Le chômage

Mediapart : Les intermittents remportent une manche, le Medef surenchérit

Avril 2016, par infosecusanté

Les intermittents remportent une manche, le Medef surenchérit

28 avril 2016

Par Mathilde Goanec

L’occupation des théâtres, la participation active à certaines actions coup de poing avec les Nuits debout, l’imminence des festivals d’été ? Autant de leviers qui ont permis aux intermittents de gagner le premier acte de leur négociation. Reste désormais à jouer la pièce en entier. Jeudi matin, les organisations d’employeurs et les syndicats représentatifs dans le secteur du spectacle (la CGT notamment, très majoritaire) sont tombés d’accord sur de nouvelles règles d’indemnisation, permettant de faire économiser au moins 80 millions d’euros à l’Unedic. Mené de manière autonome cette année, conformément à l’adoption de la loi Rebsamen en 2015, l’accord est plutôt une bonne surprise dans un secteur qui se débat depuis quinze ans sur son financement.

Pour rappel, à partir d’un certain nombre d’heures de travail (les fameux « cachets »), les intermittents peuvent bénéficier d’une indemnisation de Pôle emploi pour les périodes non travaillées au motif qu’une date de spectacle ou de concert ne couvre pas le temps passé à la préparer, par exemple. Le texte de l’accord (dévoilé par Libération ici 3) revient sur une bonne partie des règles en vigueur depuis 2003, et notamment l’épineuse question de la durée de période de calcul.

Pour être indemnisés, les intermittents devront désormais avoir travaillé 507 heures sur douze mois, contre dix mois pour les techniciens et dix mois et demi pour les artistes auparavant. La « date anniversaire » retenue pour le calcul de ces droits, en lieu et place d’une « date glissante », ainsi que la réduction de la franchise limitant l’indemnisation en fonction du salaire obtenu, sont aussi deux motifs de satisfaction pour les intermittents. Enfin, vieille revendication du collectif des Matermittentes 3 notamment, on s’achemine vers une normalisation de l’indemnisation du congé maternité, ainsi que la prise en compte des arrêts maladie de longue durée.

Du côté des recettes, l’accord est aussi assez audacieux, et demande des efforts aux deux parties. S’il s’applique, les intermittents ne pourront plus cumuler congés payés et indemnisation Unedic, ce qui pourrait permettre d’engranger 50 millions d’euros d’économies. Il ne sera plus possible non plus de cumuler indemnisation et salaire au-delà d’un nouveau plafond qui s’élèverait à 3 800 euros par mois. Côté employeurs, leurs cotisations chômage vont augmenter d’un point à partir de janvier 2017.

« L’accord tel qu’il est, est bon, viable et équitable », assure Olivier Py, très influent directeur du festival d’Avignon, où se met régulièrement en scène l’affrontement sur le régime de l’intermittence. Sur France Inter jeudi matin, il était visiblement soulagé : « Le but des intermittents était de faire baisser le plafond : que ceux qui gagnent le plus puissent faire bénéficier ceux qui gagnent le moins. » Même son de cloche à la CGT Spectacle : « Nous n’avons pas tout obtenu mais l’accord est équilibré », lit-on dans le communiqué publié au petit matin.

Sur LCI, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez s’est félicité de l’issue des négociations menées sous la pression des intermittents, qui ont occupé ces derniers jours des lieux symboliques. « Quand les salariés se mobilisent, on peut obtenir des choses et c’est le message qu’il faut faire passer aujourd’hui à l’ensemble des salariés puisque c’est une nouvelle journée de mobilisation pour le retrait de la loi Travail », a-t-il dit.

Mais l’ensemble de ces mesures ne permet pas de répondre aux 185 millions d’économies réclamés par une partie des partenaires sociaux en charge du régime général. Mi-avril, le Medef, la CFDT, la CFTC ainsi que la CFE-CGC ont précisé cette somme dans une « lettre de cadrage », provoquant un tollé dans la profession, qui juge l’effort trop important en regard des 800 millions d’euros d’économies demandés au total à l’Unedic. L’accord trouvé jeudi matin doit pourtant repasser sous les fourches caudines des organisations paritaires pour être officiellement validé. Les syndicats, mis à part la CGT du fait de sa forte présence dans le monde de la culture, pourraient bien arbitrer au profit des salariés du régime général, le gros de leur troupe. Quant au patronat, l’intermittence est sa bête noire.

Cette deuxième manche explique la poursuite de l’occupation d’un certain nombre de théâtres par les intermittents et salariés de la culture. À Paris, le théâtre de l’Odéon ainsi que la Comédie-Française sont toujours occupés et le mouvement s’est étendu à Strasbourg, Bordeaux, Lille, Montpellier, Caen et Lyon. « Cet accord revient sur certaines règles réformées en 2003, reprenant une partie des propositions que nous défendons depuis treize ans. Nous avons besoin de temps pour décrypter et analyser plus précisément cet accord, justifie la coordination des intermittents et précaires, à la manœuvre sur ces différentes actions. Nous savons d’ores et déjà que le Medef ne validera pas cette proposition, cet accord ne rentrant absolument pas dans les critères économiques définis dans la lettre de cadrage. »

Et l’État dans tout ça ? Officiellement à l’écart des négociations paritaires, il fait pourtant pleinement partie du jeu. Le gouvernement s’était engagé à ce que la mise en place de nouvelles règles d’indemnisation chômage pour les artistes et les techniciens s’accompagne d’un fonds de soutien à l’emploi dans le secteur du spectacle. Ce fonds « va désormais être mis en œuvre » et sera financé par l’État à hauteur de 90 millions d’euros par an, a annoncé Manuel Valls lors d’une conférence de presse jeudi matin.

Cette somme correspond à un versement annuel de l’État à l’Unedic aux termes de la précédente convention de 2014 et sera financée en partie par un dégel de 50 millions d’euros de crédits du ministère de la culture déjà annoncé. La menace d’un blocage des festivals cet été a vraisemblablement pesé lourd. La ministre de la culture semble souhaiter un déblocage des théâtres au plus vite : « Maintenant que cet accord a été trouvé, les théâtres doivent être rendus à leur public », a-t-elle déclaré lors d’une séance de questions au gouvernement.

Les intermittents comme le patronat spectacle se méfient pourtant de toute ingérence dans le financement de leur régime, de peur que l’État ne se « substitue à la solidarité interprofessionnelle pour prendre en charge les économies demandées, ce qui préfigurerait la création d’une caisse autonome », a réagi le CIP. Pour eux comme pour la CGT Spectacle, le régime des intermittents du spectacle doit s’inscrire « au cœur de la solidarité entre les travailleurs », que représente l’Unedic.

La fin des négociations Unedic s’annonce d’autant plus tendue que le Medef, la CGPME ainsi que l’UPA ont également dévoilé jeudi leur plan de bataille pour le régime général. Il est drastique pour la partie adverse. Le patronat veut notamment revenir sur l’indemnisation par Pôle emploi pendant trois ans au lieu de deux des chômeurs de plus de 50 ans, au motif que leur taux d’activité est supérieur à celui de l’ensemble de la population active. Les trois organisations proposent de relever à 59 ans la possibilité de toucher une allocation pendant trois ans.

L’autre proposition consiste à moduler la durée d’indemnisation en fonction des « variations du taux de chômage » (sic), et de baisser l’allocation des chômeurs qui « ne cherchent pas du travail ». Pour appuyer ces propositions chocs, le Medef joue la surenchère et menace de quitter la table des négociations si le gouvernement ne modifie pas d’ici là le projet de loi sur le travail. La prochaine rencontre syndicats et patronat est prévue pour le 9 mai.