents, d’intérimaires et d’assistantes maternelles ». L’étude souligne d’ailleurs que la responsabilité en est à chercher non pas du côté des salariés, mais de celui de « certaines entreprises [qui] utilisent l’activité réduite de façon stratégique comme une subvention publique aux emplois de très courte durée ou comme une forme de chômage partiel intégralement financé par l’assurance-chômage ».

Par ailleurs, il faut souligner que les nouvelles règles en vigueur depuis octobre 2017 avaient déjà corrigé en grande partie les inégalités pointées par l’exécutif. L’assurance-chômage avait trouvé des cas frappants : deux demandeurs d’emploi ayant travaillé 90 jours pour un même salaire pouvaient toucher 1 000 euros de différence en quatre mois d’indemnisation, si l’un avait travaillé avec un CDD de dix-huit semaines, et l’autre avec dix-huit CDD de cinq jours. Depuis un an, ce type de situation n’est plus possible et 20 % des demandeurs d’emploi ont déjà vu leurs allocations baisser en conséquence.

Un troisième point technique pourrait faire des dégâts sur une population déjà fragile, celle qui travaille pour de nombreux employeurs, par exemple les assistantes maternelles, les intérimaires ou les journalistes pigistes. Ces salariés sont susceptibles de cumuler largement de petits salaires et une indemnisation, et sont particulièrement concernés par les « trop-perçus » de Pôle emploi : l’institution peut leur demander de rembourser régulièrement des centaines d’euros en raison d’erreurs de calcul.

Le gouvernement prévoit pourtant de remettre en cause la règle de l’activité conservée, qui leur permet d’être bien indemnisés s’ils perdent un employeur, mais en conservent deux ou trois autres. Cette situation « mérite d’être corrigée afin d’inciter davantage les personnes à privilégier les revenus d’activité », indique la lettre de cadrage envoyée aux partenaires sociaux.

Là aussi, le ministère du travail considère que ces personnes font le choix de réduire le nombre de leurs employeurs et qu’ils ne sont guère pressés d’en trouver un nouveau. « En vérité, le gouvernement n’a pas d’éléments pour asseoir ses hypothèses, proteste Denis Gravouil, de la CGT. La preuve, le ministère vient de commander quatre études à des chercheurs indépendants sur la question de l’activité réduite, et les résultats sont loin d’être déjà connus. »

Enfin, sans citer le terme, la lettre de cadrage pose dans le débat le sujet très inflammable de la dégressivité des allocations chômage, au moins pour les cadres. Rien n’est dit explicitement, mais le document explique que « des règles identiques pour tous les demandeurs d’emploi, sous l’apparence de l’égalité, ne tiennent pas compte des différences de capacité à retrouver un emploi », les plus qualifiés en retrouvant plus vite. Les partenaires sociaux « sont donc invités à corriger » la situation.

Difficile de ne pas trouver là un écho à la proposition de cet été du député Aurélien Taché, qui a été le rapporteur de la précédente réforme de l’assurance-chômage. Il proposait de réduire le montant ou la durée des allocations versées aux chômeurs touchant actuellement 5 000 à 6 000 euros par mois.

Sous les apparences du bon sens, voire d’une certaine justice sociale, la proposition est loin de faire l’unanimité. Sans surprise, la CFE-CGC, le syndicat qui défend les cadres, y est totalement opposée. Le dirigeant de la CFDT Laurent Berger n’y est pas plus favorable. Sur RTL, il a signalé qu’« aucune étude économétrique dans le monde n’a constaté son efficacité » et qu’il était pour lui « hors de question » d’envisager cette hypothèse. En effet, une récente étude de l’OFCE a rappelé fin 2017 que la dégressivité des allocations était tout sauf efficace.

Même la CGT est hostile à ce principe visant les cadres. En effet, ils sont actuellement un des piliers financiers du système : en 2016, 65 600 cadres supérieurs cotisant à l’assurance-chômage auraient eu le droit de toucher les allocations maximales autorisées, soit 6 200 euros par mois. Or seules 776 personnes touchaient effectivement ce montant maximal, soit 0,02 % des bénéficiaires de l’assurance-chômage. Les cadres paient donc des cotisations et des taxes élevées pour financer le système, mais en bénéficient très peu.

Si le principe de la dégressivité, en temps ou en montant, était instauré, comment imaginer qu’en contrepartie, les cadres ne paieraient alors pas un peu moins de cotisations ? L’équilibre financier du système en serait fragilisé.

