Réforme retraites 2023

Libération - Réforme des retraites : le gouvernement demande un « vote bloqué » au Sénat, via l’article 44-3

Mars 2023, par Info santé sécu social

Pour accélérer l’examen de sa réforme des retraites au Sénat, l’exécutif va lui demander au gouvernement d’Elisabeth Borne de se prononcer en une fois sur le texte.

par Victor Boiteau, Dominique Albertini et Damien Dole
publié le 10/03/2023

Le gouvernement veut accélérer. Alors que le Sénat a jusqu’à dimanche pour achever l’examen de la réforme des retraites, Olivier Dussopt a annoncé ce vendredi au Sénat l’usage de l’article 44 alinéa 3 de la Constitution. Moins connue que le « 49.3 », qui permet l’adoption sans vote d’un texte, cette disposition permet qu’une assemblée, à la demande de l’exécutif, « se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

En somme, il s’agit pour l’exécutif de mettre aux voix, en une fois, la version du texte qu’il souhaite voir adoptée : manière d’éviter que la discussion parlementaire s’en éloigne trop. A lui seul, cependant, il a peu d’effet sur la durée des débats. Il ne met pas fin aux débats et, s’il empêche le vote des amendements non retenus, il n’interdit pas à leurs auteurs de les défendre. Dans sa déclaration devant les sénateurs, le gouvernement par la voix de Dussopt « demande à l’Assemblée de se prononcer par un vote unique sur l’ensemble du texte ainsi que sur les articles 9 à 20 », en retenant une série d’amendements et de sous-amendements.

Pour le sénateur communiste Pierre Laurent, ce 44-3 est « le 49.3 sénatorial ». « Les Français doivent savoir que c’est un coup d’Etat que vous venez de déclencher ici au Sénat. Vous allez tristement marquer l’histoire », a étrillé la sénatrice socialiste Sabine Van Heghe. Pour le sénateur LR Roger Karoutchi, en revanche, la gauche sénatoriale « porte la responsabilité que le gouvernement doive céder, malheureusement, à une méthode plus autoritaire ». « Ici nous sommes sous la Ve République, a ajouté Bruno Retailleau. La cause, c’est vous, c’est votre obstruction » Réponse du président du groupe Europe écologie-les Verts, Guillaume Gontard : « Victor Hugo avait appelé son chien Sénat. Le Sénat est devenu le toutou du gouvernement. »

L’article 44-3 permet « au gouvernement de placer une assemblée devant ses responsabilités », résument Guy Carcassonne et Marc Guillaume dans « La Constitution » (Points, 2019). « C’est une arme à l’emploi facile, aux effets précis, aux finalités variées », mais dont l’abus « devient la marque de la brutalité du gouvernement comme de l’aliénation du Parlement ». Son usage est peu fréquent ces dernières années. Il y a notamment été fait recours lors de deux précédentes réformes des retraites, en 2010 sous François Fillon et en 2013 sous Jean-Marc Ayrault.

Pour accélérer franchement la discussion, le gouvernement peut combiner le 44-3 à son alinéa précédent, le 44-2, qui lui permet de « s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la Commission ». Le ministre du Travail Olivier Dussopt a fait usage de cette disposition dans la soirée de jeudi, pour écarter de nombreux amendements des sénateurs de gauche sur l’article 9 de son texte.

Dans la nuit de mardi, c’est le président des sénateurs LR Bruno Retailleau, horripilé par la multiplication des amendements de gauche, qui avait invoqué une autre disposition : l’article 38 du règlement intérieur du Sénat, qui permet de limiter à un par groupe le nombre d’orateurs intervenant sur un texte. L’usage de ces outils visant à accélérer le débat pourra être apprécié par le Conseil constitutionnel, estime le juriste Jean-Philippe Derosier : selon lui, l’instance « pourrait considérer que la multiplication de ces armes parlementaires a nui aux principes de sincérité et de clarté du débat ».

Côté syndicat, la Fédération des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT), à la pointe du combat de la réforme contre les retraites, n’a pas tardé à réagir. « Ce passage en force au Sénat par l article 44-3 démontre le déni de démocratie du gouvernement, fustige Fabrice Coudour, numéro 2 de la fédération. C’est un 49.3 déguisé qui pousse à l’escalade de la colère. Le gouvernement et le président Macron […] porteront seuls les responsabilités d’une démocratie sociale bafouée ! » Dans un communiqué, Force ouvrière dénonce « le choix d’activer l’article 44-3 pour aller directement au vote sans attendre la fin des débats », « un passage en force brutal, à l’image du projet de réforme des retraites » à ses yeux. La centrale « appelle à amplifier le mouvement dès demain puis à compter du 15 mars ».

Mise à jour à 12h03 : avec la déclaration d’Olivier Dussopt.

Mise à jour à 12h10 : avec les déclarations de sénateurs et de la FNME-CGT.

Mise à jour à 12h50 : avec le communiqué de Force ouvrière.