Luttes et mobilisations

Ballast - Récit de grève : une victoire à l’hôpital du Rouvray

Juillet 2018, par Info santé sécu social

Sotteville-lès-Rouen, en Seine-Maritime. 30 000 habitants et un centre hospitalier psychiatrique au bord de l’explosion : manque de moyens, capacités d’accueil en réduction, patients entassés, diminution du nombre de lits, soignants à bout… Un mouvement, les Blouses noires, s’est formé au début de l’année 2018 pour mettre au jour cette situation intenable. Noires comme le deuil. Mi-mars, les agents hospitaliers déclenchèrent une grève illimitée en intersyndicale ; deux mois plus tard, une partie d’entre eux se mirent en grève de la faim face au silence de la direction et de l’Agence régionale de santé. Leur revendication ? « faire correctement leur travail ». Forte de la solidarité des travailleurs — cheminots, dockers — et en dépit d’une faible couverture médiatique, la bataille fut en grande partie remportée au début du mois de juin. L’Association des usager·e.s et du personnel de la Santé a rencontré ces Blouses noires : récit d’une grève victorieuse.

L’hôpital du Rouvray, c’est principalement 20 unités d’hospitalisation. Dans chacune de ces unités traditionnelles, on est en général deux infirmiers et parfois un aide-soignant. Il n’y a pas toujours de médecin — ceci pour 25 à 30 patients par unité, en moyenne, toutes pathologies psychiatriques confondues. Cela signifie qu’il peut y avoir un schizophrène, un toxicomane, un dépressif, un alcoolique, une personne âgée ou un adolescent dans la même unité… Le patient va dans celle qui est rattachée à son secteur géographique d’habitation (il y en a dix, et deux unités pour chacun). À cela s’ajoute l’Unacor, les urgences psychiatriques, ainsi qu’une unité spécifique « enfants », nommée Rimbaud. Celle-ci comporte environ 15 lits, normalement destinés aux enfants de 3 à 16 ans. Mais il y a des adolescents très difficiles qui ne peuvent pas se retrouver avec des plus jeunes. Ils vont, du coup, dans des services pour adultes, mais leur prise en charge est plus difficile : confrontés à des adultes malades, ils peuvent connaître des expériences qu’ils ne devraient pas vivre… Il y a déjà eu des viols et de la drogue dans l’hôpital. On ne peut pas être partout. C’est vraiment dur, quand on n’est que deux pour 30 patients, d’être toujours vigilant… Enfin, il y a Badinter, l’unité carcérale. La différence avec la nouvelle unité pour détenus, c’est que Badinter est réservée aux séjours courts ou aux petits passages (une crise suicidaire ou un état délirant, par exemple). On a aussi une spécificité « addictologie », pour les addictions en tout genre.

« Installer des patients de 80 ans atteints de la maladie d’Alzheimer dans des lits de camp, dans des bureaux où il n’y a pas de toilettes ni rien, c’est juste inadmissible ! »

Depuis quelques années, l’hôpital s’est dégradé. On a déjà fait une grève, il y a deux ans, où on demandait plus de postes. La direction a proposé de créer un pool de remplacement, mais à partir d’embauches déjà existantes : c’est-à-dire qu’ils ont pioché des soignants dans divers services au lieu de faire de nouvelles embauches… En 2017, il y a eu pas mal de départs en retraite ou de mises en disponibilité qui n’ont pas été remplacés. On a vu les effectifs baisser, les conditions de travail se détériorer : de moins en moins de moyens, de plus en plus de boulot administratif. Ceci au détriment des prises en charge humaines. D’où ça vient ? Ils informatisent tout et ils essaient de tout tracer. On est donc forcés de tout « checker » : quand on donne un médicament on le check, quand on fait des soins on les check. On travaille en quart (du matin, d’après-midi, ou de nuit) et, à chaque fin de quart, il faut qu’on fasse une transmission informatique sur tous les patients puis une transmission orale aux collègues du quart d’après.
 
On en a eu assez. Les majorations de traitement sédatif, parce qu’on va pas pouvoir passer souvent ; l’impossibilité récurrente de rassurer le patient angoissé, parce qu’on n’a pas le temps ou qu’on est que deux pour 30 et qu’on a trois entrées qui arrivent… « On va vous donner 100 gouttes de Loxapac [un anxiolytique, ndlr] en plus, et on verra plus tard. » L’autre problème, c’est la sur-occupation — ça, c’est dans tous les hôpitaux. Installer des patients de 80 ans atteints de la maladie d’Alzheimer dans des lits de camp, dans des bureaux où il n’y a pas de toilettes ni rien, c’est juste inadmissible ! Ce qui devrait changer à l’hôpital, c’est que ceux qui ont le portefeuille se rendent compte du boulot qu’on fait. Qu’on arrête d’être gérés comme une entreprise, mais comme un vrai hôpital avec de vrais gens.


