L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo L’Anticapitaliste - 396 (14/09/2017) - Dossier - Menaces sur l’hôpital, la santé et la Sécu

Septembre 2017, par Info santé sécu social

« Chacun cotise selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins. » C’est le principe adopté en 1945 à la naissance de la Sécurité sociale : les recettes doivent s’adapter aux besoins et non l’inverse.

Dossier réalisé par la commission santé sécu social du NPA

Le PLFSS : un outil contre la Sécu !

De 1945 jusqu’en 1995, pendant 50 ans aucune loi ne fixait une enveloppe encadrant les dépenses des branches de la Sécurité sociale (maladie, accidents de travail, retraite et famille).

Mais depuis 1996, à la suite du vote du plan Juppé, le Parlement examine et vote tous les ans une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Le gouvernement et le Parlement renforcent leur contrôle sur la Sécu avec cet « outil de pilotage des finances sociales ».

Pour la branche maladie, un montant prévisionnel des dépenses, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (l’ONDAM) est voté chaque année par le Parlement et un comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie (créé par une loi de 2004) a pour mission « d’alerter le Parlement, le gouvernement, les caisses nationales et complémentaires en cas d’évolution des dépenses d’assurance maladie incompatible avec le respect de l’ONDAM ». Le comité doit rendre au moins un avis avant le 1er juin sur « le respect de l’ONDAM pour l’exercice en cours ». Et lorsqu’il estime qu’il existe « un risque sérieux que les dépenses d’assurance maladie dépassent l’objectif national de dépenses d’assurance maladie avec une ampleur supérieure » à un seuil fixé par décret (0,75 %) il notifie un avis d’alerte au Parlement, au gouvernement et aux caisses nationales d’assurance maladie qui sont alors tenues de « proposer des mesures de redressement ». Comprendre : d’austérité

Les restrictions budgétaires… ou la santé ?

En avril dernier, Macron déclarait, dans une interview au journal les Échos, vouloir réaliser durant le quinquennat « 25 milliards d’économies sur la sphère sociale », dont 15 milliards sur l’assurance maladie et 10 milliards sur l’assurance chômage, « grâce aux réformes structurelles ».

La Caisse nationale d’assurance maladie, qui exerce la tutelle du gouvernement sur les caisses primaires, envisage de son côté 1,94 milliard d’euros d’économies en 2018 , soit 300 millions d’euros de plus qu’en 2017. Diverses mesures sont déjà annoncées :

– « Gagner en efficience », en clair mettre la pression sur les médecins pour qu’ils réduisent les dépenses en « prescrivant mieux », et en « réduisant les arrêts maladies » ;

– « Réduire le gâchis », par exemple « inciter aux transports collectifs » pour le retour à domicile après hospitalisation ;

– « Chasser la fraude » : depuis quelques années, les caisses communiquent beaucoup sur « les assurés fraudeurs » mais oublient systématiquement la fraude patronale (par exemple les non-déclarations d’accidents de travail) ;

– Diminuer les tarifs aux hôpitaux de certains actes, ce qui réduit leur budget des établissements ;

– Rémunérer les médecins sur des objectifs de santé publique : les médecins sont ainsi incités à respecter des pratiques selon des critères contestables. Le Syndicat de la médecine générale proteste : « Nous dénonçons les méthodes de l’Assurance maladie qui a comme objectif de corrompre les médecins et contraindre leurs relations avec leurs patientEs dans des objectifs comptables comme la limitation des arrêts de travail. »

– Développer l’ambulatoire, avec pour objectif de nouvelles suppressions de lits, des restructurations, des regroupements d’hôpitaux. Il s’agit d’accélérer « l’industrialisation des soins » dans de grands hôpitaux devenus des « usines à soins ».


Agnès Buzyn, ses déclarations... et sa politique

La ministre de la Santé déclarait « avoir horreur des obligations »…

Mais le tiers payant sera généralisable et non généralisé, donc facultatif pour les praticiens libéraux. L’accès à des soins restera dès lors difficile pour un tiers de la population.

