Luttes et mobilisations

Le Monde.fr : A Clamecy, un combat pour conserver les urgences

Mars 2018, par infosecusanté

A Clamecy, un combat pour conserver les urgences

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé aux élus de la ville de la Nièvre une solution de pérennité du service la nuit, sans promettre un maintien des effectifs.

LE MONDE

01.03.2018

Par Eléa Pommiers (Clamecy (Nièvre), envoyée spéciale)

Les annonces de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, jeudi 1er mars, lors des Etats généraux de la santé à Nevers (Nièvre), suffiront-elles à dissiper durablement les inquiétudes de ce département rural ? Depuis des semaines, élus et habitants du haut Nivernais et du sud de l’Yonne se battent pour empêcher un projet de fermeture des urgences de nuit de Clamecy, petite ville de 3 800 habitants du nord de la Nièvre. Soixante-dix élus, dont trente-six maires ont présenté leur démission au préfet pour empêcher ce qui serait pour eux « la punition de trop dans un territoire déjà sinistré ».

La ministre de la santé s’est s’engagée à maintenir un service d’urgence vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sous quelle forme ? Et pour combien de temps ? Là sera tout l’enjeu. L’annonce aura sans doute pour ces élus des airs de victoire à la Pyrrhus, alors que la ministre n’a pas confirmé que Clamecy ne perdrait pas un urgentiste de nuit. Les urgences de la ville, qui reçoivent une trentaine de passages en moyenne dans la journée et moins d’une dizaine la nuit, manquent de médecins urgentistes pour fonctionner correctement. Faute d’effectif garanti, les élus craignent que le démembrement du service ne soit plus qu’une question de temps.

« Ça voudrait dire qu’on est condamné ! »

Avançant un manque de deux cents urgentistes dans la région, l’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté doit présenter d’ici à juin son projet de santé comportant des « aménagements d’organisation » des services d’urgences pour « mieux répartir la présence [des médecins] » sur le territoire. La suppression d’une garde de nuit aux urgences de Clamecy permettrait de libérer un médecin pour d’autres hôpitaux, mais elle ne permettrait pas de conserver un service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) et un accueil des urgences à l’hôpital. Une suppression inacceptable dans une ville qui a déjà connu plusieurs fermetures de service.

A la veille de la venue de la ministre, l’ambiance est combative. Cette bataille pour le maintien, Alain Marchet, infirmier aux urgences de Clamecy, a l’impression de l’avoir déjà menée. En poste depuis trente-sept ans dans ce petit hôpital rural, il s’était démené, parfois pendant des années, contre la fermeture de la maternité, puis du service de chirurgie. Malgré les mobilisations, les deux ont disparu.

« Ça fait des années qu’ils ne veulent qu’un seul hôpital par région, ils vont finir par y arriver ! », lance-t-il, amer. Avec les incertitudes pesant sur les urgences, il craint désormais que les patients du bassin de Clamecy ne soient bientôt amenés à se rendre à Auxerre, à au moins 45 kilomètres, soit plus d’une heure de route pour certains habitants, pour trouver un service d’urgence digne de ce nom.

« Injuste pour la population »

Parmi les habitants, l’inquiétude est palpable. « On nous dit qu’un AVC doit être pris en charge en moins de vingt minutes, alors ça voudrait dire qu’on est condamné ! », s’insurge Jennifer Paré, propriétaire d’un restaurant à Clamecy. Jeune maman, elle en veut à l’Etat et « aux technocrates de Paris » pour ces « désertions de services publics », qui l’amènent à questionner son choix de vivre en zone rurale.
Le docteur Toufik Boubia, médecin aux urgences de l’hôpital, tire la même conclusion. En cas de perte d’un urgentiste, aucune solution n’empêcherait la « perte en qualité de prise en charge ». « En cas d’urgence vitale, ça pourra aller jusqu’au décès », assure-t-il. La réorganisation des urgences menacerait cette fois de détruire le « dernier filet de sécurité », selon lui. « Rien n’a remplacé la proximité d’un bloc. Et avec la fermeture des urgences, il vaudra mieux faire un infarctus près d’Auxerre que d’ici. C’est injuste pour la population. »

