Luttes et mobilisations

actu.fr : Dans l’hôpital Janet en grève, au Havre : « Ici, il y a beaucoup de bricolage et aussi de la violence »

Juillet 2018, par infosecusanté

Dans l’hôpital Janet en grève, au Havre : « Ici, il y a beaucoup de bricolage et aussi de la violence »

Lundi 25 juin 2018, le député communiste Jean-Paul Lecoq s’est rendu à l’hôpital Pierre-Janet, au Havre, en pleine grève. L’occasion de constater « la réalité des soignants ».

Publié le 26 Juin 18 à 7:13

Le député communiste Jean-Paul Lecoq a visité, lundi 25 juin 2018, l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet, au Havre (Seine-Maritime). Il a pu constater les conditions d’accueil des patients, souvent difficiles.
Le député communiste Jean-Paul Lecoq a visité, lundi 25 juin 2018, l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet, au Havre (Seine-Maritime). Il a pu constater les conditions d’accueil des patients, souvent difficiles. (©SL / 76actu)

« Constater pour témoigner », a martelé Jean-Paul Lecoq, lundi 25 juin 2018 au fil sa visite à l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet. Accompagné de soignants en grève depuis une semaine, de médecins qui les soutiennent et de membres de la direction, il a eu un aperçu des conditions d’hospitalisation dans cet établissement du Havre. Lesquelles se sont « fortement dégradées », se sont accordés tous les participants à la visite.

« Comment peut-on guérir ici ? »

« Josette*, descends s’il te plaît ! » En pleine visite de l’hôpital psychiatrique Pierre-Janet, une soignante doit calmer une patiente turbulente. Elle est accrochée aux barreaux du fumoir, sous les regards hagards de quatre autres patients. Ils sont sur le balcon, séparés du groupe par une baie vitrée. Derrière celle-ci, une salle télé. Enfin, c’est l’usage auquel elle a été destinée à sa création. Désormais, c’est une chambre des urgences.

Aux urgences psychiatriques, on accueille 15 patients dans « un bâtiment conçu pour cinq », détaille Olivier Legat, chef du pôle psychiatrie, à Jean-Paul Lecoq. « Comment peut-on guérir ici ? » questionne une infirmière. L’écran fixé au mur n’a pas été allumé « depuis des semaines ».

Deux lits ont été installés, au milieu desquels une table est posée. Un des lits était un canapé, l’autre est la réunion de deux bancs pour trois personnes. Le même dispositif se retrouve dans la pièce à côté, qui n’a rien d’une salle à part entière, mais ressemble plus à un lieu de passage.

« Totalement isolés » dans « un climat d’insécurité »

Dans cette situation, « tout est compliqué », signale Audrey, infirmière. Tandis qu’elle raconte, une dame passe derrière elle, visible par l’entrebâillement de la porte de sa chambre. Elle traîne vers les toilettes un drap souillé de ses excréments. Cinq mètres en face de sa chambre, une infirmière se débat avec deux téléphones, quand son collègue vient de raccrocher pour reprendre un appel. « Ça sonne en permanence. »

Dans la salle de soins, une infirmière ne cesse de jongler entre ses deux téléphones. Deux de ses collègues ont besoin d’une information importante. Deux patients la réclament à la porte : « Parfois, des gens qui ne vont pas bien nous appellent et nous devons les mettre en attente. » (©SL / 76actu)

Pour Sandrine, infirmière de nuit, même les patients ont conscience de l’état des soignants :


Ils nous disent ‘désolé de te déranger’ quand ils ont besoin de nous. Et à force, ils n’osent plus demander, ils ne parlent plus. Cela aggrave leur pathologie.

Deuxième conséquence, cela allonge le temps nécessaire au traitement. Aux urgences, on reste entre 24 et 72 heures, selon son état, sans forcément pouvoir être transféré dans l’unité adéquate. Parfois, « les patients sont violents », explique Sandrine, qui n’a plus le temps de prendre le temps : « On est totalement isolés. Alors on passe beaucoup plus vite aux sédatifs. C’est violent, mais on le fait parce qu’on a peur, il y a un climat d’insécurité. »

Des patients ont dormi à même le sol, dans « un cagibi »

Audrey acquiesce, comme Laure Devarrieux, médecin responsable : « Il faut veiller sur les patients suicidaires, être auprès des jeunes en décompression et hospitalisés pour la première fois, éviter les tensions. Ici, il y a beaucoup de bricolage, et aussi de la violence. » Directrice de la psychiatrie, Laurence Biard admet « ne pas pouvoir contester la réalité vécue par les agents ».

