Réforme retraites 2023

Médiapart - Après deux mois de lutte : « Aujourd’hui, on se lève et on présente l’addition à Macron ! »

Mars 2023, par Info santé sécu social

Les opposants à la réforme des retraites sentent le mouvement bouillonner et se relancer. À Montpellier, un collectif d’enseignants raconte une mobilisation « inédite », « imprévisible » et toujours déterminée, deux mois plus tard. Paroles de motivés, avant une nouvelle journée d’action.

Cécile Hautefeuille
23 mars 2023

Montpellier (Hérault).– Filtrage et tractage le matin aux entrées de la ville. Manifestation à 11 heures au départ de la gare Saint-Roch. Rassemblement à 18 heures devant la préfecture. Ce mardi 21 mars, les opposant·es montpelliérains à la réforme des retraites se sont déployé·es sur le terrain comme chaque jour, ou presque, depuis le passage en force de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale.

« Secteurs de l’éducation et de l’énergie, cheminots et étudiants, nous sommes sur le front ! », se réjouit Marine, professeure dans un lycée de Lunel. Postée devant la gare, chasuble de Sud Éducation sur le dos, elle prépare une pancarte appelant à se retrouver, tous les soirs, devant la préfecture. « Des actions interprofessionnelles, chaque jour, à un rythme aussi soutenu, je n’avais jamais vu ça. Il y en a tellement, on ne sait plus où aller ! », s’amuse-t-elle.

L’enseignante, mobilisée depuis mi-janvier, ne cesse d’être étonnée par le mouvement social. « Ce qui est frappant, c’est le côté complètement imprévisible. À chaque fois qu’on a l’impression que les gens n’y croient plus, ça repart ! Ça donne le sentiment d’une grande force collective. »

Tisser des liens et unir les forces, c’est justement l’objectif de l’AG Éducation 34, collectif auquel appartient Marine. Né en 2019 contre la nouvelle formule du bac Blanquer puis la première tentative de réformer les retraites, le collectif a repris du service début 2023.

Personnels syndiqués et non syndiqués de tous les degrés de l’enseignement, de la maternelle à l’université, y mettent en commun leurs idées et leurs luttes. « Nous sommes une cinquantaine mais les actions que nous organisons sont rejointes par énormément de collègues, ça nous donne de la crédibilité », précise Marine.

Un seul mot : « Optimisme ! »
« C’est un outil qui fonctionne bien, il permet de se retrouver et de se mobiliser », s’enthousiasme Monique, enseignante remplaçante de 54 ans, non syndiquée, et qui se sent parfois « dispersée », du fait de son statut. Actuellement, elle travaille dans un collège du Crès, une commune de la métropole montpelliéraine. Elle en est à son neuvième jour de débrayage et compte faire appel à la caisse de grève pour combler, un peu, sa perte de salaire. « Et je mangerai des pâtes ! », ajoute-t-elle, assumant « le choix » de faire grève et de manifester.

« On nous dit que nous ne sommes pas légitimes mais cette loi est décriée par une grande majorité de la population », commente l’enseignante. Elle l’assure : elle n’avait pas vu un tel soutien à un mouvement social depuis plus de vingt ans. « Il y a eu des mobilisations où c’était plus compliqué avec une forme d’acceptation du discours néolibéral. Je crois que cette fois, il y a une remise en cause globale de cette politique-là. On voit aussi tous les jeunes qui se mobilisent pour le climat et le lien se fait », se réjouit Monique.

À ses yeux, un mot peut, à lui seul, résumer les dernières semaines de lutte : « Optimisme ! », lance-t-elle, tout sourire, en contemplant la foule bouillonnante devant la gare Saint-Roch. La sono crache le classique « On lâche rien », un manifestant s’époumone en réclamant « La retraite à 60 ans », tandis que des cheminots héraultais et gardois s’apprêtent à ouvrir le cortège, fumigènes à la main. Derrière eux, des professeur·es, des agent·es de la fonction publique, des « gilets jaunes », des retraité·es et des étudiant·es se préparent à défiler.

