Le chômage

Médiapart - UNE DEUXIÈME LOI POUR PÉNALISER LES CHÔMEURS PARTI PRIS

Novembre 2022, par Info santé sécu social

Assurance-chômage : les fourberies du gouvernement pour baisser les droits
Le ministère du travail a présenté le contenu de son futur décret visant à moduler les règles d’assurance-chômage selon le contexte économique. Dès le 1er février 2023, la durée des droits sera diminuée d’un quart. Sous prétexte d’adapter les règles à la conjoncture, le gouvernement continue de démolir les droits au chômage.

Cécile Hautefeuille
21 novembre 2022 à 19h52

La durée de versement des allocations-chômage va sérieusement dégringoler et, cette fois, presque personne ne sera épargné. À partir du 1er février 2023, les personnes qui s’inscriront à Pôle emploi se verront retirer 25 % de leur capital de droits, au motif que les voyants de la conjoncture sont « au vert ».

Cela correspond à six mois d’allocations en moins, pour celles et ceux qui auraient droit à la durée maximum d’indemnisation, soit 18 mois d’indemnités au lieu de 24. Pour les plus de 55 ans, qui bénéficient à l’heure actuelle de 36 mois de droits, le capital sera amputé de neuf mois.

L’évidence saute aux yeux. Derrière la volonté d’adapter les droits au contexte économique se cache, depuis le début, l’intention d’appauvrir, encore, les droits des chômeurs et des chômeuses. Le gouvernement nous parle de souplesse mais sa seule motivation est de durcir, sans relâche, les règles de l’assurance-chômage.

Et l’étau n’est pas près de se desserrer.

Cette réduction, inédite et drastique, de la durée des droits sera maintenue tant que le taux de chômage, actuellement de 7,3 %, restera sous la barre des 9 %. Un seuil qui n’a pas été atteint en France depuis le quatrième trimestre 2017. Même en pleine crise du Covid, le pire épisode économique depuis dix ans, il a été contenu à 8,8 %. Nul doute, au vu de ces évolutions statistiques, que le gouvernement compte bien voir son indicateur rester « au vert » pendant un long moment.

Si le taux de chômage atteint les 9 % ou s’il progresse brutalement de 0,8 point en un seul trimestre, « l’état » de la conjoncture passera « au rouge », et à des « règles plus protectrices », a indiqué ce lundi le ministère du travail, lors d’une présentation de sa réforme.

Une promesse en trompe-l’œil car si les chômeuses et les chômeurs sont assurés de perdre des droits, ils n’en gagneront jamais davantage. Les règles « plus protectrices » n’étant rien d’autre... que les règles actuelles. Pour le gouvernement, « moduler » consiste uniquement à réduire les droits. Jamais à les améliorer.

Pour donner une apparente bonne figure à sa réforme, Olivier Dussopt a vanté, devant la presse, « deux mécanismes de protection ». Le premier consiste à « rendre » aux chômeuses et aux chômeurs arrivés en fin de droits la durée amputée par la réforme, si la situation économique s’est dégradée depuis leur inscription à Pôle emploi.

Le second est de ne pas modifier la durée minimum d’indemnisation. « Aucun demandeur d’emploi ne pourra être indemnisé pour une durée inférieure à six mois », garantit le ministre. Encore un faux-semblant. La première réforme de l’assurance-chômage, entrée en vigueur il y a à peine un an, avait durci cette durée minimum, faisant passer de quatre à six mois de travail la durée nécessaire pour percevoir des allocations-chômage. Le mécanisme de protection, vanté par le ministre, n’est ni plus ni moins qu’un maintien de mesures déjà passées sous le rouleau compresseur.

100 000 à 150 000 retours à l’emploi sont espérés en 2023
Olivier Dussopt a également fait la liste des exceptions à la nouvelle règle qui entrera en vigueur en février, après la publication d’un décret. Les habitant·es des territoires ultra-marins, les marins-pêcheurs, dockers, intermittents du spectacle ne seront pas concernés par la réduction de la durée des allocations-chômage. Les personnes licenciées économiques, en contrat de sécurisation professionnelle, ne le seront pas non plus. Ces dernières représentent 1,4 % des inscriptions à Pôle emploi, selon les derniers chiffres du chômage. Un garde-fou, certes, mais pas très épais.

