Réforme retraites 2023

Libération - Retraite minimale à 1 200 euros : Emmanuel Macron ne comprend pas sa propre réforme

Février 2023, par Info santé sécu social

Lors de sa visite au Salon de l’agriculture, samedi 25 février, le président de la République a voulu justifier le périmètre de la revalorisation des petites pensions en invoquant la « valeur travail ». Il a surtout montré qu’il méconnaissait le dispositif du minimum contributif sur lequel s’appuie la réforme.

La pédagogie sur un sujet complexe comporte un risque : celui de montrer qu’on ne comprend pas soi-même ce qu’on prétend expliquer. Illustration en a été donnée par Emmanuel Macron samedi 25 février lors de sa visite au Salon de l’agriculture. Le Président est revenu sur ce qui est décidément le « boulet » de la réforme des retraites, à savoir la fameuse pension minimale à 1 200 euros. Et il a largement contribué à embrouiller une affaire déjà pas simple au départ. Voilà ce qu’a déclaré Emmanuel Macron : « Ces 1 200 euros pour la retraite minimale, c’est pour ceux qui ont une carrière complète. Et c’est juste. Parce que si vous faites toute votre carrière à mi-temps, que moi je fais toute ma carrière à temps plein, qu’on arrive à la retraite, qu’on a la même retraite, à juste titre, je vais dire : “Je me suis fait avoir.” Parce que j’ai travaillé toute ma vie à temps plein et que vous avez travaillé toute votre vie à mi-temps et on a la même retraite, c’est pas juste. Il faut valoriser le travail, sinon, on ne pourra jamais convaincre les gens qu’il faut travailler pour pouvoir construire un avenir à sa famille. C’est ça l’esprit de la réforme »

Cette ode à la valeur travail, censée résumer « l’esprit de la réforme », tombe un peu comme un cheveu sur la soupe : car la revalorisation des petites pensions prévue par le projet gouvernemental ne va pas du tout favoriser les salariés à temps plein par rapport à ceux ayant fait carrière à temps partiel. En fait, c’est même plutôt le contraire, comme nous l’avions expliqué il y a déjà plus d’un mois.

Brève introduction au « mico »
Reprenons donc : le minimum contributif (ou « mico ») vise à assurer une retraite minimum aux personnes ayant cotisé au régime général et ayant des petites pensions. Les bénéficiaires doivent avoir atteint le taux plein. Ce qui suppose : soit d’avoir quarante-trois ans de durée d’assurance (à partir de la génération née en 1965), soit d’avoir liquidé ses droits (faute d’avoir la durée d’assurance requise) à l’âge du taux plein (67 ans), soit d’être parti au titre de l’inaptitude ou de l’invalidité.

Le « mico » est versé au titre de la pension de base. Son montant est actuellement de 684 euros (il serait de 709 euros avec la réforme). Ce qui signifie que la pension de base peut être portée à ce montant.

Il existe également une majoration, uniquement accessible pour les salariés ayant cotisé au moins 120 trimestres au régime général. La majoration est aujourd’hui de 63 euros. Elle serait revalorisée de 75 euros supplémentaires avec la réforme (passant donc à 138 euros). Ainsi, le mico majoré est aujourd’hui de 747 euros. Il passerait alors à 847 euros (+100 euros par rapport à la situation actuelle).

Une personne ayant travaillé une carrière complète a donc aujourd’hui l’assurance de voir sa pension de base portée à 747 euros, 847 euros avec la réforme. A quoi s’ajoute sa retraite complémentaire.

Le minimum contributif n’est pas calculé de la même manière en cas de carrière complète ou de carrière incomplète. Pour les personnes n’ayant pas de carrière complète, le montant de base du « mico » est proratisé en proportion de la durée d’assurance. La majoration du « mico » aussi va être proratisée, proportionnellement à la durée de cotisation (à la condition donc de dépasser 120 trimestres cotisés).

Mais contrairement à ce que semble croire le président de la République, cette notion de carrière « complète » ou « incomplète » n’a rien à voir avec la question du temps plein ou du temps partiel. On peut parfaitement avoir réalisé une carrière complète (en ayant donc validé, et cotisé, tous les trimestres requis) tout en étant resté à temps partiel durant toute sa vie professionnelle.

On touche là une spécificité du « mico », ignorée d’Emmanuel Macron (tout comme de son ministre du Travail Olivier Dussopt) : il ne fait aucune distinction entre le temps partiel et le temps complet.

La réforme va profiter davantage à des salariés à temps partiel
De manière cocasse, une personne ayant fait une carrière complète à temps partiel va même pouvoir davantage bénéficier de la revalorisation minimum contributive prévue par la réforme que la personne ayant sa carrière complète à temps plein ! A complet rebours de ce qu’explique le président de la République.

C’est ce qu’on constate en regardant la note qu’a produite l’IPP (institut des politiques publiques) sur l’impact des réformes sur les petites pensions.

Prenons d’abord l’exemple d’une personne ayant eu une carrière complète au smic à temps plein. Après liquidation, sa pension de base est d’environ 770 euros. Jusqu’à présent, ce salarié ne profitait pas du minimum contributif, puisque sa pension de base était supérieure au montant du « mico » majoré (747 euros à ce jour). Avec la réforme, le minimum contributif majoré serait porté à 847 euros. Le salarié verrait donc, sa pension de base passer de 770 à 847 euros. Soit un gain de 77 euros.

Prenons maintenant l’exemple d’une personne ayant eu une carrière complète au smic à mi-temps. Au moment de la liquidation, sa pension directe est de 380 euros environ. Ayant tous ses trimestres, elle voit également sa pension de base portée au « mico » majoré, c’est-à-dire 747 euros. Après la réforme, la même personne verrait sa retraite de base passer à 847 euros (nouveau montant du « mico » majoré). Le gain sera donc de 100 euros.

Elle profitera donc davantage de la réforme que la personne ayant travaillé à temps plein. Tant pis pour la « valeur travail » chère au président.

Le seul point sur lequel Macron a raison, c’est que le salarié ayant eu une carrière à mi-temps n’atteindra probablement pas les 1 200 euros (à la différence du salarié à temps plein). Mais cela n’a donc rien à voir avec la réforme.

C’est uniquement parce que sa retraite complémentaire (sur laquelle la réforme n’a aucune prise) sera trop basse (du fait de sa carrière à temps partiel). Selon l’exemple type choisi par l’IPP, le salarié ayant eu une carrière complète à mi-temps touche ainsi 170 de retraite complémentaire. Qui s’ajoutent à la pension de base portée au mico. Ce qui donne une pension totale de 917 euros avant réforme, et 1 017 euros après réforme. A l’inverse, le salarié ayant eu une carrière à temps plein verra lui sa pension totale s’approcher des 1 200 euros, du fait d’une complémentaire plus importante (350 euros dans l’exemple de l’IPP).

Mais le salarié ayant fait sa carrière à temps partiel aura bien eu un gain, grâce à la réforme, plus important que celui ayant travaillé à temps complet.