C’est fou, ce matin on a bloqué tous les accès au nord de Montpellier et quand les gens arrivaient à notre niveau, ils avaient le sourire !

Boris, enseignant dans le supérieur
« Ça s’étend et ça agrège ! », se félicite Boris, enseignant-chercheur en physique à l’université de Montpellier et syndiqué chez Sud Recherche. Selon lui, ce mouvement social « est inédit » à plus d’un titre. « Vous avez des mobilisations très massives, un front syndical uni et une articulation avec une bataille parlementaire et institutionnelle... Ça donne de la force ! »

Boris se sent également « porté » par le soutien de l’opinion publique. « C’est fou, ce matin on a bloqué tous les accès au nord de Montpellier et quand les gens arrivaient à notre niveau, ils avaient le sourire. Ils prenaient nos tracts en disant : “À jeudi ! On va gagner !” Il se passe quelque chose, vraiment ! C’est la réforme de trop. C’est l’arrogance de trop. »

Boris fait partie du collectif AG Éducation 34 depuis la première heure. « On subit les mêmes politiques depuis des années, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Nous faisons bloc contre un même système. » Un bloc qui se met aujourd’hui au service du mouvement contre la réforme des retraites, avec un petit air de revanche. « Dans l’Éducation nationale, on s’est mobilisés plein de fois et on a perdu... à chaque fois », constate Marine, la professeure de lycée. « Là, on a le sentiment qu’on peut gagner sur les retraites et même plus largement. Car le mécontentement va au-delà, ce mouvement agrège toutes les colères. Cela traduit un désaveu très massif du gouvernement. »

Priscilla, professeure des écoles dans le quartier populaire de La Paillade à Montpellier, fait pour sa part le constat d’un « mouvement transpartisan et très diffusé dans les petites villes ». Elle-même vit à une heure de son lieu de travail, à Ganges, en basses Cévennes. « C’est un territoire très pauvre et très militant. En ce moment, les manifs à Ganges ou au Vigan [non loin de là, dans le Gard – ndlr] rassemblent au moins huit cents personnes et les gens sont hyper satisfaits ! De toute façon, l’inflation ne permet plus de remplir son réservoir pour venir défiler à Montpellier. Alors on fait du réseau dans les petites villes. »

Après plus de deux mois de mobilisation, l’enseignante syndiquée chez Sud sent les troupes « fatiguées mais toujours déterminées ». « C’est usant, y compris pour les familles. Moi, on me dit que je dors avec mon drapeau de Sud ! », rigole-t-elle, en tenant fermement son étendard par-dessus l’épaule.

Sincèrement, je ne vois pas les gens rentrer chez eux en fin de semaine, comme si rien ne s’était passé.

Marine, professeure de lycée
« Et puis ça coûte de l’argent mais les gens sont motivés car sur le fond, le projet n’est pas bon. Et sur la forme, c’est un scandale démocratique. On a pris des gifles à tour de bras mais c’est fini. Aujourd’hui, on se lève et on présente l’addition à Macron : sa façon de gérer le pays ne nous convient pas ! » Priscilla enchaîne : « On n’est pas une entreprise, on ne peut pas être gérés à coups de tableurs Excel et d’optimisation. Macron, il casse tout, il vend tous les services publics au privé mais les gens, ils s’en rendent compte ! »

Alors qu’une neuvième journée de mobilisation se profile, ce jeudi 23 mars, les opposants à la réforme affichent un moral d’acier. « Personnellement, j’ai cru que la loi allait être votée la semaine dernière, se souvient Marine, la professeure de Lunel. Je pensais que ça mettrait un coup à tout le monde mais le 49-3 a clairement exacerbé la colère. Puis tout le monde a vu que la motion [de censure] n’était pas passée loin. La légitimité du mouvement social en est sortie grandie. »

« Le fait qu’il y ait des secteurs bloquants en grève nous motive, on y croit », conclut-elle. « On verra ce que dira l’intersyndicale jeudi soir mais sincèrement, je ne vois pas les gens rentrer chez eux en fin de semaine, comme si rien ne s’était passé. »

Cécile Hautefeuille