Réforme retraites 2023

Libération - Retraites : les syndicats rentrent dans le dur

Février 2023, par Info santé sécu social

Faute de concessions par le gouvernement après une quatrième mobilisation réussie, les syndicats veulent un pays « à l’arrêt » le 7 mars. Mais ne s’entendent pas encore sur le principe d’une grève reconductible.

par Dominique Albertini et Nicolas Massol
publié le 12/02/2022

Droit dans leurs bottes, mais avec pédagogie. Au lendemain des manifestations de samedi, qui ont vu près d’un million de personnes prendre la rue à travers la France, le gouvernement et la majorité semblent moins prêts que jamais à transiger sur le cœur de leur projet : le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. « On demande des efforts à des millions de Français, nous devons expliquer pourquoi, a maintenu Aurore Bergé, présidente des députés Renaissance à l’Assemblée nationale, dans le Journal du dimanche. Il ne faut jamais couper le fil du dialogue et continuer à démontrer la nécessité de la réforme. »

Sur France 3, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a jugé que le gouvernement a déjà suffisamment modifié son texte. « La réforme que je porte à l’Assemblée n’est pas la même [qu’]il y a quatre ou cinq mois […] Nous étions sur une réforme à 65 ans, nous sommes revenus à 64 ans. La réforme que nous portons intègre des dispositions sur les carrières longues, sur la retraite minimum, sur l’emploi des seniors. » Et de conclure sur le constat d’un « désaccord insurmontable » sur l’âge légal de 64 ans. Commentaire agacé du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, interrogé au même moment sur RTL : « J’entends encore dire “il faut qu’on explique”, il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots. […] C’est pas une question d’explication, c’est une question d’opposition. »

Seul Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, n’a pas formé la porte à toute évolution : « Nous sommes par définition ouverts à ce que les parlementaires améliorent tous les dispositifs qu’on leur présente », a-t-il promis sur France Inter, citant la volonté de la Première ministre de « bouger sur un point important : les plans de licenciement massifs, collectifs des seniors par les grosses entreprises ». Elisabeth Borne « va aligner la fiscalité des ruptures conventionnelles et des départs à la retraite, de manière que les entreprises ne soient plus incitées fiscalement, lorsqu’elles veulent réduire leur masse salariale, à commencer par les seniors », a développé Véran. On est encore loin des attentes syndicales. « Il y a une porte de sortie : que le gouvernement retire sa réforme et fasse le choix de la feuille blanche », explique à Libé Laurent Escure, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa).

« Faire une journée marquante »

Pour y inciter l’exécutif, l’intersyndicale a résolu samedi de franchir un palier dans la mobilisation, appelant à « mettre le pays à l’arrêt » le 7 mars, si d’ici là l’exécutif et le Parlement « restent sourds » à leurs demandes. « Ça veut dire que, le même jour, tout le monde s’arrête de travailler, poursuit Laurent Escure. Si on est conducteur, les gens ne seront pas transportés. Si on est aide à domicile, on ne va pas chercher les enfants. Il faut que des millions de Français fassent le choix d’arrêter pour montrer leur détermination à rejeter cette réforme. »

Pour les syndicats, il s’agit de durcir le rapport de force alors que la première lecture du texte à l’Assemblée s’achèvera vendredi, probablement sans concession majeure du gouvernement. « Oui, le 7, on veut faire une journée marquante, a exposé Laurent Berger. “A l’arrêt”, ce sont des mots que je revendique, c’est même ma formule, si vous voulez savoir. » Le patron du premier syndicat français s’est référé à « des choses qui existent en Espagne, [comme] des commerçants qui baissent leur rideau au moins symboliquement pendant une heure ou deux ».

Dans les défilés, samedi, bien des manifestants interrogés par Libération souhaitaient eux aussi un changement de braquet. « Macron nous prend pour des enfants, il joue au parent qui sait mieux ce qui est bon pour nous, sauf qu’au bout d’un moment, va peut-être falloir foutre le boucan à la maison », prévenait Laurent, 55 ans, agent de maîtrise chez Safran. « La question qui se pose maintenant, c’est comment cranter la mobilisation, c’est-à-dire passer à un niveau supérieur, parce que les cortèges entre braves gens gentils, le gouvernement les ignore », abondait Fabien, un cheminot venu en famille.

« Des grèves plus dures, plus nombreuses »
Toutefois, si le programme du 7 mars fait consensus dans l’intersyndicale, c’est moins vrai de la suite des opérations. Passé cette date, a prévenu le patron de la CGT, Philippe Martinez, « si le gouvernement continue à s’entêter […] oui, il faudra passer à la vitesse supérieure avec des actions plus marquées, plus longues, des grèves plus dures, plus nombreuses, plus massives et reconductibles ». Un scénario que refuse encore d’évoquer Laurent Berger. « On a décidé hier d’un communiqué où il est écrit le 7 [mars], il n’y a rien d’écrit d’autre […] Si vous voulez me demander si la ligne de la CFDT est la même en toutes circonstances que la CGT, la réponse est non. » Samedi toutefois, l’intersyndicale (CGT, FO, Unsa, CFE-CGC) de la RATP a appelé, pour la première fois dans ce mouvement, à une grève reconductible à partir du 7 mars.

Il n’en fallait pas plus, côté gouvernement, pour dénoncer un projet de « blocage » du pays. « On peut contester une réforme mais en aucun cas on ne doit porter atteinte à ce qui est un droit fondamental pour les Français : déposer ses enfants le matin à l’école, prendre un RER ou un bus pour aller bosser, faire son plein d’essence », prévient Aurore Bergé, pour qui les syndicats « ont conscience qu’ils n’ont pas intérêt à emprunter cette voie ». A quoi s’ajoute, pour de nombreux Français, la difficulté de mener une grève prolongée alors que l’inflation pèse lourd. « Ça me coûte très cher, exposait Sylvie, comptable, interrogée par Libé lors de la manifestation de samedi, à Nice. Je perds 92 euros à chaque fois. Il faut être conscient que tout le monde ne peut pas se le permettre, surtout avec l’inflation. Comment on fait à la fin du mois ? Ce n’est pas possible. » Agente des services hospitaliers, Leslie souffre du même dilemme. « C’est la première fois que je viens. D’habitude, à chaque fois que je veux faire grève, je perds 75 euros. Et surtout, je suis réquisitionnée. »

Malgré ces difficultés, un sondage réalisé par Viavoice pour Libé, début février, a de quoi conforter les syndicats : 63% des sondés soutenaient le mouvement, 5 % souhaitaient le voir « s’intensifier », et 41% jugeaient que des blocages « renforceraient » sa crédibilité, contre 43% pensant l’inverse. Durcir le mouvement « est un risque, mais pour l’instant, l’opinion publique nous incite à le prendre, estime Laurent Escure, de l’Unsa. Les Français acceptent les blocages quand ils sentent que la bataille est légitime et gagnable. Souvenez-vous du CPE [contrat première embauche en 2006], de 1995 [plan Juppé] et de 1986 [projet de loi Devaquet sur les universités]. La statistique joue pour nous. » Et avec un peu d’huile de coude, le rapport de force aussi.