La formation des Blouses noires remonte à janvier 2018. On s’est dit : « L’hôpital va mal, il n’y a pas assez de personnel, on ne travaille pas dans de bonnes conditions. » Un soir, on a décidé qu’il faudrait faire quelque chose. Plus personne n’écoute les syndicats : ils utilisent de trop anciennes méthodes. On a commencé à quatre puis on en a parlé autour de nous. À la base on voulait rester anonymes, faire des actions un peu secrètes pour montrer notre mécontentement ; finalement, on s’est vite rendus publics et le groupe, surtout constitué de personnel paramédical (aide-soignants et infirmiers), a grandi petit à petit.
 Puis on s’est retrouvés confrontés à nos collègues. Quand on a voulu expliquer notre mouvement, on a eu droit à des « Ah ouais, mais non, de toute façon vous le faites pour vous ». Ou encore « Ben non, moi je suis plutôt contente : comme j’ai un boulot, ça me va… » D’accord, mais la conscience professionnelle elle est où, alors ? On ne peut pas dire qu’on fait un boulot correct dans des conditions pareilles, c’est impossible. C’est vrai que parmi les premiers membres des Blouses noires, on était tous plus ou moins militants. Mais on a expliqué notre point de vue : on n’est pas un syndicat, on est ouverts à tous. Tout le monde peut se revendiquer « Blouse noire » s’il le souhaite : soignants, soignés, famille, derrière une même bannière. Les Blouses noires, ce sont des blouses blanches en deuil. Voilà ce que ça signifie.

On a fait de petites assemblées générales locales, beaucoup de communication, beaucoup de banderoles qu’on disséminait un peu partout pour rallier les gens. À partir du 22 mars [2018], on s’est mis en grève illimitée. Il y avait alors trois groupes qui entraient en lutte au Rouvray : les quatre syndicats (la CGT, la CFDT, SUD et la CFTC), le comité de grève (qui regroupait les personnels ne voulant rejoindre ni les syndicats, ni les Blouses noires) et nous.
 
Dans notre hôpital, l’initiative Blouses noires n’a pas été très bien accueillie par les syndicats — ce n’était pourtant pas incompatible ; au contraire : dans notre groupe, il y a des syndiqués. Les organisations ne se retrouvaient pas vraiment dans les modes d’action proposés. Au début du mouvement, elles nous ont fait mauvaise presse : on s’est fait cataloguer comme « anarchistes » ou assimiler aux tuniques noires de Mussolini… C’est allé loin ! Il a fallu défendre notre image jour après jour. L’aide des syndicats est venue plus tard, quand ils ont vraiment compris qu’on n’était pas là pour marcher sur leurs plates-bandes. Qu’on était là en plus et non pas contre. Aujourd’hui, notre relation est assez mitigée, mais ils semblent dans l’ensemble reconnaissants de ce qu’on a apporté au mouvement — même si quelques-uns pensent encore qu’on n’est que des « gugusses anarchistes » ! On a été très étonnés de voir le nombre de personnes qui sont venues à notre rencontre pour nous remercier et nous dire que, sans nous, ils n’auraient jamais pris part à ce mouvement. Nous avons réussi à fédérer beaucoup de monde durant cette grève ! Notre toute première action a été d’écrire une lettre ouverte, la « Lettre à ma nièce » : une tante répond à sa nièce qui lui dit qu’elle veut devenir infirmière en psychiatrie et lui explique les conditions de travail. On ne voulait pas faire un tract avec une succession de chiffres ; on voulait quelque chose qui soit plus digeste et vivant, qui parle aux gens. On l’a envoyée par courrier dans toutes les unités de notre hôpital, dans toutes les boites mails des secrétariats des syndicats. Dans le même temps, on a créé une page Facebook : on y a invité un grand nombre de personnes, d’abord de l’hôpital, ensuite des hôpitaux des environs, puis on a diffusé la lettre. C’était assez impressionnant : les gens se sont mis à écrire des témoignages, des lettres dans les commentaires ; ils se sont vraiment pris au jeu. Un infirmier en psychiatrie a écrit une lettre très touchante montrant l’évolution de la psychiatrie tout au long de sa carrière.

