L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo L’Anticapitaliste 417 (15/02/2018) - CAP 22 ou la destruction de la fonction publique

Février 2018, par Info santé sécu social

À la suite du premier Comité interministériel de la transformation publique (sic) le 1er février dernier, Édouard Philippe et Gérald Darmanin ont fait des annonces contre le statut des fonctionnaires et la fonction publique. Il s’agit clairement d’une volonté de rupture avec l’idée même de fonction publique.

Après avoir brutalement remis en cause nombre de droits des salariéEs du privé avec la loi travail XXL, le gouvernement a désormais dans le viseur la fonction publique et les fonctionnaires. C’est en ce sens qu’il a mis en place, en octobre 2017, le Comité d’action publique 2022 ou CAP 22, dont le cahier des charges est très clair : transfert, privatisation, ou abandon de missions, et mise en cause du statut des fonctionnaires. En mars, le CAP 22 rendra un rapport qui, à n’en pas douter, sera à la hauteur des dernières annonces du gouvernement. L’objectif est fixé : baisser la part de la dépense publique dans le produit intérieur brut (PIB) de 3 points d’ici à 2022. En effet, au nom de la modernisation de l’État, de la réduction des dépenses publiques, le gouvernement, qui a pour objectif de se débarrasser de 120 000 fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat, doit taper fort et aller vite en marquant les esprits.

CAP 22 : une composition caricaturale

Le comité CAP 22 mis en place le 13 octobre dernier comprend 34 membres. Sa composition parle d’elle-même.

Il est dirigé par un trio : le président de Safran, le franco-australien Ross McInnes, l’ex-directrice de cabinet de Manuel Valls à Matignon et cadre dirigeante de Nexity, Véronique Bédague-Hamilius, et le directeur de Sciences Po Paris, Frédéric Mion. Parmi ses membres figurent aussi l’ex-président du Conseil italien Enrico Letta (adepte de la rigueur budgétaire et de la hausse de la TVA en Italie), Per Molander, qui a piloté les « réformes sociales » en Suède. Mais aussi des proches et soutiens de Macron tels que Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion (ancien membre de la commission Attali de Sarkozy et un des conseillers économiques de Hollande), Laurent Bigorgne (président du très libéral institut Montaigne). On trouve également certains élus comme l’ex-secrétaire d’État PS Clotilde Valter, le député LREM Jean-René Cazeneuve, la sénatrice LR Christine Lavarde ou encore le président PS de la région Centre François Bonneau, et celui de la métropole de Rouen Frédéric Sanchez. Il y a également des ex : l’ex-conseiller social de François Hollande à l’Élysée, Nicolas Revel, et Annie Thomas, ex-présidente de l’Unedic, et ex-secrétaire nationale à la CFDT il y a près de 20 ans. No comment !

Les Finances publiques dans le viseur

Même si à cette heure, il est sans doute trop tôt pour avoir des certitudes sur les axes précis des attaques, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) n’échappera pas à l’avenir noir que prévoit le gouvernement. Ce sera, au total, encore et toujours moins d’agentEs et moins de missions, et donc la disparition programmée d’un service public de proximité.

Lors du dernier Comité technique de réseau, le Directeur général des finances publiques a indiqué que certaines pistes de réflexion étaient ouvertes avec le ministère dans le cadre de CAP 22. Tous les sujets semblent désormais sur la table. La discussion semble être là aussi sans tabou et la DGFiP peut donc être saccagée. Le recouvrement, les accueils, la gestion des agentEs, le contrôle fiscal, le recrutement : tout est ouvert. Tellement ouvert que le DG a affirmé que la DGFiP était arrivée à la fin d’un cycle. Les choses peuvent donc aller très loin. Sans oublier les 1 600 nouvelles suppressions d’emplois au niveau national, suite au vote de la loi de finances 2018 qui mettent à mal les missions et dégradent encore plus les conditions de travail des agentEs des finances publiques.

