L’URSSAF

Médiapart - Le combat judiciaire sans fin d’un ex-inspecteur de l’Urssaf

Novembre 2017, par Info santé sécu social

24 novembre 2017| Par martine orange

Philippe Pascal était un inspecteur de l’Urssaf très apprécié, jusqu’au jour où il a contrôlé François Mariani, président de la chambre de commerce et d’industrie d’Avignon. Sept ans après, François Mariani le poursuit encore pour avoir transmis au parquet un enregistrement le mettant en cause.

« Je ne suis pas un lanceur d’alerte. Je suis juste un fonctionnaire sanctionné pour avoir fait son travail. » Ancien inspecteur de l’Urssaf, Philippe Pascal ne veut pas se tromper de combat. Après tout ce par quoi il est passé, il refuse d’être cantonné dans un rôle de dénonciateur. Pour lui, il n’a fait que son travail. Il aimerait être un porte-parole de cette fonction publique dénigrée et accablée par les politiques, abandonnée par un État qui a renoncé à protéger ses agents, qui ne veut même plus défendre son droit et ses principes. Tout ce à quoi il a cru.

Depuis sept ans, il paie ses convictions au prix fort. Sept ans de bataille, de déni, de solitude. Quand il repense à cette période éprouvante, Philippe Pascal en a parfois les larmes aux yeux. Il était un inspecteur de l’Urssaf bien noté, auquel on faisait assez confiance pour le nommer secrétaire du comité départemental antifraude du Vaucluse (Codaf 84) qui regroupe le parquet, le fisc, la police et la gendarmerie. On lui promettait le meilleur avenir. Puis tout s’est écroulé : sa hiérarchie l’a abandonné, ses amis se sont éloignés, sa carrière a été brisée, il a fait une dépression et a été mis en retraite anticipée. Sa faute ? « J’ai osé contrôler et redresser les sociétés de François Mariani. Un notable », dit Philippe Pascal.

Au fil des ans, l’ancien inspecteur de l’Urssaf a pu mesurer ce qu’il pouvait coûter à un fonctionnaire de faire son travail face à un homme de tant de poids dans la région. Il a tout connu : les lâchetés de son administration, désormais régionalisée, devenue bien plus sensible à « l’harmonie régionale » et qui ne lui a apporté aucun soutien, les interventions en haut lieu pour tout enterrer, les menaces, les rumeurs pour le discréditer, les sanctions disciplinaires, la justice qui fonctionne à plusieurs vitesses selon la qualité des personnes mises en cause…

Car François Mariani est un entrepreneur qui compte à Avignon. Cousin de Thierry Mariani – ancien député (UMP) du Vaucluse et ex-secrétaire d’État aux transports sous Nicolas Sarkozy –, il possédait à l’époque un restaurant quatre étoiles et une école hôtelière, dirigés depuis par son fils Jean-François. Il a une influence notable sur une entreprise de BTP familiale, très présente sur tous les marchés publics de la région. Il était aussi, à l’époque des contrôles, président de la chambre de commerce et d’industrie d’Avignon.

Une telle position acquise « à la force du poignet » mérite quelques prévenances, semble-t-il. François Mariani n’a jamais manifestement admis qu’un « simple fonctionnaire » mette le nez dans ses affaires et lui demande des comptes. D’autant que les premières enquêtes et les premiers redressements en ont déclenché d’autres sur ses activités. Depuis, François Mariani poursuit avec constance Philippe Pascal. Pas l’Urssaf en tant que personne morale, pas la direction d’Avignon, pas sa hiérarchie. Non, seulement l’inspecteur de l’Urssaf. Celui par qui, selon le chef d’entreprise, tous ses ennuis sont arrivés.

Tout a commencé par un enregistrement. À l’automne 2010, Philippe Pascal reçoit un ancien salarié de François Mariani, qui a été licencié un an plus tôt. Celui-ci lui raconte les drôles de choses qui se passent au restaurant quatre étoiles « Les Agassins », propriété du président de la chambre de commerce d’Avignon. En tant que maître d’hôtel, il a vu beaucoup de choses, du travail au noir, du travail dissimulé, des salaires payés en liquide, une double comptabilité permettant de mettre les factures payées en liquide de côté. À l’appui de ses dires, il fournit un enregistrement qu’il a réalisé le jour de son licenciement. François Mariani y parle librement, très librement.