« Cette grève de la faim a été commencée par sept — puis huit — de nos collègues. Elle a été décisive pour la lutte. »

Le mode de communication du tract, avec plein de phrases bateaux et de chiffres illisibles, c’est pas du tout notre truc. Notre mode de communication est plutôt visuel. Pour nos premières actions, on a choisi des banderoles, des draps noirs avec des écritures blanches. On ne voit que nous comme ça ! Dans les premières manifs filmées, les gens ont tiqué : « Tiens, pourquoi ils font des banderoles noires ? » Ensuite, on a tenté quelques actions coup-de-poing, comme bloquer les urgences psychiatriques pour éviter la facturation et donc toucher au portefeuille de l’hôpital, mais ça n’a pas été un succès : les patients n’ont pas bien vécu le fait de ne pas pouvoir passer par les urgences et ça a généré de l’angoisse chez eux. On a donc rapidement arrêté. On a pensé à ne bloquer que le bureau des entrées, mais nos collègues qui y travaillent sont contractuels et le risque était trop grand pour eux… Il y a eu ensuite une rencontre avec des habitants sur la place du marché, le 29 mars, et un die-in [manifestation consistant à s’allonger sur la voie publique en simulant la mort, ndlr] au palais de Justice. C’est la première action à avoir été vraiment médiatisée localement. Le 5 avril, lors de la venue de monsieur Macron au CHU, on était là et on a pu, avec l’intersyndicale, rencontrer le directeur d’agence de la ministre de la Santé. Mais rien de concluant n’en est sorti ; il nous a invités à prendre contact avec l’Agence régionale de santé, l’ARS. Le 17 avril, on a été reçus en délégation par la directrice de l’ARS Normandie, qui nous a expliqué qu’elle ne pouvait rien faire et nous a conseillés de nous tourner vers le ministère… Une blague ! On a donc décidé d’investir les locaux de l’ARS, jusqu’à être délogés sans violence par la police. Il est vrai que cette succession de portes fermées a été difficile… Le 1er mai, on était de nouveau dans les rues de Rouen. Le 15, on est allés à Paris pour la « Marée blanche » organisée par Sud Santé-sociaux. On a rencontré beaucoup de personnes qui nous ont demandé qui nous étions, ce qu’était le collectif. Ensuite, il y a eu la grève de la faim le 22 mai. Le 29, on a accueilli monsieur Hamon, qui allait ensuite relayer ce qu’il se passait dans notre hôpital sur les radios nationales. Au dixième jour de la grève de la faim, le jeudi 31, on a décidé avec l’intersyndicale d’investir les locaux de l’administration pour interpeller et marquer le coup. L’impact médiatique n’a pas vraiment été au rendez-vous, malheureusement. On a quitté les lieux dimanche…

Cette grève de la faim a été commencée par sept — puis huit — de nos collègues. Elle a été décisive pour la lutte. Il n’y avait pas de Blouses noires dans les grévistes de la faim : aucun de nous ne se sentait vraiment de le faire… Tandis qu’ils prenaient possession du hall d’accueil de l’administration, y installant leur tente et le nécessaire vital, nous et tous les autres gravitions autour des grévistes pour les soutenir. On a tous pris conscience, peu à peu, qu’il fallait les protéger et ne rien lâcher pour écourter cette grève : des médecins, des tours de garde, des référents logistiques… Tout le monde avait son rôle à jouer. Nous, Blouses noires, notre truc c’est la communication ; alors on a communiqué. On est allé à la « Marée populaire » le 26 mai, à Rouen, pour sensibiliser la population et inviter un maximum de monde au Café solidaire organisé le lendemain, sur le parvis de l’administration. Sans cette grève, sans cette cohésion, on ne serait pas allés aussi loin. Mais il aura tout de même fallu attendre dix jours avant d’attirer l’attention sur la situation, et encore huit de plus pour aboutir à quelque chose de concret. C’est un peu notre slogan, mais c’est vrai : « Notre force, c’est notre nombre. » Les syndicats avaient la logistique ; nous, le nombre !

