Réforme retraites 2023

Libération - Réforme des retraites : déni et mépris, le cocktail Macron est explosif

Janvier 2023, par Info santé sécu social

En assumant sa « détermination » depuis Barcelone alors que plus d’un million de personnes ont manifesté dans le pays jeudi, le chef de l’Etat se trompe et alimente la rancœur de nombreux Français.

par Jonathan Bouchet-Petersen

publié le 20/01/2023

La légitimité des urnes contre celle de la rue. L’élection contre l’opinion. Souvent spécieuse, la dualité n’est pas nouvelle. Il ne s’agit pourtant pas d’opposer ces deux valeurs, mais plutôt de toujours chercher à les faire cohabiter. Oui, comme il l’a rappelé, Emmanuel Macron a fini en tête du premier tour de la dernière présidentielle – un résultat sur lequel a pesé le contexte naissant de guerre en Ukraine. Oui, les forces politiques qui le soutiennent ont ensuite obtenu une majorité, toute relative qu’elle soit, à l’Assemblée nationale. Cela donne la main sur l’agenda, pas les pleins pouvoirs.

Car il est tout aussi vrai, et le chef de l’Etat ne l’a singulièrement pas évoqué dans son court développement jeudi depuis Barcelone, qu’il a remporté le scrutin au deuxième tour dans un contexte de barrage face à l’extrême droite qui ne peut être lu comme une validation pleine et entière de son programme. Si la gauche a largement voté pour lui, c’est pour éviter au pays une victoire de Marine Le Pen et pas parce qu’elle s’est finalement laissée convaincre par ses propositions.

Vague promesse de « dialogue »
En matière économique, le parti Les Républicains avait, on s’en souvient, crié au plagiat, ce qui dit quelque chose de la droitisation du président sortant. Au soir du deuxième tour, Emmanuel Macron avait d’ailleurs publiquement promis de ne pas zapper ces circonstances particulières et, mieux, d’en tenir compte. Les premiers mois de ce deuxième quinquennat ne l’ont pas montré. Autres faits incontestables : les Français sont très majoritairement hostiles à la réforme des retraites portée par le gouvernement et plus d’un million d’entre eux ont manifesté un peu partout en France jeudi pour marquer leur opposition derrière un front syndical uni. Cela ne se balaye pas d’un revers de main avec une vague promesse de « dialogue ».

Cette photographie posée, on aimerait qu’Emmanuel Macron ne s’enferme pas dans une forme de déni dont le pays, quel que soit le résultat du vote à l’Assemblée où LR s’apprête à voler au secours de la majorité macroniste, n’a pas besoin. Il ne suffira pas d’une adoption du texte au Palais-Bourbon puis au Sénat pour éteindre le rejet, la colère et in fine la rancœur à l’égard d’une réforme considérée par la plupart des Français comme injuste et, par une proportion à peine plus faible, comme pas nécessaire.

A trop affirmer que sa « détermination » est totale quelle que soit la force de la rue, c’est un sentiment de mépris qu’Emmanuel Macron vient alimenter. Le mot a d’ailleurs été repris par le patron de la CFDT, Laurent Berger, pour appeler les Français à se mobiliser contre le report de l’âge légal à 64 ans et une trop faible prise en compte de la pénibilité de nombreux métiers. Déni plus mépris, le cocktail est explosif. Les semaines qui viennent nous en diront plus sur la réalité du rapport de force, mais la balle apparaît clairement dans le camp du « président de tous les Français ».