L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

L’anticapitaliste Hebdo : Un système de soins à la croisée des chemins

Février 2017, par infosecusanté

Dossier Systéme de Santé

L’anticapitaliste Hebdo N° 
15 Février 2017

Passer de l’hôpital public à un service public de santé global

Compromis de 1945, la création de la Sécurité sociale a posé le principe du remboursement à touTEs de l’ensemble des soins.

Cela a permis de passer de « l’assistance publique » assurant des soins rudimentaires aux plus pauvres à un hôpital public qui garantit à tous, gratuitement, des soins de qualité.

Un service public limité à l’hôpital

Ainsi, a pu se développer un vaste réseau d’établissements publics, allant du petit hôpital local au CHU avec un plateau technique de pointe, en passant par les centres hospitaliers de proximité ou « généraux », les établissements spécialisés en psychiatrie ou pour personnes âgées (voir encart sur les établissements de santé).

Par leurs urgences, toujours plus sollicitées, les établissements hospitaliers garantissent également l’accès sans délais à des soins gratuits, de proximité et de qualité.

Mais, sous la pression d’un puissant lobby médical, les soins hors hôpital, « en ville », sont restés très largement dominés par les médecins et professionnels libéraux. Et les éléments de service public existant hors des établissements hospitaliers sont limités : dispensaires ou centres de santé dans certaines communes, PMI pour la petite enfance...

Seule la psychiatrie publique fait exception. À partir de 1960, sous le nom de « psychiatrie de secteur », une réponse publique globale s’y est organisée. Elle met à la disposition d’un « secteur » de la population (60 000 habitantEs) une seule et même équipe de soins travaillant à la fois dans et hors l’hôpital (centres médico-psychologiques, hôpitaux de jour, visites à domicile...). Mais ce modèle est en cours de démantèlement.

Médecine libérale et financement socialisé

La coexistence d’une médecine libérale très majoritaire et d’un financement socialisé n’a cessé d’être conflictuel.

C’est avec beaucoup de réticences que les médecins libéraux ont fini par accepter (en 1960 !) le « conventionnement » avec la Sécurité sociale, pour eux synonyme de tutelle « étatique ». Ils ont continué à défendre avec acharnement la « liberté d’installation », pourtant synonyme de répartition inégalitaire des médecins sur le territoire, de « déserts médicaux », et la liberté tarifaire. Les dépassements d’honoraires sont pourtant une cause essentielle de renoncement aux soins, en particulier chez les spécialistes.

Enfin ils ont tout fait pour bloquer l’application du tiers-payant timidement instauré par Touraine.

Les chemins de la privatisation

L’offensive de privatisation, menée avec constance par les différents gouvernements, notamment les lois Bachelot (2009) et Touraine (2015), poursuit un double objectif.

D’un côté, elle diminue la place du financement public et socialisé (la Sécurité sociale) pour les soins de ville. Ainsi, l’assurance maladie n’en rembourse plus aujourd’hui que 54 %...

De l’autre, les missions et les moyens de l’hôpital public sont eux aussi en constante réduction : restructurations et regroupements au sein de Groupements hospitaliers de territoires, fermeture d’établissements de proximité, en particulier des services d’urgence. Sous la houlette des assurances privées et des mutuelles, se prépare la mise en place de réseaux de soins concurrentiels pour les soins hors hôpital.

À l’inverse, la perspective que nous défendons est le renforcement et l’extension du service public, en confortant la place et les financements de l’hôpital public, et en développant un service public de santé hors de l’hôpital, financés à 100 % par la Sécurité sociale.

J.C. Delavigne

Publics et privés : les établissements de santé

En France, il existe trois catégories d’établissements de santé.

Les hôpitaux publics restent le pivot du système de soins. Ils totalisent 62 % des lits d’hospitalisation à temps plein et 57 % des places d’hospitalisation à temps partiel. Ils forment un réseau très large, allant des hôpitaux locaux et des centres hospitaliers de proximité aux CHU, en passant par les établissements de psychiatrie publique, les établissements pour personnes âgées dépendantes (EPHAD) publiques. Leur personnel médical et non médical a un statut public (mais la précarité – les contractuels – s’y est beaucoup développée). Si les missions et l’activité de l’hôpital public ne cessent d’augmenter, ses moyens régressent : leur part dans les dépenses de santé, qui était de 43 % en 1983, n’était plus en 2010 que de 36 %...

