Réforme retraites 2023

Médiapart - RETRAITES : LE COUP DE FORCE DE MACRON

Mars 2023, par Info santé sécu social

Après le 49-3, que reste-t-il aux oppositions pour gagner la bataille ?

Alors que la mobilisation sociale continue dans la rue, les oppositions disposent de trois leviers constitutionnels pour empêcher l’application de la réforme des retraites : la motion de censure, un recours au Conseil constitutionnel et un référendum d’initiative partagée.

Mathieu Dejean et Pauline Graulle
17 mars 2023

Une première victoire, enfin. Vendredi en fin d’après-midi, c’est avec la mine des bons jours que Jean-Luc Mélenchon reçoit quelques journalistes dans un petit bistrot de la Madeleine (Paris). Le gouvernement vient de dégainer son 49-3 sur la réforme des retraites, sonnant peut-être le glas de son quinquennat et ouvrant la voie à une crise politique et institutionnelle dont personne ne connaît l’issue.

Derrière son sirop d’orgeat, l’ancien candidat à la présidentielle a l’œil qui frise et des espoirs plein la tête : « C’est une victoire, dit-il, mais il faut aller pas à pas et maintenir entrelacées la bataille parlementaire et la bataille sociale. À chaque moment, il faut ouvrir la voie pour le jour suivant. »

Jean-Luc Mélenchon en est persuadé : c’est dans les heures à venir que le destin de cette réforme va se jouer. « Macron a déjà perdu. Maintenant, il faut qu’on gagne l’abrogation. »

Mais comment ? En bon théoricien de la révolution citoyenne, le leader des Insoumis estime que seul le mouvement social pourra, in fine, avoir raison de la loi. « Le premier outil qu’on a, c’est la grève », confirme son lieutenant, Manuel Bompard. Face au coup de force du pouvoir, il reste néanmoins trois outils institutionnels dans l’escarcelle des oppositions pour bloquer l’adoption du texte en dernier ressort.

La motion de censure, d’abord, qui, en cas de vote majoritaire à l’Assemblée nationale, pourrait faire tomber le gouvernement ; le recours au Conseil constitutionnel ensuite, qui sera déposé en début de semaine par les députés de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) ; le lancement d’un processus de référendum d’initiative partagée (RIP) enfin, pour tenter d’abroger la loi via le recours à une grande consultation démocratique.

Une motion de censure pour faire tomber le gouvernement

C’est la onzième fois que le gouvernement engage sa responsabilité en déclenchant le 49-3 depuis le début de la législature. C’est la onzième fois que l’opposition, comme elle en a le droit, dépose une motion de censure.

Si les précédentes ont toutes été portées par la gauche, en particulier par La France insoumise (LFI), cette fois-ci la Nupes s’est ralliée à la motion de censure transpartisane qui sera défendue par le groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Le Rassemblement national a annoncé qu’il en défendrait une de son côté.

Le texte de Liot, qui se concentre sur l’utilisation du 49-3, considéré comme l’« apogée d’un déni de démocratie inacceptable dans sa constance et son mépris de nos institutions et de nos corps sociaux », a été rédigé de manière à pouvoir recueillir un maximum de voix lors de son passage dans l’hémicycle, probablement lundi. Il en faut 287 pour faire chuter le gouvernement.

Pour atteindre cet objectif, il faudra convaincre une trentaine de députés Les Républicains (LR) de voter pour la motion de censure. Une gageure, même pour les plus récalcitrants à la réforme, qui craignent qu’en cas de vote favorable Emmanuel Macron ne finisse par dissoudre l’Assemblée nationale. Or la droite garde un très mauvais souvenir des dernières élections législatives...

« On n’aura pas forcément les 287 [nécessaires pour atteindre la majorité absolue – ndlr], reconnaît ainsi le député centriste de Liot, Charles de Courson. Mais plus on s’en approchera, plus ça montrera que le gouvernement ne peut pas continuer comme ça. Une motion de censure, ça sert aussi à avertir le gouvernement et à faire pression. »

La Nupes ne baisse cependant pas les bras. Considérant la situation très évolutive, elle mise sur le retour d’expérience des députés dans leur circonscription ce week-end et leurs rencontres avec leurs électeurs après l’usage du 49-3. « La motion de censure, c’est le plus efficace des moyens institutionnels, et je suis de plus en plus optimiste », affirme ainsi le député insoumis Antoine Léaument, qui invite les citoyens à écrire un courrier à leur député pour qu’il vote la motion de censure. « Si on veut être cohérent, quand on était contre la réforme ou qu’on ne voulait pas qu’elle passe, il faut désormais voter la motion de censure », abonde la députée écologiste Cyrielle Chatelain.

