Réforme retraites 2023

Médiapart - 1 200 euros : Dussopt KO debout à l’Assemblée

Février 2023, par Info santé sécu social

Interrogé par un député socialiste, le ministre du travail s’est révélé incapable d’expliquer d’où provenait le chiffre de 40 000 personnes concernées par la retraite à 1 200 euros. Acculé, Olivier Dussopt a répondu : « Je n’ai pas à rendre de comptes.
Pauline Graulle
16 février 2023

Des chiffres au doigt mouillé et un ministre qui reste sec. À un peu plus de vingt-quatre heures de la fin de l’examen du texte, qui s’achèvera vendredi à minuit à l’Assemblée nationale, le socialiste Jérôme Guedj a, une nouvelle fois, mis le ministre chargé de la réforme face à ses contradictions.

Jeudi 16 février, en début d’après-midi, le député de l’Essonne a ainsi révélé devant la presse que le ministre du travail, Olivier Dussopt, qui affirmait, mardi sur France Inter, que 40 000 retraités percevraient le minimum contributif à hauteur de 1 200 euros, n’avait en réalité reçu aucune information de la part de la Direction de la Sécurité sociale (DSS), pourtant seule administration apte à donner un tel chiffrage.

« La Direction de la Sécurité sociale m’a confirmé qu’elle n’était pas à l’origine de ce chiffre de 40 000 personnes avancé par le ministre et qu’elle ignorait d’où il venait. Il est donc non sourcé, non documenté », a ainsi déclaré Jérôme Guedj qui, au titre de ses fonctions à la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Meccs), qu’il co-préside depuis le 9 février, dispose de pouvoirs d’investigation « sur pièces et sur place » dans les administrations liées à la Sécurité sociale. « Quand j’ai entendu Dussopt dire sur France Inter qu’il avait une “prévision”, qui lui “ét[ait] arrivée hier”, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de flou, d’insécure, et j’ai donc voulu vérifier d’où venait cette prévision », a-t-il relaté.

D’où sa visite express, ce jeudi matin, avenue Duquesne, où siège la DSS. Un rendez-vous fructueux, lors duquel le député socialiste a glané quelques autres informations intéressantes. Par exemple sur le nombre de personnes concernées par le rehaussement des pensions promises par le gouvernement.

Selon les estimations de l’organisme, un peu plus de 13 000 personnes de la génération 1962, qui liquideront leurs droits à la retraite en 2024, percevront la revalorisation maximale de 100 euros l’an prochain. Soit seulement 1,7 % du total des 798 000 personnes concernées. Pour le reste, un tiers des bénéficiaires devraient voir leur pension augmenter de moins de 30 euros, et 50 %, de moins de 40 euros. Une information qui avait d’ailleurs été transmise, a indiqué la DSS au socialiste, au ministre du travail à… la mi-janvier, mais qu’Olivier Dussopt n’a manifestement pas jugé bon de diffuser.

« J’ai souvent dit que c’était la “réforme Dracula” : elle ne supporte pas la lumière des parlementaires et des journalistes », a conclu Jérôme Guedj, qui a tancé des prévisions « au doigt mouillé » émanant du ministre.

« Je n’ai pas à rendre de comptes »
De retour dans l’hémicycle à 15 heures, les élus socialistes, épaulés par le reste des députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), se sont évertués à demander des précisions à Olivier Dussopt qui siégeait sur le banc des ministres.

« D’où vient ce chiffre de 40 000 personnes, qui a d’ailleurs été divisé par quatre depuis le 15 janvier [Olivier Dussopt avait alors parlé de 200 000 personnes concernées – ndlr] ? », a questionné Jérôme Guedj. « Le gouvernement est responsable devant le Parlement. Je m’interroge sur les éléments fournis et la sincérité du texte », a enchaîné le député communiste Pierre Dharréville. « On ne peut pas avoir de bons débats si les infos transmises aux parlementaires ne sont pas les bonnes ! Vous devez répondre aux questions des parlementaires ! », a abondé l’Insoumis Manuel Bompard.

Malgré les réticences manifestes de la présidente de la séance, la députée Horizons Naïma Moutchou, à laisser la gauche s’exprimer – la séance n’étant pas propice aux « batailles de chiffres » et au « fact-checking [vérification des faits] », a-t-elle argué –, Olivier Dussopt a été contraint de sortir de son silence.

S’adressant à Jérôme Guedj, il a estimé que celui-ci n’avait « rien dit de nouveau » : « Sur ces 17 millions de retraités [actuels – ndlr], 1,8 million vont voir leur pension revalorisée. 50 % auront une augmentation de 70 à 80 euros par mois », a-t-il affirmé. Puis, s’appuyant cette fois non pas sur la génération 1962 mais sur la génération 1972, il a répété qu’« en 2030, 40 000 personnes atteindront une retraite de 1 200 euros ».

« La vérité, M. Guedj, c’est que vous perdez les pédales. Vous ne savez pas comment vous refaire la cerise ! », a-t-il poursuivi sous les protestations de la gauche, avant que le député du MoDem, également co-président de la Mecss, Cyrille-Isaac Sibille, ne vienne porter secours au ministre : « Si Jérôme Guedj a parlé de 13 000 personnes pour la génération 1962, c’est bien 40 000 pour la génération 1972. Les chiffres sont là. Il y a bien 1,8 million de retraités qui vont bénéficier de cette mesure, en moyenne de 50 euros par mois, ce n’est pas rien. »

Pas de quoi pour autant convaincre la gauche, qui a continué son feu roulant de questions à l’attention d’Olivier Dussopt dans une série de rappels au règlement. « Les yeux dans les yeux, je vais vous poser une question, a insisté Jérôme Guedj. Quand et par qui avez-vous eu les informations à l’appui desquelles vous faites vos déclarations ? Sur France Inter, vous avez dit que vous aviez eu “des prévisions transmises hier” : auprès de quelle administration ? »

« Je travaille avec de multiples services, je n’ai pas à rendre de comptes sur la manière dont je fais les prévisions », a rétorqué Olivier Dussopt après avoir « retiré » son « expression malheureuse » sur son collègue qui « perd[rait] les pédales ». Une ultime intervention qui a déclenché la colère sur les bancs de la Nupes, la députée insoumise Clémentine Autain s’interrogeant à son tour sur « la sincérité des débats », et Boris Vallaud faisant remarquer que sans « un certain nombre d’éléments portés à la connaissance » des députés, il leur était impossible de « voter en conscience ».

L’affaire arrive en tout cas au plus mauvais moment pour un gouvernement en majorité relative au Palais-Bourbon, et qui a par conséquent impérativement besoin d’alliés de circonstance pour faire voter sa réforme. Or, plus les jours passent, plus le nombre de députés Les Républicains (LR) qui doutent de la pertinence de soutenir le texte s’accroît.

Après les mensonges de l’exécutif sur les pensions portées à 1 200 euros et le flou, aggravé par les déclarations de la première ministre mardi, sur les carrières longues – un coin que les députés de la Nupes n’ont eu de cesse d’enfoncer depuis vingt-quatre heures –, les informations de Jérôme Guedj ne sont pas pour rassurer les troupes LR.

« Vu l’ambiance en interne, il y a de plus en plus de chances que nous ne soyons pas assez nombreux à voter pour sauver le gouvernement », s’inquiétait, ce jeudi, un député LR favorable à la réforme, mais désormais persuadé que la première ministre serait obligée de recourir au 49-3 quand le texte reviendra du Sénat. « Or, un 49-3 dans un moment pareil, ce sera explosif. »

Pauline Graulle