Depuis 2002, ce sont plus de 30 000 emplois à temps plein qui ont été supprimés. Cette réduction du personnel a un fort impact sur l’efficacité des missions. Alors que la lutte contre la fraude fiscale devrait être prioritaire (pour rappel, la fraude fiscale est estimée entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année, majoritairement le fait des entreprises et des contribuables fortunés), on a seulement contrôlé ces derniers temps quelque 50 000 entreprises par an... sur un total de 4,8 millions d’entreprises soumises à la TVA, c’est-à-dire à peine 1 %. Et désormais ces dernières auront le droit à l’erreur… c’est dire que le contrôle fiscal est jugé d’importance !

Un service de moins en moins public

Avant même le rapport de CAP 22, les abandons et la privatisation de missions sont d’ores et déjà à l’œuvre au sein de la DGFiP. En effet, un appel d’offres a été lancé pour l’assistance téléphonique du prélèvement à la source. Alors que les usagerEs peuvent avoir gratuitement les informations souhaitées en venant aux centres des finances publiques ou par téléphone, Bercy a donc décidé que ce service serait désormais payant… C’est également le cas pour le transport du courrier interne des Finances publiques à Paris qui, à partir d’avril 2018, sera privatisé alors que cette mission était jusqu’alors assurée par des agents de la DGFiP.

Sans oublier la fermeture de nombreuses trésoreries, suite logique d’un démantèlement planifié. Depuis 2009, environ 400 trésoreries de proximité ont ainsi fermé, obligeant des milliers de contribuables à faire des kilomètres en plus lorsqu’ils ont besoin d’un conseil, d’un renseignement ou qu’ils n’ont pas accès à internet. Car si la dématérialisation est vantée par le gouvernement comme « la » modernisation de la DGFiP, la réalité sur le terrain est bien plus complexe : les populations maîtrisant moins bien la langue française, ou en difficultés financières, ont besoin d’un accueil personnifié. S’engager sur le « tout dématérialisé », c’est réduire l’accès au service public à une partie des contribuables.

Les suppressions d’emplois, la généralisation de la dématérialisation, les fermetures et fusions de trésoreries fragilisent le service public et l’éloignent des usagers, en particulier dans les zones rurales. C’est bien l’égalité d’accès au service public qui est remise en cause. Mais de cela, le gouvernement se contrefiche !

Correspondante

La culture mise à mort

Lundi 15 janvier avait lieu la première réunion du Conseil national des professions du spectacle (CNPS) du mandat de la nouvelle ministre de la Culture. Cette réunion avait lieu dans un contexte d’annonces gouvernementales qui ont de quoi inquiéter.

Les 10 milliards d’économies prévus sur le budget de l’État ne se feront certainement pas en finançant la culture ! En novembre, le Monde a rendu publics les premiers documents de travail de CAP 22, dans lesquels c’est la mise à mort de la culture qui est annoncée : personne ne sera épargné.

Spectacle vivant

Pour le spectacle vivant, un guichet unique devrait centraliser les demandes de subventions, alors qu’il était possible jusqu’à présent de demander des subventions à plusieurs échelles : municipale, départementale, régionale (via les DRAC que le gouvernement veut faire disparaître) ou nationale. Cette politique, censée en finir avec un saupoudrage souvent dénoncé à juste titre, qui fait que beaucoup de compagnies touchent un tout petit peu mais aucune suffisamment pour ses besoins réels, va en réalité renforcer une esthétique officielle et accroître la mise en concurrence entre les projets. Le projet cible aussi les structures nationales (Opéra de Paris, Philharmonie de Paris…) et compte, à l’occasion des renégociations des conventions collectives, faire d’énormes économies sur le dos des salariéEs (fusion des orchestres, fin des régimes spéciaux de retraites, polyvalence des emplois, etc.).

