Luttes et mobilisations

Libération - Chez Amazon, la lutte contre la réforme des retraites rejoint celle pour les salaires

Mars 2023, par Info santé sécu social

Les syndicats dénoncent la faiblesse des propositions de la direction, avec laquelle elle discute dans le cadre des négociations annuelles obligatoires.

par Jérôme Lefilliâtre
publié le 20 mars 2023

En pleine réforme des retraites, une vague de contestation particulière souffle sur les sites d’Amazon en France. Pas tant à cause du projet du gouvernement de repousser l’âge légal de départ de deux ans, qui ne fait rien pour améliorer l’ambiance, mais en raison des négociations annuelles obligatoires (NAO) en cours, dont les premiers débouchés sont loin de satisfaire les syndicats. Une nouvelle réunion entre les représentants du personnel et la direction doit avoir lieu jeudi, jour de mobilisation nationale sur les retraites. Comme un parfum de convergence des luttes.

Depuis dix jours, plusieurs entrepôts du géant américain dans le pays font l’objet de blocages ponctuels et de débrayages réguliers, à l’initiative des syndicats. Le 17 mars à Boves (Somme), les entrées et sorties de camions ont été empêchées pendant quelques heures. Des actions similaires ont eu lieu ce week-end à Sevrey (Saône-et-Loire), et auparavant à Saran (Loiret), Augny (Moselle) ou Montélimar (Drôme). Des plus petits sites sont concernés, comme l’agence de Gidy (Loiret), où des mouvements ont lieu. Dans la nuit de dimanche à lundi, un centre de livraison à Briec (Finistère) a été bloqué par des militants de la CGT, cette fois pour affirmer leur opposition à la réforme des retraites. Les manifestants ont choisi ce lieu car il est « symbolique d’un monde qui est le même que celui de Macron », selon des propos rapportés par le Télégramme.

« Manque de respect »
La fronde au sein de l’entreprise se nourrit, outre du contexte politique général, de la déception liée aux propositions de la direction d’Amazon France depuis l’ouverture des NAO. A ce stade, celle-ci propose des augmentations de salaire de 2,4 à 4,7 % pour les « T1 », soit les employés du premier échelon, selon leur ancienneté. Un geste faible compte tenu des niveaux de salaires pratiqués. Avec cette progression, la rémunération horaire s’élèverait entre 11,80 et 12,92 euros. Pour les « T2 » et les « T3 », la hausse serait d’environ 3,5 %, pour des rétributions respectives de 14,50 euros et d’une fourchette comprise entre 16,20 et 17,40 euros.

« Des augmentations déplorables, juge Grégory Lavainne, élu Force ouvrière et salarié du site de Saran. C’est une honte, un manque de respect. Pour nous, avec l’inflation, le minimum c’est 10 %. » Même sentiment exprimé par l’élu de Sud Steeve Ndong Nze, qui travaille à l’agence de Saint-Priest (Rhône) : « Ces propositions ne valent rien. C’est indécent, affligeant. Les Français doivent savoir comment Amazon traite ses salariés. » Représentant CGT à l’entrepôt de Sevrey, Antoine Delorme ajoute que l’on est « loin de l’attente des salariés » avec ces chiffres : « Les propositions sont plus intéressantes pour les nouveaux embauchés que pour ceux qui ont deux ans d’ancienneté. Il n’y a aucun intérêt à faire carrière chez Amazon. » Le distributeur se caractérise par la jeunesse de sa population employée et par un fort turnover dans ses équipes, d’où l’intérêt pour elle d’insister sur les salariés les plus récents. Discutée à l’occasion de ces NAO, la prime d’ancienneté passerait de 940 à 1 200 euros pour cinq ans de présence dans l’entreprise. Elle est en revanche identique pour dix, quinze ou vingt ans, et serait augmentée de 1 800 à 2 500 euros.

D’autres primes sont proposées par la direction, dont l’une – de 1 700 à 3 400 euros selon les cas – en contrepartie de la suppression de l’attribution d’actions gratuites d’Amazon. « Nous préférerions que cela soit transformé en un quatorzième mois, commente Grégory Lavainne. C’est bon pour les cotisations retraite et chômage, et quand c’est acquis, c’est acquis ! » Une dernière prime de « partage de la valeur » est proposée, d’un montant de 750 euros. Elle suscite particulièrement le mécontentement des représentants du personnel, compte tenu du gigantisme d’Amazon.

Milliards de profits et milliers de suppressions de postes

L’an dernier, la multinationale fondée par Jeff Bezos a enregistré un chiffre d’affaires de 514 milliards de dollars, en hausse de 13 % sur un an à données comparables. Ayant diminué de moitié compte tenu des aléas économiques, son bénéfice opérationnel est resté très élevé, à plus de 12 milliards de dollars. Pour faire face à la hausse de coûts et au ralentissement de certaines activités, Amazon a néanmoins entrepris des restructurations, avec l’annonce de 27 000 suppressions de postes dans le monde, dont 9 000 ce lundi. Lors des années 2020 et 2021, très fastes pour elle en raison du Covid, la firme avait enregistré des résultats records et beaucoup grossi.

En témoigne son activité en France, où elle emploie plus de 15 000 personnes en CDI. La principale entité juridique du groupe dans le pays, Amazon France Logistique, qui regroupe les plus grands entrepôts, a enregistré un chiffre d’affaires de 1,14 milliard d’euros en 2021, en augmentation de 48 % sur un an. Avec un résultat net de 59 millions d’euros, lui aussi en nette progression. La société qui rassemble les agences de livraison, Amazon France Transport, était sur la même tendance, avec des revenus de 1 milliard d’euros en 2021, en hausse de 51 % sur un an, et un résultat net de 14 millions d’euros.

A Libération, la direction d’Amazon indique que « chaque année, nous réévaluons le montant de la rémunération de nos équipes afin de nous assurer que l’excellent travail qu’elles réalisent au quotidien continue d’être reconnu. Les discussions avec nos partenaires sociaux dans le cadre des NAO pour l’année 2023 sont en cours et aucune décision n’a encore été prise. » Elle estime que l’ensemble des mesures qu’elle propose correspond à une augmentation totale de 6 %. Un chiffre en phase avec le niveau de l’inflation, mais rejetée par les syndicats : le caractère par définition non pérenne des primes interdit, selon eux, de les mettre dans le même panier que les hausses effectives des salaires. Ils n’ont pas tort.