Réforme retraites 2023

Médiapart - Réforme des retraites et de l’assurance-chômage : deux faces d’une même pièce

Février 2023, par Info santé sécu social

La réforme des retraites n’est pas indépendante de celle de l’assurance-chômage, qui entre en vigueur mercredi 1er février. C’est bien plutôt son complément, visant à discipliner le monde du travail au profit d’un système productif en crise structurelle.

Romaric Godin

Mercredi 1er février, la deuxième réforme de l’assurance-chômage entre en vigueur, réduisant de 25 % la période d’indemnisation des nouveaux chômeurs. Cette mesure vient après une première réforme qui avait, en moyenne, réduit de 16 % les indemnités des demandeurs et demandeuses d’emploi. L’application de cette violente réforme, au moment même où le gouvernement s’apprête, malgré l’opposition majoritaire de l’opinion, à repousser de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, rappelle la violence structurelle de l’exécutif à l’égard du monde du travail.

Derrière le masque moralisateur de la « valeur travail » affiché à tout propos, se révèle une action déterminée et concrète contre celles et ceux qui, chaque jour, sont soumis à la réalité du travail dans le capitalisme contemporain. Cette « valeur » qui serait porteuse de tout bien et de tout mérite n’a d’ailleurs pour fonction que d’invisibiliser cette réalité, celle de l’intensification du travail, des burn-out, des pressions physiques et morales et des accidents du travail.

Une même invisibilisation préside aux deux réformes, celle de l’assurance-chômage et celle des retraites. Le « travail » serait une activité neutre et abondante, dont on pourrait à volonté moduler la quantité. En réalité, il n’en est rien : la quantité de travail disponible et la qualité de ce travail ne sont nullement déterminées par les travailleurs, mais bien par le système productif, lui-même contrôlé par les capitalistes.

Dès lors, ces réformes sont non seulement étroitement liées, mais ont aussi une fonction précise dans le cadre du capitalisme actuel. C’est sans doute ce qui explique la rigidité de l’exécutif dans l’application de l’une comme de l’autre. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a souvent varié sur nombre de sujets, mais il n’a jamais bougé sur sa volonté d’affaiblir les positions des travailleurs face à leurs employeurs.

Le chômage, sous-produit de la réforme des retraites
Or ces deux réformes vont encore dans ce sens. Lorsque l’on augmente l’âge légal de départ à la retraite, on contraint les travailleurs âgés à travailler davantage. Les effets de cette mesure sur le marché du travail sont assez discutés par les économistes, mais en réalité, il n’existe que deux possibilités. La première, c’est que les travailleurs restent en poste. C’est ce que prétend le gouvernement en affirmant que le taux d’emploi des plus âgés augmente avec le report, ce qui est, par ailleurs, assez logique, puisque les gens doivent travailler davantage pour prétendre à leur pension.

Mais comme on l’a vu, ce ne sont pas les travailleurs qui décident de leur emploi. Il existe donc une autre possibilité : celle que les entreprises continuent de se débarrasser de leurs effectifs les plus âgés, considérés comme trop chers et pas assez productifs. Dans ce cas, les futurs retraités sont versés dans la catégorie « demandeurs d’emploi ».

En fait, il est inutile, pour ce qui nous occupe, de trancher cette question. Dans le premier cas, le maintien en emploi deux ans de plus réduit l’offre de postes libérés par les départs à la retraite pour les autres générations. Dans le second cas, la réforme augmente le chômage des plus anciens. Autrement dit : la réforme crée du chômage à court terme.

L’étude d’impact du projet de loi de réforme des retraites évite très soigneusement cette question (comme d’ailleurs toutes les conséquences macroéconomiques de la réforme), s’en tenant à une hypothèse « de long terme », entièrement arbitraire, d’un taux de chômage de 4,5 %. Les projections de l’OCDE ne laissaient cependant aucun doute sur l’effet négatif du recul de l’âge légal sur le chômage à court terme. Or, en matière économique, le court terme représente la plus grande probabilité.

Cette étude d’impact signale, au reste, que le taux de chômage des générations partant à la retraite est de 13 %, soit plus du double de celui de la population générale. Autrement dit, si l’activité des personnes les plus âgées augmente avec le report de l’âge, le chômage augmente proportionnellement davantage. Le tout sans compter l’effet sur les autres générations.

