Réforme retraites 2023

Médiapart - RETRAITES : LE COUP DE FORCE DE MACRON

Février 2023, par Info santé sécu social

Retraites : comment le gouvernement a perdu la bataille médiatique
Sur les plateaux des grandes radios et télévisions, des ministres ont été sévèrement secoués par les journalistes pour avoir menti sur la pension minimale de retraite à 1 200 euros. Sur les sujets économiques, on n’était plus habitués à pareille rébellion. Mais cela s’explique.

Mathias Thépot
16 février 2023

À trop se moquer du monde, le gouvernement a fini par se prendre les pieds dans le tapis. En guise de contrepartie au recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, il avait en effet annoncé qu’il instaurerait une « retraite minimale à 1 200 euros pour tous » en cas de carrière complète, déclarant même que deux millions de personnes pourraient en bénéficier. Un argument marketing fort… mais dont il n’a jamais été question dans le projet de loi.

On sait désormais que le gouvernement n’envisage qu’une revalorisation jusque 100 euros brut maximum des pensions pour les carrières complètes, et que les petites retraites inférieures à 1 000 euros par mois – qui résultent de périodes de travail à temps partiel – seront bien loin des 1 200 euros annoncés.

La semaine du 10 janvier, plusieurs médias de presse écrite – Mediapart en tête à travers un article de Dan Israël – avaient vu l’entourloupe et avertissaient face au risque que cette annonce soit considérée comme une fausse promesse et devienne une énorme source de malentendus pour toutes celles et ceux chez qui elle avait fait naître un espoir.

Mais le gouvernement, pensant certainement que ces critiques resteraient confinées dans le petit cercle des journalistes de presse écrite spécialistes des sujets sociaux, a fait fi de ces avertissements. Ainsi, les ministres et les député·es Renaissance se sont démultiplié·es sur les plateaux des grandes chaînes pour clamer haut et fort ce chiffre de 1 200 euros.

Des ministres chahutés
Hélas pour le gouvernement, l’entourloupe est finalement arrivée aux oreilles des présentateurs des émissions phares des médias à forte audience. Ce, en premier lieu, grâce à l’économiste Michaël Zemmour, l’un des rares spécialistes du sujet en France, qui a levé le lièvre lors d’un débat sur la matinale de France Inter du 7 février : « Tout le monde a compris qu’on aurait pour une carrière complète 1 200 euros minimum, certains ont même compris que tout le monde aurait au moins 1 200 euros. C’est totalement faux […]. Par exemple, une personne qui aurait eu une partie de sa carrière à temps partiel ne les aurait pas », a-t-il lancé aux journalistes Léa Salamé et Nicolas Demorand, pris de court car ils ne s’imaginaient pas que le gouvernement se risquerait à pareille bourde.

La séquence a créé le buzz. Les jours suivants, sur les plateaux des grandes chaînes et radios, les membres du gouvernement se sont fait plus que chahuter par les journalistes. Sur BFMTV le 9 février, le ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester, s’est ainsi retrouvé malmené par Aurélie Casse ; sur France Info le 12 février, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a été mis face à ses contradictions par Thomas Snégaroff ; sur France Inter le mercredi 15 février, le ministre du travail, Olivier Dussopt, a également éprouvé toutes les peines du monde à répondre clairement aux accusations de Léa Salamé et de Nicolas Demorand.

Enfin, citons la chronique au vitriol du 8 février sur France 5 de l’éditorialiste Patrick Cohen – pourtant pas réputé pour son regard critique sur les réformes néolibérales du gouvernement – face au ministre des transports, Clément Beaune.

Cette révolte quasi unanime, les journalistes des émissions de grande écoute ne nous y avaient pas habitués. Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’exécutif développe des arguments flous, voire fallacieux, pour défendre ses réformes économiques. Rappelons que lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron assurait que ses mesures de baisse de la fiscalité du capital et des cotisations sur les salaires avaient permis de relancer l’économie.