Une fois, deux femmes âgées mises dans la même chambre en sont venues aux mains, l’une tentant d’étouffer l’autre. Par chance, une infirmière de garde est passée par là au bon moment pour stopper cet accès de violence.

Il faut être en permanence sur le qui-vive, comme à l’étage des urgences. Un patient en crise est pris en charge par deux infirmiers dans la salle de soins. Alexandra, qui participait à la visite, les aide. Un biscuit et un verre de jus de fruit calmeront le patient. Plus loin, Frédéric, délégué Sud, montre à Jean-Paul Lecoq une plaque de plexiglas vissée dans une chambre : un détenu s’était frayé un chemin pour s’évader. La dernière évasion remonte à août 2017, deux personnels soignants avaient été blessés.

Entre la cellule spécialisée et la petite cour de promenade de trois mètres sur trois, l’entrée de ce qui semble être un cagibi ou une remise. Contre le mur, deux matelas : « On a fait dormir un patient ici, une nuit, parce qu’on n’avait plus de place », raconte une infirmière des urgences.

Sordide et tenace odeur de vomi

La situation n’est pas meilleure dans le bâtiment Caravelle, à quelques dizaines de mètres. Sur les 37 lits de trop décomptés lundi 25 juin, 16 sont dans les deux services du bâtiment. Au rez-de-chaussée, Patricia* enjoint Jean-Paul Lecoq à le suivre. « Les lits c’est pas normal ! Regardez c’est cassé là ! Et le placard aussi ! » Le matériel n’est pas changé à temps. La patiente n’évoque pas la sordide et tenace odeur de vomi qui imprègne la chambre.

Dans sa chambre, il y a trois lits au lieu de deux. Il y a des draps, mais les lattes sont cassées. Ailleurs, il manque des oreillers et des couvertures, mais surtout : « Les matelas sont imbibés d’urine. »

Au rez-de-chaussée, on est « à bout ». À l’étage, Stéphanie* est infirmière et « fatiguée ». Ils sont deux dans son service, le minimum de sécurité. Les arrêts maladies ne sont plus remplacés. Impossible de mener comme elle l’entend les démarches de réinsertion, l’objectif de son service, nécessaires à ses patients. « On ne peut plus les accompagner à l’extérieur pour qu’ils fassent leurs papiers », regrette-t-elle.

L’ouverture des négociations réclamée par les grévistes

Intrigués par la délégation qui parcourt l’hôpital, des patients la suivent à la trace. Patricia la première. Elle répète à l’envi son souci de lit : « J’vous crie pas dessus hein monsieur ! Mais il faut faire quelque chose, c’est vraiment pas possible ! » Jean-Paul Lecoq entend la jeune femme, assure à tous qu’il « témoignera de la situation de crise », car « il faut que tout le monde comprenne ». Il s’est engagé à porter les revendications des grévistes.

Le député communiste confie à 76actu qu’il rencontrera mardi 26 juin le Premier ministre Édouard Philippe. Il a prévu d’évoquer auprès de l’ancien maire du Havre la situation de l’hôpital Pierre-Janet. La venue de la directrice de l’Agence régionale de santé, réclamée depuis le début de la grève il y a une semaine, sera à l’ordre du jour. Jean-Paul Lecoq souhaite « une réunion mensuelle de tous les acteurs autour de la table ».

Cela conviendrait aux grévistes, désormais soutenus par les psychiatres de l’établissement. Ils réclament 50 postes de soignants et l’ouverture d’une unité qui permettrait la fin de la sur-occupation.

Mardi 26 juin, à 13h45, les grévistes ont décidé d’occuper le toit de l’hôpital « jusqu’à ce que madame Gardel, directrice de l’ARS, vienne ». Contactée par 76actu, l’ARS a indiqué que sa venue « sera organisée afin d’échanger sur les projets médico-soignants et l’accompagnement immobilier », sans préciser de date.

* Les prénoms des patients ont été modifiés.