Il y a également eu des actions de convergence avec les cheminots de Rouen. Le délégué CGT des cheminots est venu rencontrer la CGT du Rouvray, puis des liens se sont créés avec nous car on était présents à leurs assemblées générales et leurs actions pour les soutenir. Avec eux, on a bloqué des boulevards, des péages. Et c’était pour leurs luttes ! En retour, ils sont venus au Rouvray. Par exemple, le jour des négociations, on a accueilli l’ARS avec une haie d’honneur qui alternait un soignant, un cheminot, un soignant, un cheminot… On a aussi été en lien avec les dockers. Ils nous ont donné pas mal de tuyaux pour les négociations. Ils nous ont beaucoup aidés. Maintenant que la grève est terminée au Rouvray, on continue de soutenir activement les cheminots. C’est important. La bataille du Rouvray l’a prouvé : la convergence des luttes est une force. Médiatiquement parlant, les cheminots sont beaucoup moins censurés que nous ; au Rouvray, quand on voit le nombre de caméras qui sont venues nous voir, et le nombre de reportages qui en est ressorti… C’est insignifiant ! Une équipe de M6 est venue nous trouver le 8 juin, lorsqu’on a signé l’accord, en nous disant qu’elle ne savait pas si leur direction accepterait de diffuser le reportage : « On cherche du conflit social, là, vous avez gagné, ce n’est pas terrible ! » Finalement, on a été diffusés, mais c’est quand même dur d’entendre ce genre de discours !

« Les dockers nous ont beaucoup aidés. Maintenant que la grève est terminée au Rouvray, on continue de soutenir activement les cheminots. La bataille du Rouvray l’a prouvé : la convergence des luttes est une force. »

On a beaucoup été en contact avec les RG. Ils sont venus nous voir directement, dès qu’on a installé le piquet de grève à l’entrée de l’hôpital. Le premier, celui avec qui on a beaucoup échangé, s’est présenté comme tel directement : « Voilà ma carte, je suis des Renseignements généraux : qu’est-ce qui se passe ? » Il a joué franc-jeu. Les autres, ceux qui sont venus après — il y en a eu plusieurs — étaient moins sympas… Ils nous aiguillaient un peu. Ils nous ont mis la pression, en disant : « Faites attention à ce que vous allez faire, si vous prévoyez telle ou telle action. » C’était à croire qu’ils nous écoutaient : ils étaient toujours un peu dans le vrai. Et c’est eux qui nous ont informés qu’on avait un rendez-vous avec la préfète le 7 juin ; on n’était au courant de rien ! Le mouvement les intriguait car, rapidement, on a eu pas mal d’amis sur Facebook. Il faut être franc : les rares fois où on a été confrontés aux forces de l’ordre, elles n’ont vraiment pas été désagréables. Elles nous ont rapidement dit qu’elles trouvaient nos revendications justes. Aussi, voir un représentant de l’ordre violenter une blouse blanche, ce ne serait pas très bien accueilli par l’opinion publique…

Nous avons eu un premier rendez-vous avec l’ARS avec l’aide de nos médecins, qui ont envoyé une demande de rendez-vous pour nous en signe de soutien. Nous leur avions demandé d’être présents physiquement si nous obtenions cette rencontre. Ça a été très dur d’être à la table des négociations avec l’ARS car on n’a pas le même discours, on ne parle pas le même langage. Vraiment pas. On est allés à la première réunion, mardi 5 juin au soir, avec l’idée d’écouter ce que la directrice voulait nous proposer. Les Blouses noires n’étaient pas représentées : on y est allés en tant que comité de grève. Nous avons été reçus à 18 heures, accompagnés d’un médecin, président de la Commission médicale d’établissement. La directrice nous a accueillis en nous disant : « J’ai de très bonnes nouvelles pour vous, c’est génial, vous allez voir… » Nous l’avons informée que tout ce qu’elle nous proposerait devra être voté en assemblée générale, le lendemain à 14 heures, avec l’ensemble du personnel de l’hôpital. Elle a acquiescé et nous a proposé deux projets, en mettant des formes politiciennes… Il s’agissait de créer deux unités : l’unité ado et l’unité des détenus, avec le personnel nécessaire. Ces projets étaient déjà prévus pour l’hôpital depuis deux ans. Donc, en clair, elle nous offrait dix postes de pédopsychiatrie et dix autres pour les détenus — ce qui correspondait à l’effectif nécessaire aux deux unités —, soit un effectif déjà acté avant les négociations… Ensuite, elle nous a expliqué vouloir transférer les patients de l’unité d’addictologie au Centre hospitalier universitaire de Rouen pour récupérer une unité vide, et le personnel qui allait avec. Donc aucune création de postes pour renforcer les équipes existantes ! On a soumis cette proposition à l’AG du lendemain : elle a voté contre à l’unanimité. Elle a aussi voté l’absence du président de la CME à la prochaine négociation — du fait de divergences de points de vue, nous trouvions que ces négociations devaient se faire sans présence médicale : il a été informé, il était d’accord.