Or, les études scientifiques sérieuses ne manquent pas pour démonter cet argumentaire. Le comité d’évaluation de l’institut rattaché à Matignon France Stratégie, notamment, a bien indiqué que le crédit d’impôt compétitivité emploi, transformé en 2019 en baisse de cotisations sociales, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) – une flat tax à 30 % sur les revenus du capital – ont bénéficié aux plus aisés et n’ont pas eu d’impact significatif sur l’investissement et les salaires.

Et que dire des deux réformes visant à durcir les règles de l’assurance-chômage, qui ont déboussolé les économistes en vue sur le sujet, tels Bruno Coquet ou même Esther Duflo, Prix de la Banque de Suède en hommage à Alfred Nobel. Ils ont respectivement déclaré sur Mediapart et France Inter que « rien ne démontre que durcir les règles de l’assurance-chômage soit efficace » et qu’« on ne voit absolument pas la preuve » que la baisse des allocations incite les chômeurs et les chômeuses à reprendre un emploi.

Peu confronté à ces arguments dans les médias grand public, le gouvernement se disait dès lors certainement qu’il n’était pas à un mensonge près pour la réforme des retraites. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas passé. Comment l’expliquer ?

Un économiste qui a fait changer les choses
En fait, comme le dit l’économiste atterré Thomas Porcher, habitué des plateaux de télévision, « toutes les conditions étaient réunies pour que le gouvernement se prenne une claque sur les 1 200 euros ». Ils ont d’abord vu leur argumentaire réduit à néant par un expert compétent sur le fond, l’économiste Michaël Zemmour. « C’est lui qui a fait changer les choses », analyse une présentatrice de télévision. Certes bien connu des journalistes spécialisés sur les sujets sociaux – il était déjà monté au créneau lors de la précédente tentative de réforme des retraites fin 2019 –, il ne l’était en revanche pas des grands présentateurs. « Il y a un mois, personne ne le connaissait », confirme l’un d’entre eux.

Sachant qu’il était l’un des rares contradicteurs sur le fond à avoir une parole libre – de nombreux spécialistes des retraites travaillent dans l’administration et sont donc soumis à un devoir de réserve –, Michaël Zemmour a pris le parti d’aller dans les médias pour aborder les détails techniques de la réforme. « Ce que j’ai tenté de faire, c’est de donner une grille de lecture critique de la reforme à la fois solide et vérifiable, en tentant, autant que faire se peut, de ne pas prendre position, de ne pas me payer de mots, d’expliquer les arbitrages politiques du gouvernement, et d’apporter la contradiction au niveau où le débat se pose vraiment », explique-t-il.

Une stratégie qui n’est pas dans les habitudes des universitaires. Car « faire de l’expertise de réforme en cours, ce n’est pas prestigieux. Les économistes sont avant tout jugés sur leurs publications », ajoute-t-il. Mais à un moment donné, l’intérêt général doit primer. Michaël Zemmour s’est donc fait violence et répond positivement à la quasi-totalité des sollicitations des médias sur les retraites, portant une attention toute particulière à être le plus clair possible pour le grand public.

« Il est très pédagogue, explique calmement les choses en donnant aux auditeurs une sorte de boîte à outils d’arguments critiques. C’est très efficace », juge Thomas Porcher. Après près d’une dizaine de passages dans les médias à alerter sur le mensonge du gouvernement sur les 1 200 euros, la sauce a fini par prendre lors de la matinale de France Inter du 7 février.

« C’est la victoire des économistes qui bossent et étudient l’impact des réformes sur la vie des gens sur ceux qui croient aux formules magiques néolibérales », se réjouit Thomas Porcher. À demi-mot, Michaël Zemmour ne dit pas autre chose : « Pour aller expliquer que le recul de l’âge de départ à 64 ans est nécessaire pour résorber le déficit du système et améliorer le taux d’emploi, il y a beaucoup de monde ; mais pour parler décote, surcote, etc., il y en a un peu moins… », concède-t-il.

Les retraites, pas une réforme comme les autres
Du reste, pour qu’une telle expertise critique soit mise en valeur et portée à l’oreille du grand public, il faut que les principaux médias suivent. La première condition : que le sujet fasse de l’audience. « Les médias sont très cyniques : c’est l’audience qui fait foi, et s’il n’y avait eu que 300 000 personnes dans les rues, ils seraient passés à autre chose rapidement », explique une présentatrice.

Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. « La mobilisation a été massive, les syndicats sont restés unis, et les manifestations se sont bien passées », ajoute Thomas Porcher. Dès lors, « à partir du moment où les médias de grande écoute ont compris que l’opinion publique était radicalement contre la réforme, ils ont fait le suivi du mouvement, laissant la parole à la critique. À mon sens, le vrai point de bascule, il est là », estime Michaël Zemmour.

En effet, « il y a un très grand intérêt de notre public pour le sujet des retraites, y compris pour entrer dans le détail de la réforme », constate une directrice de chaîne. Rien à voir, par exemple, avec la réforme de « l’assurance-chômage », qui « ne concerne pas tout le monde », au contraire des retraites, et qui a un effet repoussoir pour l’audience : « Le chômage, c’est un accident de la vie qu’on espère le moins long possible. Personne ne se revendique chômeur, c’est une des difficultés pour traiter ces sujets », ajoute-t-elle. À l’inverse, quand on parle des retraites, « on parle du rapport au travail, de l’organisation de la société, des classes sociales, répartition de la valeur, etc. C’est beaucoup plus en rapport avec un projet de vie ». De quoi inciter les chaînes à en faire leurs gros titres.

Un journaliste d’un autre média audiovisuel confirme : « Comme cela concerne beaucoup notre audience, les retraites ont une place à l’antenne qui est démultipliée, comparées aux autres réformes. » Ce qui permet d’affiner les angles d’attaque. « Dans l’audiovisuel, on manque souvent de temps pour creuser nos sujets, pour faire un boulot solide et contradictoire face à la mécanique bien huilée de la communication du gouvernement. Avec les retraites, ce n’est pas le cas, on a plus de temps. »

C’est l’effet boule de neige de la mobilisation sociale ! « Plus elle est forte, plus les syndicats et les travailleurs font les gros titres, et plus on a de l’espace pour entrer dans le détail de la réforme et contredire les arguments du gouvernement. »

Naufrage du gouvernement
En outre, il faut bien le dire : au sein des médias, on croit peu au bien-fondé de cette réforme. « Personne n’est à l’aise avec ce texte, dit la directrice de chaîne. Le gouvernement nous parle d’abord de report de l’âge légal et après il bricole pour compenser les inégalités, et un certain nombre sont mises sous le tapis. Il est parti du mauvais pied. »

En outre, « personne n’incarne cette réforme », renchérit une présentatrice. « On ne voit que des technocrates venir sur les plateaux expliquer qu’il faudra travailler deux ans de plus. Même à droite, les gens se demandent pourquoi ils viennent nous embêter avec cette réforme. »

Enfin, impossible de ne pas mentionner l’énormité des mensonges du gouvernement, qu’aucun média sérieux ne peut éluder. « Au début, le gouvernement a affirmé que cette réforme était juste », se rappelle la présentatrice. Or, rapidement, en janvier, on s’est rendu compte qu’elle ne l’était pas, pour les femmes notamment. Franck Riester s’est retrouvé contraint d’avouer le 23 janvier sur Public Sénat que les femmes étaient « un peu pénalisées par le report de l’âge légal, [qu’il] n’en disconv[enait] absolument pas », car, a-t-il rappelé, « les trimestres par enfant ne jouent pas sur le report de l’âge, ils jouent sur la durée de cotisation ». De quoi entamer durement la confiance dans le projet de l’exécutif.

Confiance qui fut réduite à peau de chagrin par la polémique sur la pension minimale de 1 200 euros. « Plein de gens qui ont des toutes petites retraites entre 800 à 900 euros se sont dit qu’on leur donnerait 300 euros de plus. Somme qu’ils ne toucheront jamais », résume Michaël Zemmour, qui voit dans cette séquence « un vrai manque d’imaginaire social » de la part de l’exécutif .

Clairement, avec cette réforme, le gouvernement a donné le bâton pour se faire battre. Plus inquiétant, en s’entêtant à répéter ses éléments de langage erronés, il a accentué la décrédibilisation de la parole politique vis-à-vis du grand public, déjà bien mal en point.

Mathias Thépot