Le très discret « bonus-malus »

En face de ces nombreuses menaces visant les demandeurs d’emploi, le gouvernement avance à très petits pas lorsqu’il s’agit d’exiger des efforts de la part des entreprises. Si le document de cadrage évoque entre les lignes le principe du « bonus-malus », il ne mentionne pas explicitement ce mécanisme, qui pénaliserait les employeurs ayant le plus recours à des contrats courts ou à des licenciements, en leur faisant payer davantage de cotisations.

Le sujet était déjà évoqué par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle, et est cité comme primordial au ministère du travail depuis le lancement des premières pistes sur la réforme de l’assurance-chômage, en octobre 2017. « Depuis les ordonnances, les entreprises ont la possibilité d’organiser le travail de façon complètement adaptée à leur situation, plaide l’entourage de Muriel Pénicaud. Il faut donc trouver des modes de responsabilisation des entreprises pour qu’elles améliorent leur politique de ressources humaines. »

Le patronat n’a jamais caché qu’il considérait le « bonus-malus » comme une hérésie, car certains secteurs professionnels, comme l’hôtellerie, la restauration ou le BTP, font structurellement appel à des salariés précaires. « C’est une théorie intellectuellement séduisante pour un économiste mais impraticable dans les faits », a balayé mardi dans Le Monde le nouveau président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux.

« Nous serons très attentifs à la façon dont la lettre de cadrage sera rédigée », avait pour sa part prévenu le négociateur du Medef, Hubert Mongon, en sortant du ministère vendredi. Il a dû être satisfait, puisque le document joue des paraphrases, invitant à créer un « mécanisme réellement incitatif pour responsabiliser les entreprises ». Le « bonus-malus » deviendra-t-il une réalité ? Cet été, le ministère jurait que si les partenaires sociaux ne trouvaient pas de solution précise et contraignante avant la fin de l’année, il le ferait appliquer. C’est peu de dire qu’il est désormais attendu au tournant sur cette mesure, l’une des très rares que porte le gouvernement et qui déplaît au patronat.

Y aller ou pas ?

On le voit, le chantier lancé par le gouvernement est immense. Les syndicats et le patronat ont quatre mois pour le mener à bien, alors même que la précédente négociation sur ces sujets, en 2016, avait duré près d’un an. Plusieurs négociateurs syndicaux doutent fortement de leur capacité à se mettre d’accord avec les représentants patronaux en si peu de temps, sur les sujets des baisses des droits, de la dégressivité ou du bonus-malus.

L’entourage de Muriel Pénicaud en est bien conscient mais rappelle, désinvolte, qu’il a pris moins de temps pour mener les concertations sur les ordonnances et sur la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Le gouvernement prend en tout cas le risque, peut-être calculé, que les négociations capotent. Il aurait alors les mains libres pour imposer les règles qu’il souhaite voir appliquées.

« Dans une démocratie avancée, c’est mieux quand c’est les représentants des salariés et du patronat qui décident des règles », a juré Muriel Pénicaud sur RTL. Mais les syndicats ont conscience du piège qui leur est potentiellement tendu. Faut-il accepter « une négociation cadrée avec un pistolet sur la tempe », pour reprendre les mots du patron de FO Pascal Pavageau ? Ou bien vaut-il mieux se dégager de toute concertation, au risque de ne pouvoir parvenir à imposer aucune de ses options ?

Côté Medef, pas de doutes, Geoffroy Roux de Bézieux juge les « orientations » du gouvernement « suffisamment ouvertes pour permettre la discussion » et approuve toutes ses lignes directrices. Formellement, la CFTC et la CFE-CGC aussi ont déjà accepté de négocier.

Du côté de la CFDT, on affirme haut et fort que « le document de cadrage est une base de discussion » et n’est que cela, mais Laurent Berger n’envisage pas sérieusement de ne pas en être. « À chaque fois que l’État a récupéré l’assurance-chômage, c’étaient des droits en moins pour les demandeurs d’emploi. (…) Il y a un risque énorme », a-t-il expliqué sur RTL.

Qu’elle accepte de négocier ou non, il est de toute façon très peu probable que la CGT signe le document final. Reste FO. La décision sera prise ce jeudi, à l’issue de la réunion de son comité confédéral, son « parlement ». Pascal Pavageau plaide depuis plusieurs semaines pour aller négocier, mais sur les bases des propositions des syndicats et du patronat, sans suivre forcément le cadrage gouvernemental. Si c’est l’option retenue, un bras de fer inédit s’engagera entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Ce ne serait pas la première fois que ce dernier décide de passer outre et d’imposer ses solutions, quoi qu’il arrive.