En revanche, la ministre veut rendre obligatoire onze vaccins pour les enfants, au lieu de trois. Une mesure inefficace : la France a des taux de vaccination inférieurs à des pays qui se contentent de recommander une liste de vaccins.

Elle avait déclaré : « Les dépassements d’honoraires, j’ai cela en horreur. » Mais aujourd’hui elle ne souhaite que leur… modération.

Elle a été rémunérée pour diverses activités en lien avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques et justifie ces pratiques en déclarant ce qui suit : « L’industrie pharmaceutique joue son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie. Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts. »

Enfin, elle prétend que l’axe central de sa politique sera la prévention, alors que ce gouvernement fait le contraire en détruisant la prévention de la santé au travail : les maigres acquis du « compte pénibilité », renommé « compte prévention » sont supprimés. Quatre critères vont être annulés du champ de la pénibilité : manutention à la main de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux risques chimiques. Et les cotisations prévention payées par les entreprises privées seront supprimées. Qui plus est, les prérogatives du CHSCT (protection de la santé physique et mentale, amélioration des conditions de travail...) seront en péril, avec la création d’une instance unique fusionnant les CHSCT avec les délégués du personnel et le comité d’entreprise.


EHPAD : rien ne va plus

La « loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement », entrée en vigueur en 2016, a eu des répercussions immédiates sur les budgets accordés au financement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

On a assisté en premier lieu à la mise en place d’une nouvelle tarification, qui devient plus globale, c’est-à-dire que la somme accordée est la même pour chaque EHPAD, sans tenir compte de la dépendance et de la situation financière des personnes âgées accueillies. Cela désavantage les EHPAD publics, leur faisant perdre 200 millions d’euros pour l’année 2017 au profit des EHPAD privés lucratifs.L’ensemble des associations, fédérations et collectif représentant les directeurs d’EHPAD se sont élevés contre cette mesure qui entraînera des réductions drastiques de budget et aura des conséquences immédiates avec une diminution de personnel et une dégradation des conditions d’accueil et de travail.

Il est fortement conseillé aux EHPAD de ne plus accueillir les personnes âgées perecevant l’aide sociale, afin de pouvoir augmenter leur tarif de journée et par là obtenir une augmentation de leur budget. Si rien ne change, une place en EHPAD sera un luxe que seule une minorité pourra s’offrir. Dans le même temps, la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) sur 2018 et 2019 fait baisser considérablement les dotations soins et dépendance attribuées par l’État. Ce sont des dizaines d’emplois supprimés dans ces établissements, affaiblissant de fait la prise en charge des besoins des résidentEs.

La dernière attaque en date annoncée cet été par Macron est la suppression des contrats aidés qui, même s’ils sont loin d’être une panacée et ne répondent pas aux besoins quant à la création de vrais postes, sont nombreux dans ces structures et sont d’une importance capitale pour le bon fonctionnement de ces établissements. Alors que, déjà, dans un grand nombre d’EHPAD, le personnel est insuffisant et peu formé, ĺa situation ne fera qu’empirer, au mépris du service rendu.

Le marché de l’or gris se porte bien

Les actionnaires, de Korian et Orpéa pour les plus connus, engrangent des profits colossaux. Le personnel, peu formé et mal payé, est réduit au maximum, des services en supplément (animation, lingerie…) sont facturés, le matériel et les produits nécessaires pour les soins sont distribués au compte-gouttes. Tout cela dans le seul but de faire encore plus de profits.

De nombreuses luttes se développent dans les EHPAD afin de dénoncer les conditions de travail déplorables qui ont des répercussions sur les soins apportés. De plus en plus de salariéEs ont compris que seule la mobilisation paye, et que c’est touTEs ensemble, employéEs, familles et résidentEs, qu’il faut lutter pour réclamer un véritable service public de la perte d’autonomie. Un service public gratuit, accessible à touTEs, sur tout le territoire, avec des moyens financiers suffisants, où les salariéEs, les familles et les résidentEs auront leur mot à dire dans la gestion.


