Réforme retraites 2023

Libération - Réforme des retraites : pourquoi Gérald Darmanin devrait arrêter de parler de sa mère

Février 2023, par Info santé sécu social

Le ministre de l’Intérieur a coutume de convoquer l’exemple de sa mère à chaque fois qu’il évoque le sujet des retraites. Et ce n’est pas vraiment à l’avantage de la réforme voulue par le gouvernement.

par Cédric Mathiot
publié le 31 janvier 2023

C’est une manie. A chaque fois qu’il s’agit de « vendre » une réforme des retraites, Gérald Darmanin abat son joker : sa maman. L’actuel ministre de l’Intérieur trouve toujours un moyen d’illustrer les bienfaits des propositions de son camp (ou les vices des propositions de l’opposition) en convoquant l’exemple de sa mère. Les diverses interventions où Darmanin a évoqué ce cas maternel permettent d’en dresser le profil : elle a commencé à travailler tôt, mais sans cotiser dans ses premières années (à en croire le ministre, elle aidait sa propre mère dans un bar, et n’était pas déclarée). Elle a donc une carrière incomplète, l’obligeant à attendre l’âge du taux plein (67 ans) pour partir sans décote. Enfin, son niveau de retraite attendu (entre 1500 et 1700 euros) la met au dessus du plafond des minima de pension.

Demeure une incertitude sur l’emploi exercé par sa maman. Gérald Darmanin la présente sur les plateaux de télévision comme « femme de ménage ». Dans une biographie consacrée au ministre de l’Intérieur (1) et publiée en 2021, Anita Hausser et Jean-François Gintzburger affirment qu’Annie Darmanin (Ouakid de son nom de jeune fille) « exerce depuis plus de trente-cinq ans la fonction de concierge de la Banque de France ». Et de préciser : « Elle est en charge de deux des immeubles de l’immense patrimoine immobilier que l’institution possède dans le quartier du Palais-Royal et de la place des Victoires, au-dessus de la Souterraine. Et c’est là que le jeune Gérald a passé son enfance et son adolescence. »

L’explication de cette apparente contradiction est livrée dans les pages suivantes : « Annie Darmanin, énergique petite femme blonde, fait partie de cette France qui se lève tôt. Elle exerce en réalité deux métiers : elle fait des ménages pour compléter ses revenus de concierge. »

« Cette gauche qui n’a jamais réglé les cas comme ceux de ma mère »
Dans une interview au Parisien en fin de semaine dernière, Gérald Darmanin a donc, comme d’habitude, fait appel à cette figure maternelle, pour fustiger l’inaction de la gauche : « Elle part en retraite en juillet prochain, à plus de 67 ans. Pourquoi si tard ? Parce qu’elle est comme ces nombreuses femmes qui ont eu un métier difficile, une vie professionnelle hachée, et que c’est le seul moyen pour elle de vivre avec une retraite d’un peu plus de 1 500 euros par mois. Il y a donc beaucoup d’hypocrisie de la part de cette gauche qui, quand elle était au pouvoir, n’a jamais réglé les cas comme ceux de ma mère. »

Premier point amusant : Darmanin vitupère la gauche de n’avoir pas « réglé » le cas de sa mère… mais il est remarquable de constater que la réforme qu’il porte aujourd’hui n’y changera absolument rien. Ainsi, la mère de Gérald Darmanin – ou toute autre personne ayant eu une carrière hachée et ayant débuté tard – ne sera nullement mieux traitée après la réforme qu’auparavant. Elle devra donc attendre ses 67 ans pour partir sans décote. Et le montant de la retraite évoquée (1 500 euros) place Annie Darmanin au-dessus du plafond d’éligibilité pour le minimum contributif : la maman du ministre n’a donc rien à attendre de la revalorisation de ce dernier.

On ajoutera que Gérald Darmanin, plutôt que de fustiger l’inaction de la gauche, pourrait aussi dénoncer l’action de son propre camp. Car c’est bien la réforme menée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy en 2010, quand Darmanin faisait ses premiers pas en politique au sein de l’UMP, qui a décalé de 65 à 67 ans l’âge du taux plein. Obligeant donc sa maman à travailler deux ans de plus pour partir sans décote.