Jamais l’inspecteur de l’Urssaf n’a été confronté à une telle situation. Pour ne commettre aucun impair, il s’en ouvre directement auprès du parquet. Au vu des éléments recueillis, la procureure de la République Catherine Champrenault et son adjoint Thierry Villardo décident de lancer une enquête, mais de la manière la plus discrète possible afin d’éviter les fuites : François Mariani est un notable de la région et il a beaucoup d’amis, y compris au conseil d’administration de l’Urssaf où siègent des représentants du patronat local. Seuls quelques agents du fisc et de la police sont mis dans la confidence et travaillent sous les ordres directs des deux procureurs.

Début décembre, l’équipe perquisitionne l’hôtel et trouve tout ce qui y était annoncé : des salariés sans contrat, du travail au noir ou dissimulé, une double comptabilité. Après un an de recoupements, l’Urssaf notifie à François Mariani un redressement de quelque 700 000 euros de non-paiement de cotisations sociales. « Un travail bâclé, des méthodes dignes d’une république bananière », tonne François Mariani en réponse à ce redressement.

L’affaire ne s’arrête pas là. Une information judiciaire est ouverte pour abus et recel d’abus de biens sociaux, 3 travail dissimulé, faux et usage de faux, présentation de bilan inexact et harcèlement moral. De même que son fils Jean-François, François Mariani est mis en examen. Son avocat, Me Olivier Morice, attaque la procureure 3 en dénonçant « un comportement déloyal », « un acharnement judiciaire ».

Agressions en série

Les pressions de tout ordre ne se font pas attendre, du patronat, du préfet, au sein de l’Urssaf. La situation, cependant, prend à partir de ce moment-là un tour inquiétant pour Philippe Pascal. Quelque temps après avoir signifié le redressement, un énorme 4x4 fonce en pleine campagne sur la voiture de l’inspecteur et manque de lui faire quitter la route. Puis c’est un ami détective qui le met en garde : un gendarme, ami du fils de François Mariani, est en train d’enquêter sur lui pour trouver tout ce qui peut le décrédibiliser. Dans un enregistrement réalisé par le détective, le gendarme précise qu’on « souhaite le [Philippe Pascal – ndlr] démolir physiquement, moralement ou professionnellement ». Quelques mois plus tard encore, un ami est agressé devant le domicile de l’inspecteur de l’Urssaf, à sa place. L’homme, avant de le frapper, l’avait interpellé : « M. Pascal ? » Son ami, sérieusement blessé, est hospitalisé et arrêté pendant 45 jours. Puis Philippe Pascal se fait voler sa voiture devant son domicile. Il la retrouve sur le parking de l’Urssaf, avec un avertissement : « Tire-toi vite. »

Dans d’autres pays, dans d’autres régions, l’administration, la police et la justice ne prennent pas à la légère cette succession d’accidents. Elles ne les assimilent pas à de simples coïncidences. On leur donne même parfois un nom : pratiques d’intimidation à l’égard d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Au minimum. À Avignon, ces événements ne semblent pas choquer plus que cela. Toutes les plaintes ont été classées sans suite. La police n’a jamais retrouvé l’agresseur de l’ami de l’ancien inspecteur de l’Urssaf. Le gendarme, dont les propos ont été enregistrés et remis au parquet, n’aurait même jamais fait l’objet d’une enquête disciplinaire.

Tant que Philippe Pascal a l’appui du parquet d’Avignon, la hiérarchie de l’Urssaf le soutient et lui demande même de poursuivre ses enquêtes. Après le restaurant, Philippe Pascal enquête sur l’école hôtelière. Il y retrouve des pratiques similaires : des stagiaires à qui l’on demande de faire des extras sans être payés au nom de l’apprentissage ; des emplois non déclarés. Ce qui donne lieu à un nouveau redressement de 700 000 euros pour cotisations sociales non payées pendant cinq ans. Puis la direction de l’Urssaf lui demande d’enquêter sur l’entreprise de BTP familiale. Même si François Mariani ne semble y avoir aucun rôle, il est considéré comme le véritable patron de la société, selon les salariés. Dans leurs témoignages recueillis par la police, certains expliquent les conditions misérables réservées à certains, obligés d’enchaîner le gardiennage d’un chantier après leurs heures de travail, travaillant sept jours sur sept dans des locaux misérables, les treizièmes mois payés au noir et en liquide.