L’ARS a proposé le recours à d’autres médecins de l’hôpital, mais les compétences d’un urgentiste sont nécessaires dans de nombreux cas, estime M. Boubia. Et le renfort de médecins généralistes pour assurer l’accueil des urgences de nuit ? L’argument ferait presque sourire les habitants. Avec 79 généralistes pour 100 000 habitants, la Nièvre affiche la deuxième démographie médicale la plus faible de toute la région. A Varzy, au sud de Clamecy, la maison de retraite ne parvient pas à trouver de médecin coordinateur, ce qui la rend d’autant plus dépendante des urgences. « C’est un territoire sinistré, s’alarme le docteur Kouache, urgentiste, souvent en remplacement à Clamecy. L’hôpital est le dernier recours pour les gens. Sans les urgences, ils ne s’en sortiraient pas. »

Territoire désigné comme « rural, âgé, et défavorisé »

Même la mutualisation des moyens avec les autres hôpitaux semble hasardeuse, sur un territoire où les temps de trajet sont allongés en raison du réseau routier fait de routes départementales parfois difficiles à pratiquer, à l’exception de la route nationale qui relie Varzy à Auxerre en passant par Clamecy ; mais qui expérimente la limitation à 80 km/h…

Pour les sapeurs-pompiers volontaires, qui assurent de nombreux transports vers les urgences, la perte d’un urgentiste de nuit à Clamecy serait ainsi « une catastrophe ». « On passerait d’un temps d’intervention de deux heures en moyenne à quatre heures, le temps d’aller à Auxerre, tout en ayant plus d’appels à gérer », anticipe David Oudard, sapeur-pompier volontaire depuis vingt-sept ans.

Pour les Nivernais, le fait même d’envisager une baisse d’effectif, et donc une fermeture partielle des urgences, est incompréhensible. Notamment parce que le territoire est désigné par l’ARS comme « rural, âgé, et défavorisé », le profil le plus précaire de sa classification. La surmortalité y est particulièrement élevée, les taux d’hospitalisation pour cancer y sont supérieurs à la moyenne, tout comme les taux d’affections de longue durée, de diabète et de troubles mentaux. Aux urgences, les médecins titulaires ne sont déjà plus que deux, après le départ de deux urgentistes l’été dernier. Le « strict minimum » pour Claudine Boisorieux, maire démissionnaire de Clamecy.

« Citoyens de seconde zone »

« On sait très bien comment ils font : on nous réduit les effectifs, et ensuite on nous explique qu’il faut fermer parce qu’on n’est plus assez », fustige Gilles Noël, maire de Varzy, et vice-président de la communauté de communes. Les urgences de Montbard, dans la Côte-d’Or, qui ont définitivement cessé leur activité en 2016 après une fermeture de nuit, sont dans tous les esprits.
Dans la Nièvre, la santé est un service public touché parmi d’autres. Des bureaux de poste, des perceptions et plusieurs classes ont été fermées, selon Alain Lassus, le président du département, qui fustige le « choix des métropoles » dans la politique du gouvernement. « On n’a plus le droit de nous enlever quoi que ce soit », dit-il.
Jany Siméon, président de la communauté de communes et maire de La Chapelle-Saint-André, abonde : « On fait tout ce qu’on peut pour aménager nos territoires, et l’Etat fait du déménagement. » Lui voit aussi le risque politique : le Front national est, pour la première fois, arrivé en tête dans la Nièvre au premier tour de la présidentielle en 2017. Une montée « logique » dans un territoire où les services publics représentent, aux yeux des habitants, le dernier gage de ne pas être des « citoyens de seconde zone »