L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo L’Anticapitaliste - 414 (25/01/2018) Dossier EHPAD : Nos mamies et nos papis valent plus que leurs profits !

Février 2018, par Info santé sécu social

Dossier réalisé par la commission nationale santé sécu social du NPA.

Le 30 janvier prochain, partout en France, les salariéEs des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) feront grève et manifesteront à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales de la Santé.

Ce mouvement est l’aboutissement d’une vague de fond qui traverse ces établissements. Au cours des derniers mois, des dizaines de grèves ont eu lieu dans les EHPAD publics et privés, sur tout le territoire.

Ces grèves menées dans des conditions difficiles ont révélé à la fois les conditions de travail insupportables des personnels mais aussi la maltraitance que produisent les coupes budgétaires, la course à la rentabilité et, dans le secteur commercial, la course aux profits.

Elles ont mis en lumière la précarité des personnels, la maltraitance, le manque d’effectifs : repas donnés à la hâte, toilettes rapides, manque d’activités, qui font des EHPAD des mouroirs. Une « maltraitance institutionnelle » que les personnels ne supportent plus alors que, dans le même temps, l’exploitation de « l’or gris » est devenu un business très rentable pour les actionnaires des établissements commerciaux.

Quant aux résidentEs et leurs familles, ils et elles doivent payer de leur poche, souvent 2 000 euros par mois voire plus, ce qui est bien au-dessus du niveau des pensions à l’heure où une nouvelle « réforme » va encore s’attaquer aux retraites.
La lutte des salariéEs des EHPAD et leurs revendications, à commencer par l’exigence de la présence d’unE professionnelle pour unE résidentE, doivent être soutenues. Elles posent une question politique essentielle : celle de la place que la société donne à toutes celles et ceux qui en raison de leur âge, de leur handicap, ou pour toute autre cause, ne sont pas en état de produire.

Sont-ils/elles des êtres « en trop » que l’on tolère en leur permettant de survivre ? Ou ont-ils/elles le droit de vivre, dans les meilleures conditions possibles au sein d’une société accueillante pour touTEs ?


D’où vient la crise ?

Selon le dernier bilan démographique de l’INSEE, le vieillissement de la population se poursuit en France.

Au 1er janvier 2018, les personnes de 65 ans ou plus représentent 19,6 % de la population. Vingt ans plus tôt, ce chiffre n’était que de 15,5 %. L’espérance de vie à la naissance est de 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes, elle ne s’accompagne toutefois pas d’un accroissement de l’espérance de vie en bonne santé, qui stagne et s’élève à 64,2 ans pour les femmes et 61,7 ans pour les hommes

La « dépendance »
Le vieillissement de la population s’accompagne d’une perte d’autonomie, croissante avec l’âge. Celle-ci peut être, pendant une période compatible avec le maintien à domicile (avec un soutien et des aménagements). Mais, au-delà de certaines limites, une prise en charge en institution devient souvent nécessaire pour assurer à la fois les soins de santé (les pathologies et en particulier les pathologies chroniques fréquentes et lourdes) et la compensation de la perte d’autonomie (l’incapacité à faire face aux besoins de la vie quotidienne), ce que l’on appelle souvent la « dépendance ».

C’est le rôle des EHPAD d’assurer l’hébergement et la prise en charge des « personnes âgées dépendantes ». En 2016, on comptait en France 557 648 places en EHPAD : 290 890 dans les EHPAD publics (127 070 dans les hôpitaux et 163 860 dans les communes) ; 169 030 dans les EHPAD privés non lucratifs (associatifs) ; 125 640 dans les EHPAD privés commerciaux (versant des bénéfices à leurs actionnaires).

Austérité
Ces établissements médicalisés doivent pouvoir assurer des soins par des professionnelEs de santé (médecins, infirmièrEs, kinés, ergothetapeutes, psychomotricienEs aides-soignantEs) et un accompagnement de la perte d’autonomie (aides-soigantEs, aides médico-psychologiques, animateurEs, etc.).
Au fil des années, la présence de résidentEs de plus en plus lourdement dépendantEs augmente l’intensité du travail et sa pénibilité, alors que les politiques d’austérité frappent tant les budgets de soins (assurance maladie) et ceux des départements qui via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) financent la dépendance.

Les économies tous azimuts ont eu pour conséquence le recours aux emplois dits aidés, précaires, mal rémunérés, sans réelle ¬qualification ni formation.
L’application de la réforme de la tarification décidée sous le quinquennat Hollande et les premières mesures de Macron (réduction des emplois aidés) ont provoqué la crise ouverte.