Pression sur le monde du travail
C’est là que la réforme des retraites entre en cohérence avec celle de l’assurance-chômage. Elle participe de la contrainte qui sera imposée sur les demandeurs d’emploi, futurs retraités ou non. En terme macroéconomique, elle permet de maintenir une « armée de réserve » qui fait pression à la baisse sur les salaires. Cette pression s’exerce d’ailleurs moins par la quantité de main-d’œuvre que par l’acceptation forcée des bas salaires.

On peut ici le résumer aisément. La salariée (ou le salarié) qui aura perdu son emploi après ses 60 ans se retrouvera avec des droits au chômage réduits et un parcours allongé avant sa retraite. La pression sera donc plus forte pour qu’elle (ou il) accepte le premier emploi disponible, y compris le plus pénible ou le plus mal payé, puisque l’enjeu est ici de survivre jusqu’à la pension. Ce qui, en passant, exerce une pression sur les emplois disponibles pour les autres générations, rendant les augmentations de salaire et les améliorations des conditions de travail moins urgentes.

En cela, la réforme répond à deux des principales préoccupations du moment du capital. La première est celle de résister à toute demande de hausse salariale, alors que le taux de chômage recule. La seconde est de faire en sorte que les travailleurs acceptent les emplois proposés, qui sont souvent pénibles et mal payés. Ces deux préoccupations peuvent se résumer en une seule : le capitalisme contemporain est un capitalisme de bas régime, avec des gains de productivité faibles, voire négatifs.

Dans ce cadre, les emplois sont à la fois abondants et nécessairement mal rémunérés et avec des conditions de travail détériorées. Dès lors, les deux problèmes se posent immédiatement : la préservation des profits suppose une résistance à toute revendication d’amélioration des conditions de travail et des salaires. Mais cette réalité même rend peu attractifs les emplois proposés, ce qui peut conduire à des manques de main-d’œuvre dans certains secteurs. C’est là tout le paradoxe de ce plein-emploi en trompe-l’œil que nous promet l’actuel système économique.

La seule solution à ce problème est alors la contrainte : il faut obliger les travailleurs à accepter l’état existant de l’emploi et, pour cela, il faut faire pression sur ses conditions de subsistance. C’est absolument la fonction des trois réformes mises en œuvre depuis 2020 par le chef de l’État. Durcir les conditions d’accès et d’indemnisation à l’assurance-chômage, et rendre plus difficile l’accès à la retraite conduit alors à vouloir discipliner le monde du travail dans l’intérêt du capital. Il permet d’exonérer ce dernier de toute réflexion sur le contenu des emplois qu’il crée.

Derrière les boniments se cachent bien la guerre sociale et la violence de classe.

En cela, ces réformes sont des formes évidentes de violence sociale et de politique de classe. Il n’y a là rien d’étonnant de la part de ce pouvoir qui mène depuis des années cette même politique, non seulement dans le domaine du travail (dès les ordonnances de 2017), que dans celui, par exemple, de la politique fiscale.

Dès lors, le débat sur le financement du système de retraite et ses déficits, utilisé pour justifier, d’ailleurs fort maladroitement, la réforme, n’est qu’un rideau de fumée. Une des raisons de cette réforme est bien davantage, comme Emmanuel Macron l’avait assez benoîtement revendiqué pendant des mois, de contraindre la population à « travailler plus ». Un surcroît de travail rendu nécessaire par un système économique en crise structurelle.

On le comprend : « le plein-emploi » promis par le gouvernement et utilisé pour justifier les réformes de l’assurance-chômage et de la retraite est une fable. C’est un plein-emploi sans augmentation des salaires, un plein-emploi de contraintes et de pression et, finalement, un plein-emploi de misère. Car derrière les boniments se cachent bien la guerre sociale et la violence de classe.

L’enjeu de la lutte actuelle contre la réforme des retraites dépasse donc le seul enjeu du report de l’âge légal de départ à la retraite. Il s’agit aussi de refuser une future dégradation de la condition des travailleurs et, plus globalement, de s’interroger sur le contenu des emplois.

En réalité, cette mobilisation a le potentiel, de par l’objet qu’elle conteste, de poser des questions devenues fondamentales : que devons-nous produire, comment et dans quel but ? Des questions que la crise écologique rend incontournables. Et c’est bien à cela que l’avenir du monde du travail et celui de l’humanité sont directement liés. Et c’est pourquoi cette lutte concerne toute la société, et en particulier la jeunesse.

Romaric Godin