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Le Monde.fr : Crise de l’hôpital : « 40 % de nos cliniques se retrouvent en déficit en 2023, c’est du jamais-vu »

il y a 1 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Crise de l’hôpital : « 40 % de nos cliniques se retrouvent en déficit en 2023, c’est du jamais-vu »

Le président de la Fédération de l’hospitalisation privée, Lamine Gharbi, alerte sur la situation financière de son secteur, en difficulté comme les hôpitaux publics. Et en appelle à l’Etat.

Propos recueillis par Camille Stromboni

Publié le 19/02/2024

Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, qui compte 1 030 cliniques et hôpitaux privés à but lucratif, s’inquiète d’un déficit inédit qui touche aussi son secteur, en raison de l’inflation. Il appelle l’Etat à compenser ces coûts, et regrette une « dichotomie de traitement » avec le secteur public qu’il estime injustifiée.

Voilà plusieurs mois que vous alertez sur les finances dégradées des cliniques, quelle est la situation ?

En 2023, 40 % de nos cliniques et hôpitaux privés se retrouvent en déficit, pour 670 millions d’euros, contre 25 % les années précédentes. C’est du jamais-vu. Si rien ne change, ce sera le cas cette année de la moitié de nos 1 030 établissements, qui représentent 19 milliards de budget. Les répercussions sont déjà là. La chirurgie réussit à rester à l’équilibre mais il y a tout le reste : ce sont des fermetures ou des diminutions d’activité aux urgences, en obstétrique, en soins médicaux et de réadaptation, le blocage de toute extension en psychiatrie…

Cela fait des mois que nous attendons une réponse de l’Etat. Nous demandons au minimum qu’il « solde » l’inflation 2023, qui est la cause de nos difficultés. Avec la fédération des hôpitaux publics [la Fédération hospitalière de France], nous avons évalué à 1,5 milliard d’euros l’enveloppe nécessaire. Le ministère de la santé vient d’annoncer une aide de 500 millions d’euros, ça ne peut être qu’une première étape, car c’est bien en deçà des besoins.

Contrairement au secteur public, votre volume d’activité est plus important que prévu en 2023. Vos ressources n’ont-elles pas augmenté ?

Nous avons 400 millions d’euros de « surexécution » budgétaire [par rapport à ce qui était prévu dans l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie]. Nous avons pris en charge des patients qui en avaient besoin, des patients que le public ne pouvait pas soigner, nous avons joué notre rôle de complémentarité. Mais nous sommes pénalisés : à cause de l’inflation, les tarifs pour cette activité [que verse l’Etat aux établissements pour chaque groupe de patients et de séjours, dans le cadre de la tarification à l’activité qui représente 90 % des revenus du privé à but lucratif] ne couvrent absolument pas nos charges. Donc plus on travaille, plus on perd de l’argent, c’est un effet ciseaux inacceptable ! Nous demandons d’urgence une campagne tarifaire [la fixation des tarifs pour l’année 2024 par l’Etat, qui est décidée en mars] à la hauteur des véritables coûts pour nos établissements.

Le secteur privé n’a-t-il pas des activités plus rentables, avec moins de permanence des soins (gardes de nuit, week-end) à assurer, que le secteur public ?

Si nous étions si malins, et que nous sélectionnions nos patients et les pathologies les plus rentables, pourquoi serions-nous en déficit ? Il faut arrêter ces fantasmes, nous accueillons aussi des patients « lourds », comme dans le public, nous avons des services d’urgences [20 % des passages], nous faisons de l’obstétrique, de la gériatrie… Certains établissements se spécialisent, certes : il y a des cliniques qui ne font que de l’orthopédie par exemple, nous avons cette liberté.

Mais on ne peut nous reprocher des choix faits par la puissance publique : c’est elle qui délivre des autorisations pour ouvrir des urgences ou des lits de réanimation. Et elle nous les refuse. De même, sur la permanence de soins : on nous reproche de ne pas assez y participer, mais les médecins ne travaillent pas bénévolement, non ? Pourtant, dans nos cliniques, elle n’est pas financée. Ce sont les agences régionales de santé qui décident des « lignes de garde » qu’elles rémunèrent. L’Etat a préféré jusqu’ici choisir le public. Le gouvernement a annoncé qu’il allait revoir la répartition, lancer des appels d’offres. C’est très bien, nous serons là pour y répondre.

Mais il faut arrêter cette dichotomie de traitement entre privé et public. Nos professionnels travaillent la nuit aussi, mais ils n’ont pas eu droit aux revalorisations annoncées par le gouvernement cet été, pourquoi ?

N’avez-vous pas la possibilité de rogner sur vos marges pour augmenter vos personnels ou faire face au déficit ?

Nos marges restent de l’ordre de 1 % à 2 %. Tous les économistes le disent : pour pouvoir investir, produire des bâtiments de qualité, innover… il faudrait au moins se situer à 3 %. Notre capacité d’investissement n’a cessé de diminuer, et nous arrivons au bout du bout. Cela va encore provoquer un mouvement de concentration, ce qui n’est pas souhaitable.

L’idée que nous aurions des groupes privés, qui donnent de l’argent à tout-va à des actionnaires ou à des fonds de pension, est totalement fausse. Je rappelle que les deux principaux groupes aujourd’hui – Elsan, avec 140 établissements, et Ramsay, avec 120 cliniques – ne distribuent aucun dividende.

Camille Stromboni