Des économies sur le dos des résident-E-s et des personnels

Les décrets d’application de « la loi d’adaptation de la société au vieillissement de la société » sont entrés en vigueur. Le gouvernement Hollande avait annoncé « des mesures concrètes pour améliorer le quotidien des personnes âgées et de leurs proches et un financement ambitieux et responsable ». En réalité, il a mis en œuvre des dispositions qui ont aggravé les conditions de vie des résidentEs et des salariéEs en imposant des budgets réduits.

Auparavant chaque ¬EHPAD public négociait son budget en fonction de ses particularités : profil des résidentEs, pathologies traitées, spécificités (par exemple nombre important de patientEs souffrant de la maladie d’Alzheimer). Le montant des dotations était déjà insuffisant mais sa répartition tenait compte des besoins de chaque EHPAD.

Dorénavant le budget dépendance et soins est forfaitaire et ne tient pas compte des particularités des établissements. Cette réforme tarifaire a pour conséquence une baisse de 200 millions d’euros, en 2017, des dotations annuelles attribuées aux maisons de retraite médicalisées publiques. Cette réforme favorise grandement les EHPAD privés commerciaux, tandis que les établissements publics ou associatifs se voient privés d’une part importante de leurs ressources.

« Capacité managériale »
Certaines associations de directeurs d’EHPAD soutiennent la grève du 30 janvier, car les pouvoirs publics leur imposent la lourde tâche d’« équilibrer les budgets ». Le gouvernement Macron adhère totalement à cette loi, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, allant jusqu’à dénoncer les établissements publics et leurs directeurs. En visite à l’EHPAD de Vienne en décembre 2017, elle déclarait ainsi selon la presse que « tout n’est pas qu’une question financière. Nous ferions une erreur de réduire uniquement le problème des EHPAD à un problème de tarification. Il y a des directeurs qui managent remarquablement leurs équipes […]. À l’inverse, dans certaines structures, notamment publiques, on sent que la capacité managériale n’est pas au rendez-vous ».

Les réductions budgétaires auront pour conséquence la disparition de plusieurs milliers d’emplois, à laquelle s’ajoutera la suppression des emplois aidés qui permettaient aux établissements de fonctionner. Ils ne seront bien sûr pas remplacés par des emplois pérennes. La souffrance du personnel, la dégradation des conditions de vie des patientEs va donc encore s’aggraver.


EHPAD privés  : La loi du profit

Tandis que les budgets sont réduits de 200 millions d’euros dans les EHPAD publics, dans le privé les profits explosent : les établissements ne sont pas tous soumis aux mêmes contraintes.

Les EHPAD publics doivent accueillir toute personne sans discrimination, quels que soient leur degré de dépendance et leurs ressources financières. Ils accueillent les cas les plus lourds, nécessitant une prise en charge plus coûteuse et les personnes dans les situations sociales les plus précaires.

Groupes cotés en bourse
Contrairement aux établissements publics, dans le privé le tarif d’hébergement est libre, ce qui permet de l’augmenter. De plus le privé bénéficie d’avantages comme le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) : des millions supplémentaires (6 % de la masse salariale pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic).

Cela permet au privé d’accumuler des profits. Certains groupes sont même cotés en bourse, comme Korian avec ses 24 158 lits, qui a réalisé 15,5 % de marge et un bénéfice de 6 %, en 2016. En cinq ans, il a doublé les dividendes versés aux actionnaires et, au premier semestre 2017, dégagé 38 millions d’euros de bénéfices contre 32 un an plus tôt. Orpea, qui compte 19 598 lits, a dégagé un excédent brut de 17,4 % au premier semestre, soit 258,8 millions d’euros, un renforcement de son patrimoine immobilier de 545 millions d’euros, pour atteindre 4,6 milliards.

Retour sur investissement
Depuis des années, les maisons de retraite sont rachetées par d’autres groupes comme DomusVi, Colisée, Domidep, les Opalines, qui détiennent tous près de 50 établissements.

Ces groupes appartiennent pour la plupart à des fonds de pension qui exigent un retour sur investissement. Ce qui se fait au détriment de la prise en charge des personnes âgées et au prix d’une maltraitance institutionnelle qui se généralise, de conditions de travail terribles et de bas salaires. Le taux d’encadrement des personnes âgées est en effet inférieur dans le privé, avec en moyenne 61 agents pour 100 résidents, contre 80 pour 100 dans les établissements publics les mieux dotés.