Les établissements privés à but « non lucratif », auxquels appartiennent notamment les centre de lutte contre le cancer, détiennent 14 % des lits d’hospitalisation à temps plein et 18 % des places à temps partiel. Leur statut est associatif ou mutualiste. Ces établissements n’ont pas d’actionnaires. Leur personnel relève de conventions collectives.

Les établissements privés « à but lucratif » (23 % des lits d’hospitalisation, 24 % des places) sont des établissements commerciaux. Ainsi les cliniques privées, qui versent des dividendes à leurs actionnaires. Leur personnel est libéral ou relève de conventions collectives. Autrefois propriétés des médecins et chirurgiens qui y intervenaient, les établissements commerciaux appartiennent à de grands groupes. Ils concentrent leur activité sur les actes les plus rentables (actes chirurgicaux bénins), laissant les actes les plus lourds et non rentables aux hôpitaux publics.

Quel service public de santé de proximité ?

La santé, ce n’est pas seulement la possibilité de se soigner. En France, théoriquement, les soins sont les mêmes pour tous, notamment pour les pathologies graves...

Pourtant, un ouvrier a une espérance de vie de 7 ans inférieure à celle d’un cadre. Le travail, l’alimentation, le stress, la consommation d’alcool et de tabac, la sédentarité, le niveau d’information, le pouvoir sur sa vie… autant de facteurs qui expliquent ces différences. La médecine générale, qui est au plus près des patients, de leur vie quotidienne, de leurs difficultés, devrait être au cœur de cette médecine globale, mêlant médecine de soins, de prévention, sociale et environnementale, avec les habitants comme acteurs de leur santé.

Le choix du paiement à l’acte, de la médecine libérale, tourne le dos à cette obligation pour la santé de tous, renforcée par la montée des pathologies chroniques et sociétales, et le vieillissement de la population. La médecine libérale est en crise. Moins de 10 % des jeunes médecins s’installent en médecine générale. 56 heures par semaine ; une pratique qui fait toucher du doigt les difficultés quotidiennes des patients, mais sans moyens réels d’y porter remède ; des relations difficiles avec la médecine hospitalière ; une pression incessante des caisses pour réduire les dépenses... Et des déserts médicaux ; des difficultés d’accès pour les plus pauvres, à cause du paiement à l’acte, des franchises, des dépassements d’honoraires, des refus de CMU et AME... Bref, ce modèle est à bout de souffle.

Une maîtrise toujours plus comptable...

L’avenir de la médecine générale n’est pas dans le paiement à l’acte et la liberté d’installation. Car demain, avec la retraite des médecins du baby boom, il n’y aura plus de médecin à la campagne ni au pied des tours. Elle n’est pas non plus dans l’ajout au paiement à l’acte d’un étage de « rémunération sur objectif de santé publique », la ROSP, dont les critères ont plus à voir avec la maîtrise comptable des dépenses de santé qu’avec une vraie politique de santé publique. Une ROSP, qui représente entre 12 000 à 15 000 euros par an et par médecin cette année, mais qui de plus en plus demain exigera réduction des arrêts maladie et limitation des prescriptions.

Sans parler des mutuelles et assurances, qui, dans l’optique de l’abandon à la mode Fillon de la couverture par la Sécu du « petit risque », rêvent de conventionner directement les médecins à leurs réseaux de soins, pour rentabiliser leur « investissement santé », même si cela sera synonyme d’exclusion des soins, et de médecine à autant de vitesses que de contrats d’assurance.

Pour des centres de santé publics

Ni paiement à l’acte ni maîtrise comptable, pour le droit à la santé pour touTEs, il faut un service public de santé de proximité. Avec des centres pluridisciplinaires qui rassemblent tous les acteurs de la santé (généralistes, spécialistes, dentistes, labo et radiologie, nutritionnistes, infirmières, kinés, accueil psy… mais aussi usagerEs) pour donner des soins gratuits, réaliser des actions d’information et de prévention, assurer au plus près la permanence des soins pour désengorger les urgences. Des centres intégralement financés par l’assurance maladie, et non laissés au bon vouloir de financements locaux.

Tiers-payant généralisé, interdiction des dépassements, centres de santé publics de proximité assurant soins et prévention, démocratie sanitaire, formation et information médicale indépendante des trusts pharmaceutiques… Un espoir pour l’avenir de la médecine de ville et surtout la santé de touTEs.

Frank Cantaloup

Les centres de santé, chaque jour plus loin du service public

Le concept de centre de santé, coordonnant différents services d’hygiène, de prévention, de soins et de service social, est apparu au début des années 1900, souvent à l’initiative de municipalités...