Mais la justice s’intéresse aussi au rôle de François Mariani en tant que président de la chambre de commerce et d’industrie d’Avignon. En 2013, une autre enquête judiciaire est ouverte sur le fonctionnement de l’organisme consulaire. François Mariani est mis en examen avec deux directeurs de la chambre de commerce pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et atteinte à la liberté d’accès dans les marchés publics. Le chef d’entreprise dénonce à nouveau 3 « un acharnement judiciaire ». Ses avocats promettent de « pulvériser le dossier ».

L’affaire prend de l’ampleur, manifestement trop d’ampleur. La procureure Catherine Champrenault est mutée rapidement en Guadeloupe, avant d’être nommée quelques années plus tard procureure générale de Paris. Thierry Villardo est nommé en 2014 avocat général à la cour d’appel d’Aix-en-provence. Son successeur, Bernard Marchal, nommé depuis procureur dans le Var, n’a manifestement pas les mêmes vues. Depuis, les enquêtes pénales ouvertes sur les activités de François Mariani avancent au rythme de l’escargot.

Pour Philippe Pascal commence une longue traversée du désert. Peu à peu, sa direction lui demande « pour sa sécurité » de renoncer à ses enquêtes et de les confier à Marseille. En janvier 2014, l’Urssaf est régionalisée et passe sous la direction de Marseille. Les conséquences de ce changement se font tout de suite sentir : Philippe Pascal est mis sur une voie de garage. Il écrit à la hiérarchie régionale pour dire tout le mal qu’il pense du traitement qu’on lui réserve, et surtout pour leur reprocher d’abandonner l’intérêt général. La réplique ne s’est pas fait attendre. À la suite d’une intervention sur un dossier bloqué à la Sécurité sociale, il passe en conseil de discipline pour « manque de discernement » et « dénigrement de la hiérarchie ». Il est sanctionné par sept jours de mise à pied !

Dès lors, le calvaire se poursuit. Mise au placard, dépression, avant de demander sa mise à la retraite. « Je ne me voyais pas continuer comme cela », raconte Philippe Pascal.

Plaintes en série

« Philippe Pascal n’est pas la victime qu’il veut bien dire. C’est un monsieur aux méthodes très controversées. Il a utilisé son travail pour faire pression sur certaines personnes pour financer son association. Cela a d’ailleurs été signalé au préfet du Vaucluse. Et pourquoi a-t-il été licencié de l’Urssaf ? On n’a pas accès à son dossier. Mais ce serait intéressant de le connaître. Il a fait l’objet d’une procédure disciplinaire parce que ses méthodes ne relèvent pas des pratiques de l’Urssaf », accuse aujourd’hui Olivier Morice, l’avocat de François Mariani. « Je le dirai et le prouverai au moment du procès. »

« À côté de mon travail, je préside à titre bénévole une association pour les enfants du Niger. Il y a quelques années, un entrepreneur est venu pour me proposer d’y participer. Dans un premier temps, j’ai dit d’accord et nous avons signé une convention. Puis j’ai réfléchi. J’ai trouvé que c’était dangereux et je n’ai pas donné suite », explique Philippe Pascal. Avant de poursuivre : « Dans leur enquête contre moi, ils ont retrouvé cette affaire et ont décidé de l’utiliser. Ils m’accusent de faire chanter les personnes que je contrôle pour récupérer des fonds pour mon association. Qu’ils soient intervenus auprès du préfet, là, je n’ai aucun doute. Puis ils ont déposé plainte contre moi pour corruption. Une enquête a été menée. Elle a prouvé qu’il n’y avait eu aucun mouvement d’argent ni sur le compte de l’entrepreneur, ni sur celui de l’association, ni sur le mien. Il n’y avait rien parce qu’il ne pouvait rien avoir. Cette enquête a été classée sans suite, nous dit-on. Mais mon avocat n’a jamais pu avoir la confirmation écrite de ce classement. » Interrogé sur le classement sans suite de cette plainte, Olivier Morice ne nous a pas répondu.