On y est retournés le mercredi 6 juin au soir ; là, ce n’était plus du tout la même ambiance ! La directrice de l’ARS était très fermée, campée sur ses positions, ne voulant plus nous entendre. Et le président de la CME était présent, sur demande de la directrice de l’ARS. Elle a refusé qu’il sorte ! On a pris la décision de quitter la salle après 20 minutes. Le blocage des grands axes de Rouen était programmé au lendemain, avec l’aide des cheminots et des dockers censés nous rejoindre si le mutisme de l’ARS continuait. Face à ça, il n’a pas fallu longtemps pour obtenir un rendez-vous avec la préfète de région et la direction générale de l’ARS ! Les négociations ont repris le jeudi : 7 heures non-stop ! Et encore le lendemain matin, de 10 à 14 heures. C’était très éprouvant. Finalement, 30 postes ont été obtenus ainsi que la finalisation des deux projets d’unités prévus au départ. Si on se base sur les audits qu’on avait eus en 2016 et 2017, il nous manquait 56 postes ; on en a demandé 52. Mais on savait que 52 postes, c’était « utopique ». C’est tout de même historique d’avoir 30 postes en quelques jours de négociations, en une seule bataille. Nous sommes très fiers d’en être arrivés là ! La directrice de l’ARS a fait son annonce à 15 heures sur le piquet de grève : les grévistes ont arrêté leur grève de la faim et nous, on a arrêté notre grève. Ça a été le soulagement, après 2 mois et demi de bataille, 2 mois et demi d’appels sans réponse. On ne pouvait pas imaginer devoir en arriver jusque-là pour être entendus !

« C’est tout de même historique d’avoir 30 postes en quelques jours de négociations, en une seule bataille. Nous sommes très fiers d’en être arrivés là ! »

Mais la bataille n’était pas terminée. Lundi 11 juin, on est allés à Tours pour l’assemblée générale des hôpitaux en lutte et lendemain au Havre, pour l’assemblée générale publique des grévistes. On continuait, on ne lâchait rien. Si les erreurs qu’on avait faites et les choses qui nous avaient été bénéfiques pouvaient servir à d’autres, on y allait à fond. Épuisés, mais à bloc.
 
Il y avait des Blouses noires qui commençaient à émerger dans plusieurs hôpitaux : à celui, psychiatrique, de Saint-Étienne, les soignants ont teint leurs blouses en noir, c’était génial ! Au Havre, à l’hôpital psychiatrique Pierre Janet, la grève venait d’être déclenchée. Le vendredi 15 juin, ils ont investi le CHSCT [Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail] : c’était parti, l’intersyndicale était lancée ! Eux aussi, ils ont fait leurs Blouses noires ; ils n’avaient plus vraiment besoin de nous. 
On a eu l’impression de nous revoir à nos débuts ! Leur directeur a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi ils faisaient une grève car il avait visité les urgences et avait trouvé que ce n’était pas si dramatique que ça. Nous, on a vu les photos des urgences : c’était inadmissible. Des matelas par terre, dans des coins de portes, devant des sorties de secours… Ils installaient des matelas comme ça, ils faisaient des lits de fortune dans des salles d’attente. Une honte. Le directeur, apparemment, ne l’a pas vu… Il a dit que si les conditions d’accueil étaient ainsi, c’était « parce qu’il y a de la sur-occupation, qu’il n’y a pas assez de lits, mais qu’il y a assez de soignants ».

Sa solution : rediriger les patients qui se présentaient aux urgences psychiatriques vers les structures extra-hospitalières du type des Centre médico-psychologique ou hôpital de jour… Le 11 juin, ils ont fait une action : ils ont envahi un gros centre commercial du Havre avec les cheminots, quelques-uns du Rouvray et d’autres hôpitaux de la région. Le train était en marche ! Plus tard, on a essayé d’aller à Guingamp pour lutter contre la fermeture de la maternité… On verra où le vent nous porte. De toute façon, on a toujours cette épée de Damoclès au-dessus de notre hôpital : il faut qu’on soit vigilants quant au devenir de ces fameux postes. Le groupe de négociateurs a signé le protocole de fin de crise mais ça va être un boulot à part entière car notre direction reprend déjà tous ses anciens ordres du jour. C’est un peu comme si les 2 mois et demi de conflit n’avaient jamais existé. Il va falloir rester sur nos exigences. Mais ça, c’est maintenant le travail des syndicats, qui peuvent participer aux instances. Nous, Blouses noires, on se tient prêts. S’il faut continuer de se battre, on sera là !