Austérité à l’hôpital public : chute libre annoncée

Les gouvernements qui se sont succédé depuis 10 ans n’ont pas épargné l’hôpital. Les suppressions de postes ont débuté en 2008, 1 800 cette année-là. Entre 2008 et 2013 plus de 15 000, 22 000 sous Marisol Touraine entre 2015 et 2017.

Macron prévoit 15 milliards d’économies sur le budget de la sécurité sociale durant son quinquennat : soit des dizaines de milliers de postes supprimés, mais pas seulement. On doit s’attendre à des fermetures de lits, de services, de maternités, d’hôpitaux de proximité…

Des conditions de travail et d’accueil dégradées

En 40 ans le nombre de maternités a été divisé par trois ; en 30 ans on est passé de 3 000 points d’accueil pour les urgences pour 9 millions de passages à 690 pour 18 millions… C’est la disparition progressive des services de proximité au profit des hôpitaux-usines, avec des conséquences dramatiques pour les patientEs et pour le personnel soignant.

Pour réaliser des économies, le gouvernement ne se contente pas de supprimer des postes et de fermer des hôpitaux : développement de l’ambulatoire (entrée le matin pour se faire opérer, sortie le soir), diminution des durées d’hospitalisation, matériel de plus en plus médiocre, restructurations permanentes des services…

Des mesures imposées par les directions des hôpitaux sans qu’une vague de colère ne naisse, grâce à des techniques de management importées de l’industrie.

Le « Lean Management » ou comment transformer l’hôpital en usine

Le « Lean Management », né dans les années 1980 à Toyota, a été mis en place progressivement depuis une dizaine d’années dans les hôpitaux. Il s’agit de « faire participer l’ensemble des employés d’une entreprise à la lutte contre le gaspillage en chassant tout ce qui produit de la non-valeur ajoutée ». Comprenez productivité/réduction des délais et des coûts.

Chasser les temps « inutiles » : discussions informelles avec des collègues, discussions avec le patientE, avec la famille, les proches…

Chasser les temps « pas indispensables » : faire la toilette du patient tous les jours, l’accompagner aux toilettes ou à l’extérieur, etc.

Il y a donc des « spécialistes » qui viennent vous observer travailler pour proposer une meilleure gestion : « simplifier la performance pour mieux la répliquer ». Il ne s’agit plus de soigner mais de produire du soin.

Cette méthode ne répond en rien aux problématiques de l’hôpital, mais bien aux contraintes budgétaires. Elle agit à deux niveaux : le premier, purement budgétaire pour une économie réalisée immédiatement. Le second vise à déshumaniser les gens, déqualifier les soignantEs, isoler les travailleurEs les unEs des autres, les mettre en concurrence, ceux qui sont rapides, ceux qui sont lents, ceux qui arrivent à « gérer », ceux qui n’y arrivent pas…

Une technique de management pour maintenir l’ordre établi

Il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait plus de sens dans le travail, pour que les agents puissent se concentrer sur le fait que celui d’à côté ne le fait pas assez bien et surtout pas assez vite, où alors qu’il s’arrête trop souvent et qu’on est obligé de le remplacer…

Le « Lean Management » est aussi un harcèlement, qui fait système et qui est indispensable : modifications permanentes des plannings, enchaînement des week-ends malgré les demandes des agents, rappels pendant les repos, impossibilité de poser ses congés…

Conséquences : trop de travail, plus de sens, sale ambiance, fatigue qui à chaque instant nous fait risquer l’erreur, risque de se faire mettre au placard si on sort du lot, plus de vie privée, plus de vie de famille, culpabilisation du travail mal fait…

Cette méthode est en plein développement. Mais les conséquences qui apparaissaient au début limitées sortent désormais au grand jour : explosion des arrêts maladies, burn out, suicides… À force de tirer sur la corde : ça craque.