À entendre le ministre en conférence de presse, ces exceptions ont été obtenues par le dialogue social. « On les a écoutées », a-t-il solennellement répété, à trois reprises, en citant les demandes des partenaires sociaux qui ont « tous répondu présents ». Pourtant, comme déjà écrit par Mediapart, il n’y a pas eu de négociations mais un simulacre de concertation. Les syndicats représentant les salarié·es ont été invités à s’exprimer sur un sujet qu’ils avaient rejeté, à l’unanimité, deux mois plus tôt.

« Cette réforme est conforme aux engagements pris par le président de la République », a souligné le ministre, confirmant que la messe était dite depuis longtemps. L’objectif est d’atteindre le plein emploi, fixé par l’exécutif à 5 % de chômage, et de mettre un frein aux « difficultés de recrutement », sans pouvoir démontrer que durcir les règles de l’assurance-chômage soit vraiment efficace. Et sans avoir, jamais, publié la moindre étude d’impact de cette nouvelle réforme.

Citant l’Unédic, le gestionnaire de l’assurance-chômage, le ministre du travail évalue à 4 milliards les économies qu’elle va générer mais jure que ce n’est pas « la préoccupation ni l’objectif du gouvernement », mais bien le retour à l’emploi.

« 100 000 à 150 000 retours à l’emploi sont espérés en 2023 », certifie-t-il, persuadé que ce nouveau tour de vis ne précipitera pas les chômeuses et les chômeurs vers des contrats précaires. « La part des contrats courts est en baisse permanente », a assuré Olivier Dussopt. C’est vite oublier cette étude, publiée en octobre 2022, par la Dares et documentant « le rebond des CDD d’un jour ou moins ». Au deuxième trimestre 2022, ils ont dépassé de 14 % leur niveau d’avant la crise Covid.

L’exécutif semble déjà réfléchir à un nouveau tour de vis
En refusant de « territorialiser » les nouvelles règles, le gouvernement fait également fi de réalités très diverses, sur le territoire. Si le taux de chômage national est de 7,3 %, il est bien plus haut dans certains départements. 11,6 % dans les Pyrénées-Orientales, 10,6 % dans l’Aisne et 10,2 % dans l’Aude et l’Hérault. Ce dernier département abrite d’ailleurs la zone d’emploi la plus sinistrée de France : Agde-Pézenas et ses 14 % de chômage. Là-bas, selon les données de Pôle emploi, seules 24 % des offres d’emploi sont des CDI contre 62 % de contrats dits « temporaires », soit des CDD de 1 à 6 mois ou des missions d’intérim de plus d’un mois.

Avec cette nouvelle réforme, une boucle infernale se dessine : les précaires seront poussés vers des emplois précaires qui, eux-mêmes, les jetteront dans les griffes de la première réforme de l’assurance-chômage qui pénalise... le recours aux contrats courts.

Et le pire, c’est que l’exécutif semble déjà réfléchir à une troisième réforme. Les partenaires sociaux seront invités, avant fin 2023, à se réunir pour négocier de nouvelles règles. La modulation, autrement appelée « contracyclicité », pourra alors être enrichie de leurs propositions. Si Olivier Dussopt feint de leur laisser de la marge pour intégrer « plus de protection », il semble déjà prêt « à durcir une seconde fois » la durée de versement des allocations-chômage.

Et il avance même un nouveau « coefficient réducteur de 0,6 » si le taux de chômage atteint 5 %. Cela reviendrait à abaisser à 14 mois la durée d’indemnisation maximum, au lieu de 24.

« Nous avons voulu faire simple », s’est félicité le ministre du travail, en présentant les nouvelles règles, qui entreront en vigueur dans à peine plus de deux mois. Le démantèlement, pièce par pièce, des droits à l’assurance-chômage va se poursuivre. L’absence de mobilisation pour la cause des chômeurs et des chômeuses donne un boulevard au gouvernement et lui simplifie, il faut le reconnaître, grandement la tâche.

Cécile Hautefeuille