Audiovisuel public

L’audiovisuel public n’est bien sûr pas en reste : diminution des programmes, fermeture des bureaux régionaux, fusion de chaînes (France 3/France Bleu), baisse des subventions, mutualisation de l’information nationale et internationale… Tout est bon à prendre pour faire baisser l’enveloppe de 8 milliards que le secteur coûte chaque année à l’État.

Archives

Le projet prévoit une ingérence dans la gestion des archives, avec une limitation de l’archivage aux « archives essentielles » et une « rationalisation » de la gestion des archives au niveau des régions et départements : regroupements des services à compétence nationale (archives nationales, archives de l’outre-mer, archives du travail) ; développement de l’e-archivation et mutualisation de la BNF, de l’INA et du CNC. Tout cela pose la question, à terme, de la disparition de l’INA créé en 1974 par la réforme de l’audiovisuel, et qui est chargé des archives audiovisuelles, du soutien à la création audiovisuelle et de la formation professionnelle.

Cinéma

Le cinéma n’est pas épargné : développement de l’offre numérique, regroupements et industrialisation de l’économie du cinéma dans une visée de compétition internationale, avec un enjeu d’« efficience des aides publiques » pour attirer sur le territoire des activités « à forte valeur ajoutée ». Il serait question de supprimer les postes de spécialistes du cinéma dans les DRAC.

Dire non à la ministre

Voilà le contenu du plan que prévoit le gouvernement pour la culture : une attaque sans précédent contre le service public ! C’est dans ce contexte que s’est réuni le Conseil national des professions du spectacle en janvier. La CGT spectacle avait appelé à une mobilisation pendant que la réunion se tenait. Nous étions une petite centaine à nous rassembler devant… une guillotine : c’est ce que les projets du ministère concernant la culture nous ont inspiré ! La délégation CGT spectacle est vite sortie du ministère. Après avoir entendu le discours de la ministre, en guerre contre la « ségrégation culturelle » et qui a multiplié les formules creuses, les camarades ont posé les questions qu’ils avaient à poser, parmi lesquelles : quid des conséquences des ordonnances sur notre métier ? Le ministère est-il prêt à démentir le contenu du document CAP 22 ? Est-il prêt à ignorer les injonctions de Bercy à faire des économies ? La ministre a été incapable de répondre : la langue de bois ne suffisait plus, ses conseillers lui tendaient des dossiers qu’elle n’arrivait pas à lire. Les camarades ont tout simplement quitté les lieux pour rejoindre le rassemblement, après avoir symboliquement déchiré le document CAP 22. C’est par la mobilisation que nous empêcherons cette guillotine de fonctionner. Non à la mise à mort de la culture !

Comité ATIPIC

Développer les services publics : nos revendications

Macron n’est pas le premier à s’attaquer à la fonction publique, aux fonctionnaires et plus largement aux services publics.

Les services publics sont une sorte d’empiétement « socialiste » dans le système capitaliste, et on comprend mieux les attaques incessantes dont ils sont victimes. L’offensive contre les services publics n’a rien de spécifique à la France, puisqu’elle fait partie de l’offensive internationale, lancée au cours des années 1990, de remise en cause de tous les budgets sociaux. La raison de l’attaque était double : permettre d’améliorer la marge des entreprises en limitant voire en baissant le « coût » du travail ; soumettre à la logique marchande le secteur public afin de s’approprier les formidables richesses qui lui échappent encore.

Une offensive du privé aux conséquences néfastes

Les dégâts provoqués par cette offensive sont nombreux et génèrent des dysfonctionnements, des suppressions de postes et des licenciements, servant de prétexte à de nouvelles casses, fermetures de bureaux, de lignes, d’hôpitaux, éloignant de plus en plus les usagerEs des services auxquels ils auraient le droit de prétendre.

