Réforme retraites 2023

Libération -Navette parlementaire. Réforme des retraites : les sénateurs adoptent le texte après dix jours de débat et un vote bloqué

Mars 2023, par Info santé sécu social

A l’issue de dix jours de débats et au prix d’un usage contesté d’outils réglementaires par la majorité sénatoriale et le gouvernement, les sénateurs ont adopté le projet de loi réformant le système de retraites.

(mis à jour le 11 mars 2023 à 23h39)

Echec et mat pour la gauche, soupir de soulagement pour le gouvernement. Au terme de onze jours de débats, le Sénat a adopté, ce samedi soir, à 23h35, le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 – c’est-à-dire le véhicule retenu par l’exécutif pour réformer le système de retraites. Les sénateurs ont voté à une large majorité cette réforme phare du second quinquennat Macron, qui repousse l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans : 195 voix pour, 112 contre et 37 abstentions.

« C’est notre réforme, c’est ici qu’elle est née. Nous la voterons parce que nous l’avons modifiée, c’est notre texte que nous allons voter ! » a assumé Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, juste avant le vote. « Cette journée restera une journée noire pour tous les salariés de ce pays », a rétorqué la sénatrice socialiste Monique Lubin à la tribune. « Votre réforme est une réforme idéologique, vous n’avez jamais été favorables aux mesures qui permettent aux salariés de vivre mieux », a encore lancé celle qui est aussi membre du Conseil d’orientation des retraites. « Jamais un texte n’a été autant impopulaire. La pièce qui s’est jouée au Sénat crée un précédent et est dangereuse pour la démocratie parlementaire » , a cinglé la sénatrice écologiste Raymonde Poncet au moment de l’explication de vote de son groupe.

Pour l’exécutif, l’enjeu était de taille : offrir un minimum de légitimité parlementaire à une réforme largement contestée par les oppositions politiques, les organisations syndicales et l’opinion publique. Objectif raté à l’Assemblée, qui avait atteint le terme fixé aux débats sans avoir adopté l’intégralité du texte. C’est le cas au Sénat, 24 heures avant le terme fixé à dimanche soir. De nouvelles étapes attendent encore le texte dans les prochains jours. Une commission mixte de députés et de sénateurs doit s’accorder mercredi sur sa rédaction définitive, avant qu’il ne soit soumis le lendemain à un vote à haut risque de l’Assemblée. A moins que le gouvernement décide d’utiliser l’impopulaire article 49 alinéa 3 de la Constitution : celui-ci lui permettrait de faire adopter la réforme sans vote, tout en s’exposant à une motion de censure.

Débats accélérés
Depuis le début de l’examen du texte, jeudi 2 mars, le Sénat a vu s’affronter une majorité – non pas macroniste, mais de droite et du centre – accrochée à la défense du texte, et une gauche désireuse d’en découdre. Cette dernière a multiplié les amendements pour contrarier l’examen du texte et, si possible, empêcher son adoption avant le terme fixé à dimanche, comme cela avait auparavant été le cas à l’Assemblée. En retour, le gouvernement et le groupe LR ont eu recours à un lourd attirail réglementaire et constitutionnel pour hâter les travaux de la chambre haute.

Entre les groupes d’opposition socialiste, écologiste, communiste et la majorité de droite, les choses avaient pourtant débuté par un accord informel sur le rythme des débats. Un gentleman agreement laissait la gauche libre de défendre ses milliers d’amendements sans être entravée, quitte à ralentir la discussion. Et ce jusqu’à l’article 7, relatif à l’âge de départ, examiné le même jour que la mobilisation du 7 mars. En contrepartie, la gauche s’engageait à retirer de gros paquets d’amendements une fois l’article 7 voté.

Pour cette dernière, l’objectif demeurait toutefois d’empêcher l’adoption de l’ensemble du texte, moyen, à ses yeux, d’affaiblir la légitimité démocratique de la réforme. L’accord initial a donc déraillé dans la nuit de mardi à mercredi, quand le président du groupe Les Républicains Bruno Retailleau a dégainé l’article 38 du règlement intérieur de Sénat, permettant de précipiter les débats en limitant le nombre d’orateurs. Crescendo, la majorité sénatoriale a usé – et abusé, selon la gauche – de toutes les ficelles réglementaires pour s’assurer d’un vote final. Jusqu’au déclenchement vendredi par le ministre du Travail, Olivier Dussopt, de l’article 44 alinéa 2 et 3 de la Constitution, pour accélérer encore les débats et contraindre, en bout de course, les parlementaires à un vote unique sur l’ensemble du texte.

« Coup de force »
De quoi excéder la gauche, qui a hurlé au « coup de force », et même au « coup d’Etat », expression de la sénatrice socialiste Sabine Van Heghe. A la reprise des débats samedi matin, les élus de gauche répétaient tous, lors de leurs prises de parole, la même phrase : « Vous avez décidé de dévitaliser la fonction parlementaire par l’addition de toutes les procédures que vous offrent la Constitution et le règlement. Vous espériez sans doute que nous laissions la retraite des Français entre les mains des droites coalisées. Nous ne sommes pas dupes, les Français non plus. Nous ne lâcherons rien, nous ne lâcherons pas. »

Au Plateau, sous les statues de marbre de Turgot et de Colbert, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’est voulu le garant de l’image courtoise et sérieuse de l’institution. « Je souhaite que nous ayons un débat, mais que nous ne caricaturions pas notre assemblée », a-t-il ainsi exposé le 7 mars pour justifier le recours à l’article 38. Pas de quoi convaincre les sénateurs de l’opposition qui l’ont accusé, tout au long des débats, de tordre le bras aux pratiques de la deuxième chambre. « Le président Larcher s’est assis sur son propre règlement », a ainsi tonné dans l’hémicycle la présidente du groupe communiste, Eliane Assassi.

Issue incertaine

Où qu’elle se place dans l’opposition au macronisme, la droite sénatoriale lui a apporté, sur ce texte, un soutien quasiment sans faille. Mercredi soir, malgré quinze abstentions et deux votes contre, les troupes de Bruno Retailleau ont largement voté le cœur de la réforme, l’article 7 reportant l’âge légal de départ à 64 ans. Il est vrai que les LR, en retour, ont cuisiné le texte à leur sauce, en adoptant leurs propres amendements. Comme une majoration des pensions des mères de famille allant jusqu’à 5% et réservée à celles ayant eu des enfants et dépassé, avant l’âge de départ, les 43 annuités de cotisation. En tout état de cause, les sénateurs LR ont été pour le gouvernement de plus rassurants alliés que l’illisible groupe LR à l’Assemblée.

L’Assemblée n’ayant pas adopté l’ensemble du texte, la suite se jouera le mercredi 15 mars en commission mixte paritaire (CMP). Composée de sept sénateurs et d’autant de députés, celle-ci sera chargée d’accoucher d’un texte commun. Il fait peu de doute qu’un compromis sera trouvé, le camp présidentiel et la droite étant majoritaires en CMP. Le texte final sera ensuite soumis au vote des députés et des sénateurs, jeudi. Aucun suspens au Sénat, mais la partie sera plus délicate à l’Assemblée, où le groupe LR, dont les voix sont indispensables aux macronistes, pourrait se diviser. S’il juge trop forte l’incertitude, l’exécutif pourrait recourir 49.3, comme il l’avait fait à plusieurs reprises cet automne sur le budget. Vendredi, Emmanuel Macron a indiqué que « le Parlement suivra les termes de notre Constitution pour qu’un texte législatif puisse aller à son terme ».