Un rapport, publié mi-septembre après une mission parlementaire « flash », relevait des conditions de travail « particulièrement préoccupantes tant d’un point de vue physique que psychologique » en particulier pour les aides-¬soignantEs, un taux d’absentéisme moyen de 10 %, un taux d’accident du travail deux fois supérieur à la moyenne nationale.

Des raisons de se battre pour une prise en charge digne des personnes âgées, des postes et des salaires qui permettent de vivre.


Perte d’autonomie, EHPAD ce que défend le NPA

Nous ne voulons pas d’un monde où il y aurait des hommes et des femmes de trop, qui seraient une « charge » pour la société ou qui seraient considérés comme une marchandise. Notre choix est de ne laisser personne sur le bord de la route et de créer les conditions effectives du « vivre ensemble ».

• La notion de dépendance ne doit pas se fonder et s’institutionnaliser par une prise en charge uniformisée de la vieillesse, avec des statistiques qui amènent une standardisation plus ou moins affinée. Elle doit prendre en compte la singularité de chaque personne âgée.

• Des mesures spécifiques doivent être prises pour résoudre le problème de l’isolement, prévenir la perte de mémoire, de locomotion. L’aide au maintien à domicile doit recevoir bien plus de moyens. L’espace urbain doit être aménagé, et les logements, adaptés, financièrement accessibles à touTEs. Les transports publics de qualité doivent être gratuits.

• La prévention doit être une priorité. Il faut agir sur tous les facteurs de dégradation de l’état de santé : lutter pour l’amélioration des conditions de travail, et réduire le temps de travail, améliorer les conditions de vie (habitat, environnement, nourriture…). Cela nécessite aussi la prise en charge à 100 % de tous les soins par la Sécurité sociale, le développement d’un service public de santé gratuit, l’arrêt des fermetures et restructurations des hôpitaux.

• Il faut un service public de qualité, au domicile ou en institution, pour la compensation de la perte d’autonomie dans le cadre de la Sécurité sociale. Il doit être financé intégralement par les cotisations sociales, et géré par la Sécu démocratisée. La journée de « solidarité » (journée de travail non payée) doit donc être supprimée et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dissoute. Les moyens doivent être donnés pour développer les aides à la « dépendance » pour toutes les personnes qui en ont besoin, quel que soit leur âge et sans aucune exclusive.

• Le personnel, sous statut de la fonction publique ou sous convention collective de la Sécurité sociale, doit être en nombre suffisant. Il doit être formé aux problématiques des personnes à l’autonomie limitée, bénéficier grâce à l’augmentation des effectifs de conditions de travail décentes, une réduction du temps de travail à 32 heures, des horaires permettant la vie personnelle et familiale et de meilleurs salaires (minimum 1 800 euros net). Les qualifications acquises doivent être reconnues et pleinement rémunérées.

• La Sécurité sociale doit prendre en charge et développer les services à la personne, contre l’isolement, pour des logements et des transports adaptés aux handicaps, pour les soins à domicile…

• Les maisons de retraite médicalisées doivent être intégrées dans le service public de santé accessible à touTEs (seule 1 personne sur 5 aujourd’hui est capable d’assumer les frais d’accueil en maison de retraite sans mettre à contribution ses proches). Les groupes privés à but lucratif doivent être expropriés : pas d’« or gris » pour les actionnaires sur le dos des personnes âgées !

• Elles doivent aussi disposer de personnel formé et en nombre suffisant : unE professionnelE pour unE résidentE, comme en Europe du Nord.

• Nous voulons une société solidaire, égalitaire et pour tous les âges. Il ne doit plus exister des établissements réservés à des privilégiéEs, et d’autres aux personnes qui n’ont pas les moyens financiers d’y accéder. Les EHPAD privés doivent donc être expropriés. Ils seront intégrés dans le service public et financés par la Sécurité sociale.
Ils devront offrir partout les mêmes prestations et services de qualité. Le principe fondamental de la Sécu, « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » doit ainsi s’appliquer partout.

• Pour cela, nous devons reconquérir et développer une Sécurité sociale autogérée et unifiée, sous le contrôle des patientEs et leurs familles, versant des prestations à la hauteur des besoins et prenant en charge le service public de compensation de la dépendance, au domicile et dans des institutions adaptées.

