L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo L’Anticapitaliste - 407 (30/11/2017) - « Dire que le sida est une maladie chronique, c’est complètement faux »

Novembre 2017, par Info santé sécu social

Entretien. À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le Sida, le 1er décembre prochain, nous avons rencontré Xavier Cœur-Jolly, activiste, vice-président et porte-parole d’Act up-Paris.

Où en est l’épidémie aujourd’hui ?

En France, on a la chance d’avoir une couverture sociale et d’être pris en charge, notamment pour les traitements, toutefois pas toutes les dépenses médicales liées au sida, mais quand on regarde l’état de la planète, il y a des chiffres qui font peur : en juin 2017, ce sont 21 millions de séropositifs qui avaient accès aux traitements ARV (antirétroviraux), mais ce sont aussi 17 millions de personnes qui en sont privées, dont près d’un million d’enfants. Le début de l’épidémie, sur la planète, c’est 30 millions de morts, presque la moitié de la population française…

En France, d’après les données officielles, ce sont 6500 nouvelles contaminations par an, il y a 1500 nouvelles contaminations par an rien qu’à Paris. Plus de 50% des personnes contaminées sont des gays ou des bis, et sur l’ensemble des 50% qui restent il y a une grande majorité de migrantEs, la moitié contaminée dans leur pays d’origine et l’autre moitié qui se contaminent en France, avec les lamentables conditions dans lesquelles ils vivent… Les consultations pour les migrants interviennent en moyenne 9 ans après la découverte de leur séropositivité. Il y a environ 150 000 personnes qui vivent avec le VIH en France aujourd’hui, on ne meurt quasiment plus de pathologies liées au VIH. On a un cocktail d’environ 90 molécules qui fait que chacunE peut être pris en charge sur une trithérapie, mais il faut savoir que cela fait énormément de mal à ton corps : par exemple, on a des jeunes adultes sous trithérapie qui ont une ostéoporose semblable à celle de femmes de 60-70 ans…

Donc on ne peut pas dire aujourd’hui qu’on vit bien avec le VIH. Quand on a le VIH, c’est très compliqué de travailler : tu es fatigué, les traitements sont lourds et contraignants… Dire aujourd’hui, comme certains le font, que le sida est une maladie chronique, c’est complètement faux. Ce n’est pas une maladie chronique. Nous, quand on parle prévention, on dit bien que c’est une maladie avec laquelle on va vivre toute sa vie. C’est lourd au quotidien, et on ne connaît pas les effets secondaires à long terme des traitements.

L’activité d’Act Up au quotidien, c’est quoi ?

On a différentes commissions qui se réunissent régulièrement : commission prévention/sexpol, commission droits sociaux, commission jeunes, commission drogues, commission MEUF, commission LGBTIphobie/sérophobie, la commission migrationS, avec une bande de jeunes qui ont voulu prendre ce projet à bras-le-corps, dont Théophile, un des acteurs du film 120 battements par minute, qui travaillent avec des associations qui bossent au quotidien avec les migrantEs. Il faut dire qu’avec ce film, alors qu’Act Up était un peu dans une situation de belle endormie en ce qui concerne le nombre d’activistes, on a vu arriver entre 60 et 80 militantEs, dont ces jeunes qui font un super boulot. La permanence droits sociaux, c’est un peu la question du « VIVRE AVEC le VIH » : il y a une permanence tous les mercredis, tu viens sans rendez-vous, et on va t’aider à bâtir des dossiers, pour des papiers, un logement, une couverture sociale, parcours de soin, etc. On est vraiment dans une logique d’empowerment : c’est à toi de te bouger et de prendre ta vie en main, nous on te donne les pistes, les coups de main, les adresses, les conseils, mais c’est à toi de faire le boulot.

Act up est devenue une association moins « fofolle » : on était des pédés, des gouines, des trans, des folles, et on était fiers de ça, et on l’est toujours en acceptant toutes les sexualités et les genres, mais aujourd’hui on est plus connus comme une association qui travaille des dossiers de fond – alors qu’on la toujours été. Quand on sort un chiffre il ne vient pas de nulle part, on a des plaidoyers bien construits, et quand on demande un rendez-vous à une institution, ils savent qu’on arrive avec des choses solides et qu’il ne faut pas nous mener en bateau. En plus on a une arme, c’est le zap [actions spectaculaires contre une cible sélectionnée] : ces gens connaissent l’histoire d’Act Up, ils ont vu le film, et ils savent que s’ils nous mènent en bateau on peut les choper n’importe où et les zapper : ça peut être du faux sang, un menottage d’un secrétaire d’État, etc. Donc voilà, on est sérieuxSES, on bosse nos dossiers, et il y a en plus toujours cette petite épée de Damoclès.

Quels sont les « dossiers » urgents d’après vous ?

Il y a une absence totale de politique de prévention dans les établissements scolaires, c’est catastrophique. Au collège et au lycée, on a encore environ 3-4 gamins sur 10 qui pensent qu’on peut attraper le sida en faisant un bisou à sa copine ou à son copain, ou en s’asseyant sur la cuvette des toilettes… L’État a carrément abandonné le terrain de la prévention, parler de sexe et de genre aujourd’hui dans les établissements scolaires c’est très compliqué, on a un retour des valeurs cathos de droite. Aujourd’hui les directeurs d’établissement n’ont pas de consigne des recteurs, les recteurs n’ayant pas de consigne du ministère de l’Éducation nationale, et par exemple parler de la capote et de sexe c’est très compliqué. Et avec Blanquer, qui est un catho tradi bien réac, il n’y pas d’espoir que ça change, au contraire. Si tu rajoutes à ça les suppressions de postes d’infirmières scolaires, dans certains établissements, dans certains départements très touchés comme le 93, les gaminEs n’ont pas accès à une infirmière pour parler sexualité et genre, voire tout simplement accès à des préservatifs gratuits, des brochures de prévention, etc.

Il y a aussi la situation des migrantEs, qui est dramatique, avec la politique d’expulsion qui met des milliers de vies en danger, et on essaie de filer des coups de main à des associations qui bossent avec eux.

Une autre question qu’on pose en ce moment, c’est un de nos plaidoyers, c’est le « vieillir avec le VIH », avec l’association « grey pride » : qu’est-ce qu’ils et elles vont devenir, notamment celles et ceux qui n’ont pas ou peu bossé, est-ce qu’il y aura des EHPAD gayfriendly, les personnels qui accompagnent les vieux et les vieilles LGBTI seront-ils formés, etc.

On bosse aussi pas mal sur les droits des trans, sur l’environnement carcéral-prisons, où la situation est vraiment très compliquée, sur les usagers de drogue qu’on a tendance à oublier, plein de dossiers en fait.

On appelle par ailleurs à nombre de manifestations, que ce soit celles sur les droits des trans, le loi travail, les travailleurEs du sexe, l’état d’urgence, celles pour le soutien aux migrantEs… On est en interaction sur ces dossiers-là, on bosse avec d’autres associations, et on fait aussi remonter des urgences, des cas urgents auprès du cabinet de certains élus à Paris, il y en a qui font du bon boulot, qui nous écoutent : on arrive à travailler avec certains à la ville de Paris, mais ça ne veut pas dire qu’on ne se bat pas contre certaines décisions scandaleuses, s’ils évacuent des migrants dans des conditions déplorables par exemple, on est là. On n’est jamais dans une relation de confiance à 100% avec les politiques, les institutionnels ou l’industrie pharmaceutique et ils le savent.

ACTION = VIE et INFORMATION = POUVOIR plus que jamais.

Propos recueillis par Julien Salingue