Les mobilisations dans les hôpitaux

Mediapart : À l’hôpital, une dernière mobilisation avant un été de tous les dangers

Juin 2022, par infosecusanté

Mediapart b : À l’hôpital, une dernière mobilisation avant un été de tous les dangers

L’hôpital s’est mobilisé dans une cinquantaine de villes en France. Les manifestants alertent sur une situation d’une gravité sans précédent. Ils craignent aussi les prochaines annonces pour les urgences, qui pourraient restreindre l’accueil des patients.

Caroline Coq-Chodorge

7 juin 2022

L’attention médiatique à la situation de l’hôpital est inversement proportionnelle à sa mobilisation, ce mardi 7 juin 2022. Des manifestations se sont tenues dans une cinquantaine de villes en France, selon les syndicats et les collectifs de soignant·es mobilisé·es, mais les rangs étaient clairsemés.

Ils étaient une petite centaine devant le ministère de la santé à Paris, essentiellement des personnels syndiqués, et des dizaines de journalistes, qui tentent de mettre en images et en mots la déferlante des défaillances de services hospitaliers, en particulier des urgences.

« Comment peut-on se retrouver encore là, après ces deux années de Covid ? Pourquoi n’ont-ils pas réagi plus tôt ? », s’énerve Nathalie Marchand, cadre de santé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Les augmentations de salaires accordées par le Ségur de la santé ne sont décidément qu’un cautère sur une jambe en bois.

L’urgentiste Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France, s’est moqué d’une énième « mission flash, qui va faire splatch ». Dans la manifestation parisienne, il était en effet beaucoup question de la mission flash d’un mois confiée mardi 31 mai par le président de la République au docteur François Braun, président du syndicat Samu-Urgences de France.

C’est le troisième rapport sur les urgences qui sera rendu depuis 2017, les deux précédents ayant été commandés en 2018 et 2019 par la ministre de la santé Agnès Buzyn. « Le diagnostic est fait », rappelle Nathalie Marchand.

Il peut ainsi se résumer à gros traits. La politique de restrictions budgétaires menée depuis 2008 à l’hôpital a rendu insupportables les conditions de travail des soignant·es, qui perdent le sens de leur métier. Les petits salaires des personnels non médicaux les poussent un peu plus à fuir, en masse. Quant aux médecins, ils ne sont plus assez nombreux et sont toujours très mal répartis sur leur territoire. Même les plus investis finissent par quitter l’hôpital public, écœurés (lire notre enquête au CHU de Bordeaux).

Comment casser ce cercle vicieux délétère ? Les manifestant·es réclamaient mardi des hausses de salaire susceptibles de ramener les soignant·es vers l’hôpital public. « Nous avons besoin de tout le personnel : les non-vaccinés, les médecins étrangers en attente de régularisation, nos collègues partis travailler en Suisse ou en Belgique », énumérait Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération CGT santé action sociale. Un consensus semble au moins se dégager pour une valorisation des gardes de nuit et de week-end à l’hôpital, aujourd’hui très mal payées.

Et pour soulager les cent vingt services d’urgence en très grande difficulté, la solution trouvée aux urgences de Bordeaux pourrait se généraliser : l’accès aux urgences, au moins la nuit, pourrait être réservé aux seules urgences évaluées au préalable par le 15, le numéro d’appel du Samu.

Seulement « le nombre d’appels va exploser, le Samu va être le prochain service à craquer », prévient l’infirmier des urgences de l’hôpital Beaujon Pierre Schwob Tellier, membre du Collectif inter-urgences. « Et si tout cela se termine par des refus d’envoyer les secours… », craint-il, en faisant référence au tragique décès de Yolande Gabriel, dont les problèmes cardiaques n’ont pas été pris au sérieux, et qui a attendu les secours plus d’une heure, comme l’a révélé Mediapart.

Le docteur Pelloux a rappelé à quel point, aux urgences, le code de la santé publique est aujourd’hui foulé aux pieds : « Les services d’urgence devraient être ouverts 24 heures sur 24, ils devraient être accessibles à tout Français en 30 minutes maximum. »

Après Bordeaux, la tension monte à Toulouse
À l’approche de l’été, les points chauds se multiplient jusque dans les plus grands hôpitaux. Après Bordeaux, c’est au tour du CHU de Toulouse de fermer son principal service d’urgences, celui de l’hôpital Purpan. Depuis le week-end dernier, elles n’accueillent que les urgences vitales, de jour et de nuit, en raison d’un mouvement de grève massif du personnel paramédical.

« Il y a énormément de postes vacants, car les conditions de travail sont trop pénibles, explique Julien Terrié, de la CGT du CHU. Un binôme entre une infirmière et une aide-soignante prend en charge entre vingt-cinq et quarante patients par jour, c’est inédit. Depuis un mois, trois alertes pour danger grave et imminent ont été déposées. L’agence régionale de santé est prévenue. Mais il ne se passe rien. Ils ne comprennent que le rapport de force. Le personnel des urgences est en majorité en grève ou en arrêt maladie. »

À Toulouse, la mobilisation est en train d’essaimer dans les services. Les urgences obstétricales et la maternité, débordées, ont entamé un mouvement de grève depuis deux semaines. Est également en grève, depuis trois semaines, le personnel paramédical de la salle de réveil, auquel a été accordée une prime de soins intensifs d’une centaine d’euros, mais de manière erratique.

L’infirmière Valérie l’a reçue, mais pas l’infirmier Yohan, « et aucune aide-soignante du service », racontent-ils. « On a fait trois mouvements de grève, suivis jusqu’à près de 100 %. Mais nous sommes assignés par la direction, qui nous envoie les huissiers au réveil. Elle joue la politique de la culpabilité. Mais ce sont eux qui cherchent à nous diviser, à couler l’hôpital. »

Caroline Coq-Chodorge