François Mariani n’a pas renoncé à ses poursuites judiciaires contre l’ex-inspecteur de l’Urssaf. Deux autres plaintes ont été déposées contre lui, l’une pour atteinte à la présomption d’innocence à la suite d’un article publié dans La Provence, l’autre pour recel de violation de la vie privée, pour avoir utilisé l’enregistrement de l’ancien salarié au démarrage de son enquête sur le restaurant de M. Mariani. Toutes les deux ont été acceptées par le procureur d’Avignon, Bernard Marchal. Le même qui a classé sans suite toutes les plaintes de Philippe Pascal.

Vendredi 17 novembre, Philippe Pascal a eu une grande satisfaction. Confirmant le jugement en première instance, la cour d’appel de Nîmes a débouté le chef d’entreprise qui avait porté plainte pour atteinte à la présomption d’innocence, à la suite des propos tenus par Philippe Pascal dans la Provence. François Mariani a été condamné à payer 2 000 euros de dommages et intérêts à l’ancien inspecteur de l’Urssaf et au journaliste, également poursuivi, au titre des frais de justice.

Mais l’autre procédure reste pendante. Lundi 13 novembre, le tribunal de grande instance d’Avignon devait pourtant juger la plainte. Mais l’audience a été renvoyée, pour la quatrième fois depuis début 2016. Cette fois-ci, il y avait un cas de force majeure : l’avocat de François Mariani, Me Olivier Morice, était cloué au lit par une hernie discale. Hasard ? Ni l’ancien salarié, poursuivi lui aussi pour avoir réalisé l’enregistrement, ni son avocat n’étaient présents à l’audience. « Sans l’avocat de la partie civile, sans l’avocat de la deuxième personne poursuivie, il est impossible de tenir l’audience », a constaté la présidente de la cour, visiblement agacée par l’auditoire inhabituel – des syndicalistes, beaucoup de la CGT, des fonctionnaires de la région, des associations, des « gauchistes » en un mot, venus soutenir l’ex-inspecteur de l’Urssaf.

Y aurait-il un certain embarras de la justice à juger un tel dossier ? Car comment comprendre que le parquet d’Avignon ait pu accepter une telle plainte : poursuivre un fonctionnaire qui a agi avec le plein soutien du parquet ? « Même avant l’affaire Bettencourt, les enregistrements étaient admis comme éléments de preuve. Dans le cadre des relations de travail, ils ne relèvent pas de la vie privée, selon un arrêt de la Cour de Cassation », insiste Thierry Coste, défenseur de Philippe Pascal. « Je ne connais rien au dossier. Mais voir la justice poursuivre quelqu’un qui a agi sur ordre du parquet, là, j’éclate de rire. Où sommes-nous ? », grince ce jour-là un avocat, attiré par la foule inhabituelle qui a envahi ce jour-là le palais de justice d’Avignon. « Si le tribunal condamne Philippe Pascal, autant dire que l’État renonce à faire respecter le droit, autant nous supprimer tout de suite », s’énerve une collègue de l’ancien inspecteur.

Une nouvelle audience a été fixée, loin, très loin, au 26 février, comme le demandait le bâtonnier d’Avignon Franck Gardien, représentant par défaut de la partie civile. Avec, peut-être, le secret espoir que tout pourrait être jugé sans trop de publicité.

Par martine orange et Yann Philippin


J’ai rencontré Philippe Pascal à la suite de son intervention au plateau des Glières, en mai 2017. Nous nous sommes vus plusieurs fois. J’avais prévu de raconter son histoire au moment de son procès. Je me suis rendue à Avignon le 13 novembre pour entendre, après cinq minutes d’audience, que le procès était renvoyé au 26 février. J’ai par la suite contacté l’avocat de François Mariani, Me Olivier Morice, par téléphone.

J’avais oublié de le mentionner . Un lecteur a eu la bonne idée de le rappeler dans un commentaire. Un collectif de soutien s’est formé pour soutenir Philippe Pascal. Il s’appelle Paye tes cotiz. Il est accessible ici :
http://payetescotiz.fr/