Combattre l’austérité et reconstruire le collectif

La destruction du collectif, c’est l’isolement des agents. C’est les convaincre que personne ne pourra rien pour eux.

Notre rôle en tant que militantEs c’est de reconstruire ces cadres, redonner confiance aux agents dans leur force collective.

De nombreuses luttes ont eu lieu ces derniers mois dans les hôpitaux, mais il est comme partout difficile de les coordonner, de leur donner un but commun. Tel doit être notre objectif dans les prochains mois : réussir à faire en sorte que la peur change de camp, que la santé ne soit pas sacrifiée. C’est le combat de touTEs, soignantEs et usagerEs.


Un (nouveau) plan pour « lutter contre la désertification médicale » ?

Le plan de la ministre Agnès Buzyn, destiné à « lutter contre les inégalités sociales et géographiques d’accès aux soins », sera aussi inefficace que ceux de ses prédécesseurs.

Car pour la très libérale ministre de la Santé, pas question d’interdire les dépassements d’honoraires, de rembourser les soins à 100 % par la Sécurité sociale et de généraliser le tiers payant intégral, géré par la Sécurité sociale seule…

Les mêmes recettes inefficaces

À la place, un tiers payant usine à gaz, dans lequel il sera toujours aussi difficile de se retrouver, entre Sécu et multiples mutuelles, et qui reste au bon vouloir des médecins qui majoritairement n’en veulent pas. Avec un tel plan, ce n’est pas demain que les 30 % de patientEs qui ont des problèmes d’accès aux soins, surtout aux spécialistes, pourront se faire soigner.

D’autant que pour lutter contre les déserts médicaux, qui vont aller en s’aggravant avec les très nombreux départs à la retraite, surtout à la campagne et dans les quartiers populaires, ce sont toujours les mêmes recettes qui sont proposées, alors qu’elles peinent à attirer de jeunes médecins : maisons de santé, télémédecine, aide à l’installation. Pourquoi s’installer, alors que l’on a le choix, dans des quartiers où règnent le chômage et les problèmes sociaux, ou dans des coins reculés où les hôpitaux de proximité, les services d’urgence et les maternités sont fermés ?

La ministre ose même dire que les dermatologues ou les psychiatres libéraux, déjà surchargés, pourraient faire des vacations dans les zones sous-dotées, au moment où elle met à mal la psychiatrie de secteur qui accueille gratuitement les patientEs en souffrance sur tout le territoire ! Pas un mot, en revanche, sur la sacro-sainte liberté d’installation, alors que pharmaciens et infirmières doivent de leur côté passer par les agences régionales de santé avant de s’installer. Pas un mot non plus au sujet d’une allocation d’études qui permettrait aux jeunes issus des classes populaires d’étudier la médecine et de vouloir s’installer là où ils ont vécu.

Pour un service public de santé de proximité

La médecine libérale, solitaire, payée à l’acte, n’attire plus : elle est en fin de modèle. Surchargés, surmenés, confrontés à de plus en plus de tâches administratives, souvent impuissants face aux difficultés quotidiennes des habitantEs, les médecins libéraux sont à bout de souffle : moins de 10 % des jeunes médecins s’installent en médecine générale, une des catégories sociales où le burn out est le plus important.

C’est pourquoi nous défendons l’idée d’un service public de santé de proximité qui, avec une école au service de touTes, des bureaux de poste, des lieux de culture, des transports gratuits et de qualité… peuvent redonner l’envie de vivre, de travailler dans les territoires abandonnés du libéralisme. Un service public de santé de proximité, financé par la Sécu, qui rassemble touTEs les acteurEs de la santé (généralistes, spécialistes, dentistes, labo et radiologie, nutritionnistes, infirmières, kinés, accueil psy… mais aussi usagerEs) pour donner des soins gratuits, réaliser des actions d’information et de prévention, et assurer au plus près la permanence des soins pour désengorger les urgences.

Pour donner aux médecins l’envie d’être au service de la santé de touTEs, partout…