• Tous les moyens doivent être donnés pour parvenir à l’objectif fixé dans la Charte de l’OMS de 1946 : « rajouter de la vie aux années et pas seulement des années de vie ».


« Croire en la cause, croire en ce que vous défendez, croire dans les valeurs qui doivent exister et dans la reconnaissance qu’on doit avoir de nos anciens »

Entretien avec Anne-Sophie Pelletier, porte-parole des grévistes de l’EHPAD des Opalines de Foucherans, dans le Jura, dont la grève de 117 jours a beaucoup contribué à attirer l’attention sur la situation des EHPAD.

Peux-tu nous présenter les Opalines ?
Les Opalines, c’est un groupe de 46 établissements qui relèvent du privé à but lucratif et qui est tenu par deux familles (400e fortune française), avec une fortune en 2016 qui a augmenté de 25 %.

Avant, ils étaient directeurs des Leclerc de Montbéliard (Doubs) et de Beaune (Côte-d’Or). Donc, maintenant au lieu de vendre du sucre, ils vendent de la vieillesse.
Peux-tu rappeler les raisons de votre grève ?

La grève a commencé parce qu’on a fait un arrêt sur image, on a regardé nos résidents et on s’est rendu compte qu’on ne les prenait pas en charge. On a dit à la cadre infirmière : « On n’en peut plus, ça ne peut plus continuer comme ça, vous ne remplacez pas quand il y a de l’absentéisme. Si ça continue, on va se mettre en grève ». Elle a posé son stylo et elle a rigolé. Les copines, elles arrivaient de plus en plus en pleurs le matin, la boule au ventre et la grève a été décidée en même pas une semaine. La grève a commencé le 3 avril 2017.

Qu’est-ce qui vous a permis de tenir 117 jours et de remporter une victoire ?
La solidarité des citoyens, des syndicats, de tout le monde. Les familles, nos familles. Le collectif. Le fait qu’on soit toutes très soudées. Je vais être un peu féministe, et je vais dire aussi qu’on est des femmes et que la grève a tenu parce qu’on s’est complètement oubliées : on s’est mise un peu en mode « mamans ». Comme si on était en pleine grossesse. La grève c’est une forme de grossesse. Et puis surtout : croire en la cause, croire en ce que vous défendez, croire dans les valeurs qui doivent exister et dans la reconnaissance qu’on doit avoir de nos anciens.
Il y avait aussi les familles de résidents qui nous ont beaucoup soutenuEs.

Vous avez toujours fait le lien entre maltraitance des personnels et maltraitance des résidents par l’institution. Peux-tu préciser ?
La maltraitance du personnel c’est ne pas voir et ne pas se préoccuper de la culpabilité que porte le personnel quand il ne s’occupe pas bien des résidents. Il y a de la maltraitance institutionnelle parce qu’il n’y a aucun contrôle de l’État.
La différence entre le privé lucratif et le public c’est aussi le reste à charge pour le résident. Ça va être beaucoup plus cher en privé à but lucratif. Tant que l’État continuera à, excusez-moi du terme, engraisser des EHPAD à but lucratif, on en arrivera à des aberrations pareilles.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Aux Opalines, à la fin de la grève il y avait quelques points du protocole qui étaient tenus, comme par exemple le remplacement. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Ça recommence.

Maintenant mon combat, ce n’est plus que Foucherans. Mon combat est aussi national. Mais sur Foucherans beaucoup d’ex-¬grévistes sont parties parce que ce n’était pas tenable.

Le 30 janvier sera la première journée de grèves et de manifestations des EHPAD. Que faut-il en attendre ? Quelles suites vois-tu au combat que vous avez mené ?
Je pense très honnêtement, et ce n’est pas pour nous mettre en valeur mes camarades et moi, qu’il n’y aurait pas eu ce combat des Opalines, il n’y aurait pas eu cette médiatisation, il n’y aurait pas eu ce rapport flash [1], il n’y aurait pas cette journée des EHPAD, le 30, qui est une journée intersyndicale en plus et il faut s’en réjouir... Et j’espère que le 30 janvier il y aura beaucoup de monde dans la rue parce qu’on va être très très observéEs par le SYNERPA qui est le syndicat des patrons des maisons de retraite à but lucratif. Ça va être très suivi aussi par l’État.

Propos recueillis par des correspondantEs NPA à Besançon

1– Rapport des parlementaires sur les EHPAD.