L’objectif était de répondre à des besoins de santé publique, de prendre en charge la prévention, les soins pour des populations souvent en difficulté économique et sociale. Ces structures se sont toujours heurtées au monde de la médecine libérale, qui dans sa majorité leur est hostile, y voyant des concurrents subventionnés employant des professionnels de santé salariés.

À côté de ce type de centre de santé sont apparues des structures avec des gestionnaires divers : mutuelles, associations, comités d’entreprise.

Les difficultés d’accès aux soins, qu’elles soient d’ordre financier en raison de dépassements d’honoraires, ou géographiques avec l’extension des déserts médicaux, ont fait ressurgir la nécessité de formes d’exercice regroupé des professionnels de santé, certes en recréant des centres de santé dans certaines régions, mais également en favorisant par des mesures incitatives le regroupement de libéraux dans des Maisons de santé pluri-professionnelles.

Au fil du temps, le concept de centre de santé a changé de nature. Des cabinets de consultants ont mis au point un modèle économique de centre de santé qui permet un équilibre financier à condition de combiner certaines spécialités médicales très productrices d’actes techniques rémunérateurs plutôt que de consultations.

Le marché a pris le dessus...

Ce modèle, plus orienté dans la recherche de l’équilibre économique que dans la réponse aux besoins de santé d’une population, a été mis en application dans certains centres de santé gérés par des mutuelles, des associations, allant même jusqu’à la création de centres dits « low cost », notamment dans le domaine dentaire où les techniques de gestion, de management et de soin, ont abouti à des pratiques douteuses.

Les dérives marchandes de certains, aidées par un système de distribution de soin qui rémunère les structures et les professionnels de santé au nombre d’actes effectués, ont éloigné les centres de santé de leurs objectifs de santé publique et d’une prise en charge globale des individus dans leur environnement géographique, biologique, ­économique et social.

Fort de la montée en puissance des assurances complémentaires encouragées par le gouvernement socialiste et sa loi sur les réseaux de soins, le marché a pris le dessus. Il s’est emparé de ces structures, devenues des entreprises de production d’actes de soin, éloignant un peu plus cette possibilité d’un service public de santé libéré du poids des objectifs de rentabilité et consacré au bien-être et au bien-vivre des populations. Pourtant les centres de santé pourraient être des postes avancés de ce service public, proches des populations, adossés à des structures hospitalières et complémentaires des cabinets de ville.

Fred Albi

Secteur 2 : dépassements d’honoraires contre accès aux soins

En 2010, un médecin sur quatre en moyenne exerçait en secteur 2 à « honoraires libres » et facturait des compléments d’honoraires non remboursés par l’assurance maladie.

Cette proportion est nettement plus élevée parmi les médecins spécialistes, avec plus de 4 médecins sur 10. Un chiffre qui varie selon les spécialités : 58 % pour les chirurgiens libéraux, plus de 50 % pour les ORL, ophtalmologues ou gynécologues...

Le dépassement moyen facturé est ainsi passé de 25 % à 54 % entre 1990 et 2010.

(Source CNAM)

Des migrants exclus des soins

La droite et le Front national attisent le fantasme de milliers de migrantEs et d’étrangers pillant la Sécurité sociale et submergeant les services hospitaliers...

Tout cela est à l’opposé de la réalité : celle d’une très grande difficulté d’accès aux soins pour cette partie de la population. Quant à l’Aide médicale d’État (AME), dont le FN et Fillon demandent la suppression, elle ne représente que 0,7 % des dépenses d’assurance maladie...

Des milliers de migrantEs sans couverture médicale

Il s’agit soit de personnes arrivant pour la première fois et n’ayant pas trois mois de présence sur le territoire, soit de personnes éligibles à l’AME mais pour lesquelles la complexité du dossier à déposer est un obstacle.

Sans couverture médicale, comment se soigner ? Il existe deux possibilités : les centres de soins humanitaires et les PASS (permanences d’accès aux soins de santé) à l’hôpital public.

Les centres de soins humanitaires militants comme ceux du Comède (Comité médical pour les exilés) ou de Médecins du Monde (les Caso, Centres d’accueil de soins et d’orientation, 20 en France) ne font que se substituer aux carences du droit commun et sont tous surchargés.

Les PASS existent en principe dans tous les hôpitaux depuis la loi sur l’exclusion de 1998. En réalité, le tableau est moins idyllique : Ainsi, en Île-de-France, sur 16 PASS, seules 5 ou 6 sont fonctionnelles, avec de nombreux dysfonctionnements...