« On fait gagner trois ans de travail à ma mère, trois ans à ramasser la merde »
Mais il y a plus cocasse : s’il se désole que personne n’ait rien fait, Darmanin doit surtout s’en prendre à lui-même et à ses propres effets d’annonce. Car il y a trois ans, c’est le même qui promettait précisément de réformer les retraites pour permettre à sa maman de partir plus tôt.

Emmanuel Macron ne jurait alors que par la réforme des retraites dite « systémique », prévoyant un passage à un système par points. Le 5 décembre 2019, sur France 2, Darmanin déclarait ainsi : « Moi je connais une femme de ménage, c’est ma mère. A 62 ans, elle part en retraite et elle a 700 euros de moins que si elle partait à 67 ans. C’est pas la réforme des retraites que j’ai envie d’avoir aujourd’hui. J’ai envie de lui dire : “tu as travaillé toute ta vie à te lever à 5 heures du matin, tu vas pouvoir partir à la retraite à taux plein, et c’est nous qui allons le faire”. Aujourd’hui, pour que ma mère ait une retraite à taux plein, pour qu’elle vive dignement, faut qu’elle travaille jusqu’à 67 ans. Avec la réforme qu’on propose, elle partira à taux plein à 64 ans. On fait gagner trois ans de travail à ma mère, trois ans à se lever à 5 heures du matin à ramasser la merde… »

A l’époque, le projet de réforme prévoyait une possible réduction à 64 ans (au lieu de 67 ans, donc) de l’âge d’annulation de la décote en cas de durée de cotisation insuffisante. Une mesure qui aurait permis à des personnes ayant eu des carrières hachées dans des métiers difficiles de pouvoir espérer partir à taux plein avant 67 ans (2).

Mais voilà, cette promesse de réforme à points est restée lettre morte. C’est d’abord le Covid qui est passé par là, gelant toute avancée sur le sujet. En novembre 2021, Emmanuel Macron a prudemment renvoyé à un éventuel quinquennat à venir la réalisation de la réforme : « Le besoin de concorde dans ce moment que vit notre nation fait que les conditions ne sont pas réunies pour lancer aujourd’hui ce chantier. »

Lors de la campagne présidentielle, Macron et ses troupes remettent le sujet sur la table. Et à nouveau, Gérald Darmanin fait la retape du projet de la majorité en place, en promettant à sa mère un meilleur sort. Le 13 avril 2022, face à Jordan Bardella, Darmanin reprend ainsi la même démonstration déjà faite fin 2019 (avec des chiffres légèrement différents) : « Je suis venu avec la feuille de retraite de ma maman. Elle me le pardonnera. Elle est femme de ménage, et son âge de départ à la retraite, c’est 61 ans et 2 mois. Mais si elle était partie à 61 et 2 mois, elle serait partie avec une grosse décote, avec 1 300 euros. Donc elle doit attendre ses 66 ans et 2 mois pour partir avec une retraite acceptable, qui est la moyenne des Français, entre 1 500 et 1 700 euros. Et si elle veut gagner à peu près 2 000 euros par mois, il faudrait qu’elle travaille jusqu’à 70 ans et 2 mois. » A la question posée : « Avec votre réforme, votre mère partirait à la retraite à taux plein à quel âge ? » le ministre répond : « Elle partirait à 65 ans à taux plein au lieu de 66 ans et 2 mois… »

Difficile de savoir à quelle mesure précise Darmanin se référait alors, puisque le projet de réforme était encore fort imprécis. Mais ce qui est sûr, c’est que cette promesse faite aux personnes dans la situation de sa mère de permettre un départ avant 67 ans à taux plein, formulée fin 2019 et en avril 2022, est bien nulle et non avenue : les gouvernements auxquels Darmanin a pris part n’ont rien fait pour aller dans ce sens, pas plus que l’actuel et son projet réforme en cours de discussion. Lequel n’a plus rien à voir avec le modèle d’une retraite à points, se basant sur un recul « classique » de l’âge légal (et un maintien à 67 ans de l’âge du taux plein).

Le ministre aurait donc plutôt intérêt à cesser de mobiliser un exemple qui montre surtout que l’exécutif n’a pas fait ce qu’il promettait de faire.

(1) Gérald Darmanin, les secrets d’un ambitieux, Editions de l’Archipel

(2) Si cette réforme aurait permis en théorie d’annuler l’effet de la décote dès 64 ans, la personne partant à cet âge gardait toutefois une retraite moindre qu’à 67 ans, ayant logiquement accumulé moins de points.