Réforme retraites 2023

Libération - Réforme des retraites : le gouvernement ouvert à ne rien concéder

Janvier 2023, par Info santé sécu social

L’exécutif s’efforce de se montrer conciliant sur l’emploi des seniors ou la pénibilité, mais n’affiche nulle volonté de bouger sur les fondements de la réforme. L’opposition attend l’arrivée du texte dans une semaine à l’Assemblée nationale.

par Jean-Baptiste Daoulas et Laure Equy
publié le 24 janvier 2023

L’ouverture comme posture. Un chef de l’Etat demandant au gouvernement d’« aménager » la réforme des retraites au Parlement, un ministre des Comptes publics convaincu qu’« il n’est jamais trop tard pour se parler », son collègue chargé du Travail prêt à « améliorer » le projet de loi… pour mieux dissimuler une absence de concessions. Le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) présenté en Conseil des ministres lundi matin est similaire à la réforme dévoilée par Elisabeth Borne il y a deux semaines. Les déclarations tout miel de l’exécutif depuis la forte mobilisation syndicale du 19 janvier ne servent pour l’instant qu’à habiller son inflexibilité sur le recul de l’âge légal de départ à 64 ans et l’accélération du passage à 43 ans de cotisation. « Le président de la République a dit sa détermination, et sa détermination est identique à celle du gouvernement », a rappelé lundi le ministre du Travail, Olivier Dussopt, lors du compte-rendu du conseil des ministres.

Car les strictes conditions posées pour accepter la moindre modification au projet se multiplient comme autant de clauses écrites en tout petits caractères au bas du contrat. Aucune augmentation d’impôt ne saurait ainsi être intégrée – exit la proposition de hausse des cotisations patronales formulée par le président du Modem, François Bayrou –, ni de baisse des pensions, y compris pour les retraités les plus aisés. Surtout, le gouvernement veut garder bien serrés les cordons financiers du système de retraites. Ainsi Dussopt promet-il de se montrer « ouvert » vis-à-vis de tout amendement… pour peu qu’il ne vise pas à « renoncer au retour à l’équilibre financier du système en 2030 ni aux fondamentaux de la réforme ». Voilà qui réduit considérablement les marges de négociation… « Ça cornaque un peu le truc, je vous l’accorde. Par définition, on ne touche pas à l’équilibre financier », concède un dirigeant de la majorité. Revenir sur les deux mesures d’âge ? Le ministre du Travail l’exclut totalement, assumant son « désaccord avec les organisations syndicales » qui réclament leur retrait : « Revenir sur ce point serait renoncer à l’équilibre et, donc, manquer de responsabilité pour les générations futures. »

Pas de quoi inquiéter le Medef
Les macronistes se montrent, pour l’heure, tout aussi fermes sur la revalorisation du minimum contributif (pour une carrière complète) à 1 200 euros brut (pas en net), et sur l’effet de bord du report de l’âge légal pour certains actifs qui ont commencé à travailler très jeunes et devront cotiser 44 ans s’ils veulent partir avant l’âge légal. « La perfection n’est malheureusement pas de ce monde, il y aura toujours des écarts », a lâché, fataliste, Olivier Dussopt. Certains députés LR, comme Aurélien Pradié, se sont montrés vigilants à l’égard de ces perdants de la réforme. « Les LR, qui veulent faire de la vertu budgétaire leur marque de fabrique, ne pourront pas dégrader la copie », parie un cadre de Renaissance qui ne croit pas au bras de fer avec la droite lors du débat à l’Assemblée. Aucun geste non plus pour les mères bénéficiant de trimestres majorés pour enfants, qui seront neutralisés par le report de l’âge légal. Quant à la suggestion – plus baroque – du Modem de passer aux 35,5 heures de travail par semaine, c’est un grand niet. La Première ministre a prévenu leur chef de file à l’Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei : « Le Président n’a aucune intention d’ouvrir un débat sur les 35 heures ! »

Que reste-t-il alors à négocier ? « Je ne peux pas vous répondre avant d’avoir les amendements des uns et des autres », a botté en touche Borne pendant ses vœux à la presse, lundi après-midi. « Je sais qu’il y a des questions sur les rachats de trimestres, sur les huit trimestres dont vous pouvez bénéficier quand vous avez un enfant », a-t-elle pointé sans s’attarder. La question des contraintes imposées aux entreprises pour les pousser à conserver leurs salariés les plus âgés reste particulièrement floue. Dussopt a confirmé une sanction financière pour les entreprises de plus de 300 salariés qui ne publieraient pas leurs données sur l’emploi des seniors. Et celles qui ne feront aucun effort pour maintenir les seniors dans l’emploi ? Celles-là ne risqueraient qu’une « obligation de négociation d’un accord sur l’emploi des seniors », a annoncé Dussopt. Pas de quoi faire trembler les murs du Medef.

Affiner la stratégie à l’Assemblée
Quand la cheffe du gouvernement incite ses troupes à se démultiplier sur le terrain, c’est moins pour tenir compte des « inquiétudes des Français » que pour tenter de les convaincre du bien-fondé de la réforme en l’état. Et lorsque les ministres se jurent ouverts sur une évolution du texte, ils nuancent illico en estimant que le projet a déjà beaucoup bougé au fil des « concertations » menées cet automne avec les syndicats. Et de rappeler que le report de l’âge légal a été revu à la baisse, de 65 à 64 ans, et que la revalorisation du minimum contributif a été étendue pour permettre aux retraités actuels d’en bénéficier. Début janvier, l’idée était en effet de parvenir tôt à un compromis – notamment afin d’amadouer LR. Par ailleurs, la majorité croyait alors que les députés de La France insoumise allaient noyer le débat sous des dizaines de milliers d’amendements. Au cas où l’examen parlementaire serait enlisé, autant déposer, sur la table du conseil des ministres, une copie quasi définitive.

Il leur faut désormais réinventer leur stratégie. Au lieu de l’obstruction attendue de LFI – « Pour nous, c’est du pain bénit, on envoie le texte au Sénat », se réjouissait déjà un conseiller de l’exécutif – la majorité doit s’adapter à une tactique plus fine des députés de gauche. Ces derniers, qui misent sur une extension du mouvement social après la journée de mobilisation du 31 janvier, salivent à l’idée d’une démobilisation sur les bancs de la majorité et de la droite. Avec l’espoir de battre le gouvernement sur le fond de la réforme. De quoi pousser l’exécutif au compromis pour élargir le soutien à son texte ? L’exécutif « ne veut pas donner l’impression de dialoguer avec la rue », explique un conseiller de l’exécutif qui ajoute : « On ne va pas dire maintenant aux députés ce sur quoi on pourrait lâcher. » Dans le doute, autant gagner du temps.