De plus, il existe une méconnaissance du dispositif au sein même de l’hôpital, l’interprétariat y est limité, et le personnel médical insuffisant et débordé. Les patients ne sont souvent pas prévenus qu’il faut demander un « bon PASS » pour obtenir la gratuité des prescriptions. Enfin, il y a refus de prise en charge immédiate pour des pathologies lourdes, comme des cancers.

Ajoutons que la pression est de plus en plus forte pour se préoccuper des comptes de l’hôpital et de la solvabilité, ce qui serait, paraît-il la nouvelle « éthique » du bon médecin1 !

Même avec l’AME, se soigner n’est pas si simple

Obtenir l’Aide médicale d’État est difficile : outre les trois mois de résidence en France à justifier, il faut avoir des papiers d’identité qui sont souvent perdus au cours du trajet migratoire. Il faut aussi donner une adresse, ce qui est compliqué quand l’hébergement est précaire (à la rue, dans un squatt, etc.).

Même une fois obtenue, l’AME est refusée par 37 % des généralistes et par tous les spécialistes qui pratiquent les dépassements d’honoraires. Les soins d’optique ou les prothèses dentaires ne sont pas pris en charge, et l’accueil n’est pas toujours bienveillant car la carte d’AME est stigmatisante.

Face aux scandaleuses campagnes du FN et de la droite pour la suppression de l’AME, qui représente pourtant un montant dérisoire des dépenses de santé, nous réclamons au contraire la prise en charge à 100 % pour toute personne résidant en France. Cela relève d’une éthique de solidarité, du respect du droit à la santé égal pour tous, et d’une politique de santé publique efficace.

Christian Bensimon

Santé : Du côté des associations

Entretien. Quelle peut être la place des patients et de leurs associations dans le système de santé et dans les luttes pour le défendre ? Nous avons demandé son avis à notre camarade Jacques Giron, médecin hospitalier, à partir de sa pratique avec les militantEs d’Act Up à Toulouse.

Comment as-tu été amené à rencontrer les militantEs d’Act Up à Toulouse ?

Nous nous sommes retrouvéEs dans les combats que nous avons menés ensemble au sein du comité de défense de l’hôpital public, et dans des actions avec la CGT santé et SUD pour la défense de l’IVG. Cela a nourri des discussions.

Comment définissent-ils le rôle de leur association ?

Une association comme Act Up a pour mot d’ordre « information = pouvoirs ». Elle défend la notion d’usagerEs experts de sa pathologie. En effet, l’histoire de la lutte contre le sida a montré la réappropriation du savoir par les malades afin de pouvoir agir tant sur ceux qui ont le pouvoir de voter les lois pour permettre l’accès aux soins et aux droits, que sur le monde médical et sur celui de la recherche pour obtenir par exemple l’accès ­précoces aux molécules.

Comment cela s’est-il traduit à Toulouse ?

Act Up a investi la défense de l’hôpital La Grave et rejoint le comité de défense de l’hôpital public, parce que cet hôpital accueillait le centre de dépistage, les consultations VIH et les PASS1. Du point de vue du patient, il était hors de question de laisser transférer ces services en dehors du centre ville, où ils auraient été beaucoup plus difficiles d’accès. Pour eux, la notion de service public et d’égalité d’accès sur le territoire de proximité des soins est essentielle.

Le comité de défense de l’hôpital public est important parce que c’est un lieu d’expertise, d’échange, qui permet d’acquérir du savoir sur le fonctionnement de l’hôpital, sur le décryptage des lois sur la santé, sur le fonctionnement de la sécurité sociale et de son financement. Pour Act Up, la lutte pour la défense du système de santé en général et de l’hôpital public en particulier doit se mener avec tous les acteurs : usagerEs et personnels soignants et non soignants. Ils refusent aussi de se limiter à la seule défense des services en charge du VIH (le suivi des personnes séropositives se fait à 90 % au sein de l’hôpital) sans tenir compte de la défense de l’hôpital. C’est la globalité de l’hôpital et de la Sécurité sociale qui doit être protégée.

Quels sont leurs modes d’action ?

Les militantEs d’Act Up visent à la fois par leurs actions les centres de décisions politiques nationaux et régionaux, ainsi que les institutions telles que l’Agence régionale de santé (ARS). Ils agissent également sur le terrain auprès des directeurs d’hôpitaux ou des médecins chefs de service. Leur interpellation se fait soit par des réunions avec les personnes concernées, par des communiqués de presse, mais aussi par des occupations, le tout relayé par les médias.

Propos recueillis par un correspondant