Le député insoumis de la Haute-Vienne, Damien Maudet, a ainsi envoyé une lettre aux deux députés LR de sa région, pour leur enjoindre de soutenir la motion de censure transpartisane. Ceux-ci avaient exprimé leur refus de voter la réforme des retraites. « Chers collègues, je ne vous demande pas de partager mes convictions politiques, mais d’obliger le président de la République à enfin écouter ses oppositions, et à enfin écouter les Français », leur écrit-il.

Le recours au Conseil constitutionnel pour retoquer tout ou partie de la loi
Tout au long des débats parlementaires sur la réforme des retraites, les députés et sénateurs n’ont cessé de dénoncer le caractère antidémocratique des procédures utilisées par le gouvernement. Du véhicule législatif choisi – une loi de finances – au recours à l’article 47-1 pour réduire le temps des débats, en passant par l’utilisation, au Sénat, des articles 38, 40, 44 et 44-3, et désormais, à l’Assemblée, du 49-3, c’est peu dire que l’exécutif a fait un usage décomplexé de toutes les possibilités que lui offrait la Constitution pour passer ses articles sans s’encombrer de l’opposition. « Ils ont fait le combo de tous les outils qui visaient à contraindre le débat parlementaire », dénonce Cyrielle Chatelain.

Les députés de la Nupes vont donc déposer, en début de semaine prochaine, un recours au Conseil constitutionnel, instance dirigée par l’ancien premier ministre socialiste Laurent Fabius, dans l’espoir de faire invalider la loi. « Le Conseil constitutionnel devra se prononcer à la fois sur le fond du texte, et sur la méthode choisie – celle de l’article 47-1. Est-il légitime de faire une réforme aussi profonde en passant par un projet de loi rectificatif de financement de la Sécurité sociale pour 2023 ? C’est un sujet majeur », défend le député socialiste Arthur Delaporte.

Dans la version non encore finalisée que Mediapart a pu se procurer, les auteurs de la saisine (qui ne peut être déposée qu’une fois que la motion de censure aura été votée et que la loi sera réputée promulguée) affirment que l’examen du texte « a méconnu les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats ».

Faisant référence au nombre de bénéficiaires des 1 200 euros de pension minimum, passé de 200 000 à 10 000 en un mois dans la bouche du gouvernement, la saisine affirme : « L’article 10 [...] a fait l’objet d’une information constamment trompeuse et dès lors insincère du gouvernement, qui a manifestement violé l’exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité du débat budgétaire et le principe de sincérité budgétaire. »

De plus, certains articles paraissant bien loin du champ d’un texte budgétaire pourraient être considérés comme des « cavaliers » législatifs et être, à ce titre, retoqués. C’est le cas de celui sur la création d’un index senior.

Globalement, c’est bien la sincérité de la loi qui sera ou non considérée comme conforme à la Constitution. Mais pour l’opposition, l’espoir est mince : depuis 1959, seules 2 % des lois examinées ont reçu le tampon « non-conformité totale » du Conseil constitutionnel.

Le RIP, pour exiger un référendum

C’est la dernière option pour tenter de faire tomber le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Après l’échec de la motion référendaire, en début d’examen du texte, le 6 février à l’Assemblée nationale, voilà l’idée d’organiser un référendum qui repointe le bout de son nez. Cette fois, sous la forme d’un référendum d’initiative partagée (RIP), déposé ce vendredi 17 mars sur le bureau de la présidence de l’Assemblée nationale.

Pour enclencher le fameux article 11 de la Constitution, il faut obtenir, en neuf mois, le soutien de 4,7 millions de citoyennes et citoyens, soit 10 % du corps électoral. En théorie, la mobilisation massive contre la « réforme Borne » pourrait permettre d’espérer atteindre facilement le nombre suffisant de soutiens. Mais en réalité, l’entreprise a tout du parcours du combattant, comme l’a démontré l’échec du RIP contre la privatisation d’Aéroports de Paris, qui s’était pris les pieds dans le tapis du processus kafkaïen de recueil des signatures sur Internet…