Cette politique est aggravée par les lois de décentralisation et la réforme territoriale qui réduisent les moyens des collectivités locales. Le recours à la concurrence entraîne la dégradation des services et une hausse des prix, pour le plus grand bien du secteur privé. Si la remunicipalisation de la distribution de l’eau dans certaines villes représente une remise en cause partielle de l’accaparement des biens communs par les multinationales, les attaques contre l’école, notamment avec la réforme des collèges, de l’université et de la recherche, et les concessions faites au privé confirment que les capitalistes veulent dévorer l’ensemble des espaces publics à potentiel lucratif. Même le service des finances publiques, un outil pourtant essentiel des politiques fiscales de l’État, est attaqué...

L’appropriation sociale pour répondre aux besoins

Les luttes pour les services publics représentent un enjeu de société, la défense d’un projet fondé sur la solidarité et la satisfaction des besoins sociaux contre une société basée sur le profit, la satisfaction des intérêts des propriétaires des moyens de production et d’échange et des actionnaires.

L’éducation, la santé ou le logement sont des droits qui doivent être totalement retirés du secteur privé marchand. Il faut étendre les services publics comme, par exemple, dans la petite enfance, créer des postes et développer de nouveaux services répondant aux besoins du plus grand nombre.

Les réseaux vitaux (énergie, eau, communications, transports, voies de circulation, etc.) doivent être au service du plus grand nombre, développés, gérés, entretenus par l’État. Nous revendiquons la création d’un million d’emplois dans la fonction publique pour renforcer et développer les services publics afin de répondre aux besoins essentiels de la population : la santé, l’éducation, l’eau, l’énergie, le logement, les transports…

Contre la société de la concurrence généralisée, la construction d’une société solidaire passe par la réappropriation publique des secteurs privatisés. À la production de biens et de services en fonction du profit doit se substituer l’appropriation sociale pour produire, selon les nécessités du plus grand nombre, des biens et des services sociaux correspondant aux besoins fondamentaux définis par la population elle-même et placés sous son contrôle.

Construire la mobilisation

Au-delà de la gravité des projets gouvernementaux, les enjeux syndicaux sont aussi importants. D’une part, à l’image de ce qui est fait dans le privé, le gouvernement a dans ses cartons une redéfinition du « dialogue social » dont l’objectif est de réduire les moyens institutionnels des organisations syndicales et des institutions représentatives du personnel. Une question d’autant plus cruciale que ces moyens font partie des ressources parmi les plus importantes des organisations syndicales. L’autre enjeu est constitué par les élections professionnelles prévues pour décembre 2018. Sachant que la CGT, majoritaire dans l’ensemble de la fonction publique (23,1 % des voix en 2014), y joue sa place de première organisation syndicale tous secteurs confondus. Pour la CFDT (19,3 %) et FO (18,6 %), le maintien voire la progression dans la fonction publique relèvent d’enjeux politiques et matériels essentiels. Au total, une concurrence électorale qui peut avoir un impact sur l’organisation de la mobilisation. Comme face aux ordonnances la CFDT et FO pourraient, au côté de l’UNSA, jouer la carte du « réformisme assumé ». La CGT aux forces déclinantes et sans stratégie autre que « sauver les meubles » ne pouvant compter quant à elle que sur Solidaires pour prendre des initiatives de mobilisations à la hauteur de l’ensemble des enjeux.

Pour l’instant, face à ces attaques sans précédent, une journée de grève de la fonction publique aura lieu le 22 mars prochain, à l’appel de 7 organisations de la fonction publique sur 9.

Mais plus que jamais, une seule journée de grève ne fera en rien reculer le gouvernement. Il faut donc travailler dès aujourd’hui à la construction d’un mouvement d’ensemble sur la durée et qui soit le plus large possible. Face à ce qui risque d’être une cacophonie syndicale, les salariéEs doivent s’engager dans la construction concrète de la mobilisation : assemblées générales, liens entre secteurs mobilisés, contact avec les usagerEs. Car on le sait, les projets du gouvernement n’auront pas seulement des conséquences désastreuses pour les fonctionnaires mais ils en auront aussi pour l’ensemble de la population.

Robert Pelletier