Luttes et mobilisations

Infirmiers.com - Pour les blouses blanches, c’était "le black Tuesday"

Novembre 2018, par Info santé sécu social

20.11.18

Les infirmiers se sentent oubliés dans la réforme du système de santé et plus généralement méprisés par le gouvernement. Qu’ils exercent à l’hôpital ou en libéral, leurs sentiments sont clairs : ils en ont assez !

Le mouvement de ras-le-bol est tel que seize organisations syndicales les ont invités à exprimer leur colère, devant les préfectures en région ou à Paris devant le ministère des Solidarités et de la Santé. Nous avons recueillis leurs témoignages et nous vous invitons à les partager !

Ils étaient environ 200 infirmier(e)s et étudiants rassemblés devant le ministère des Solidarités et de la Santé, à Paris, dès 14 heures, en ce mardi 20 novembre 2018 pour montrer qu’ils étaient fatigués du manque de considération du gouvernement. Ils sont venus revendiquer leur savoir-faire et leur envie de l’appliquer aux mieux. Dés 7h du matin, les principaux représentants syndicaux étaient sur tous les fronts : radio, télévision, presse écrite. Tous ont tenu à faire connaître au grand public le point de vue des soignants et les innombrables raisons de leur colère. Infirmiers.com s’est notamment exprimé sur le sujet à l’antenne de Sud Radio.

On a une population vieillissante, qui a de plus en plus besoin de soins, on est sur le terrain sept jours sur sept, on est dans les territoires les plus reculés, en milieu rural. On est là quand les médecins ne répondent plus le vendredi à partir de 18 heures, martèle Catherine Kirnidis, présidente nationale du Sniil (Syndicat National des Infirmières et Infirmiers Libéraux) sur Europe 1. Et pourtant, le plan Santé 2022 est vu comme un catalogue de mesures décidé avec et pour les médecins sans tenir compte des compétences infirmières. Ce plan est totalement médico-centré. Il fait la part belle aux médecins et nous ignore totalement, s’énerve Nadine Moudar, la présidente départementale de la FNI36 (Fédération Nationale des Infirmiers) interrogée par la Nouvelle République. Une fois encore, notre profession est bafouée, sans doute parce qu’elle est féminisée à 85 %. Il y a un historique pesant. On nous voit toujours comme des bonnes sœurs à cornette, affirme, quant à elle, Sandra de Araujo, du SNIL 37.

Stop à la dégressivité des actes. C’est pas les soldes -
Mathilde, IDEL remplaçante depuis 1 an (31)

Les assistants médicaux : la mesure de trop !

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est, entre autres, la création de postes d’assistants médicaux pour libérer du temps aux médecins. Une annonce qui agace tout particulièrement les infirmiers libéraux. Et pour cause, le coût annuel de cette mesure pour la Sécurité Sociale est estimé à près de 200 millions d’euros alors qu’en parallèle les négociations conventionnelles entre la sécurité sociale et les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux sont au point mort. Et tout d’un coup, l’Assurance Maladie a les moyens de financer ces assistants, alors que notre enveloppe de revalorisations est bloquée à 193 millions d’euros !, s’insurge Philippe Tisserand, président de la FNI. Le gouvernement pose un bon diagnostic, mais le remède n’est pas bon. Au lieu de mettre en place cette mesure coûteuse qui va encore éloigner les médecins de leurs patients, il ferait mieux de reconnaître nos compétences et de développer la consultation infirmière pour nous permettre de renouveler les traitements chroniques ou expérimenter la détention de vaccins, commente Laurent Salsac, le vice-président du conseil de l’ordre régional.
La réforme est d’autant inacceptable que, jusqu’à maintenant, certaines compétences des infirmiers ne sont pas reconnues. Il y a des choses que l’on fait au quotidien comme l’adaptation de doses de certains médicaments tels que l’insuline, parce que les médecins ne sont pas là le week-end ou parce que certains patients n’ont pas de médecin traitant, souligne John Pinte, vice-président du Sniil. De même, les infirmiers de bloc opératoire (Ibode) attendent toujours l’entrée en vigueur du décret d’application sur leurs actes exclusifs. Quant à la réforme sur la pratique avancée, bien qu’elle représente une avancée, elle est jugée insuffisante.

En outre, cet argent destiné à la mise en oeuvre de ce nouveau métier d’assistant médical aurait aussi pu être employé à revaloriser la profession au niveau salarial. Rappelons que les rémunérations des soignants sont loin d’être mirobolantes ! La France reste l’un des états membres de l’OCDE qui paie le plus mal ses professionnels paramédicaux. Les infirmiers hospitaliers ont par ailleurs évoqué les tensions dans les services et la dégradation de leurs conditions de travail majoritairement dues à un manque d’effectifs permanent. On a une charge de travail énorme, de plus en plus, avec un manque d’effectifs. On essaie de tirer, et malheureusement, on s’épuise psychologiquement et physiquement, raconte cette infirmière à Europe 1.

Manque de courage politique ou mépris, à la sortie du ministère, les infirmiers, déçus, s’interrogent.
Une délégation des réprésentants du mouvement a été reçue par le cabinet d’Agnès Buzyn durant l’après-midi. Une rencontre qui laisse un goût amer car s’ils ont été entendus, ils n’ont apparemment pas été écoutés. A la sortie, la déception est là comme en témoigne le communiqué de presse rédigé conjointement par les représentants de la profession qui évoquent un rendez-vous manqué.
Ce 20 novembre aurait pu être pour Madame Buzyn une occasion de démontrer son intérêt pour l’ensemble de la profession.En déléguant cette tâche à un conseiller technique nouvellement nommé, Madame Buzyn a raté l’opportunité d’envoyer enfin un message fort aux infirmiers et infirmières. Face aux constats partagé du malaise infirmier, de la perte de sens au travail, aux demandes réitérés de répondre à l’épuisement professionnel, aucune réponse concrète n’a été apportée aux points abordés : absence de reconnaissance, de revalorisation, de moyens pour accompagner les transformations, de prise en compte des solutions proposées par les infirmier.e.s et renvoi des infirmier.e.s libéraux aux négociations conventionnelles en cours. Contrairement à ce que semble penser le ministère, la mobilisation ne se limite pas à une saute d’humeur face à l’absence de référence aux infirmier.e.s dans le discours Présidentiel. La ministre de la Santé ne mesure pas l’urgence de la situation. En conséquence, ces seize organisations adressent une demande d’audience au Président de la République afin qu’il prenne en considération les solutions à effet immédiat que les infirmier.e.s proposent pour garantir une sécurité des usagers, et des soins de qualité dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé.

A Strasbourg, Lyon, Toulouse, Limoges, Rennes... devant toutes les préfectures de France et en Outre-mer, la profession infirmière ne s’est pas fait oublier !
Quant au corps médical, certains médecins se sont montrés assez solidaires. Selon le Quotidien du médecin, ils disent comprendre le mouvement. Les infirmiers font un énorme travail au quotidien sur le maintien à domicile et la coordination. Ils compensent même parfois une démographie médicale en berne, souligne le Dr Margot Bayart, secrétaire générale de MG France. Le fait d’oublier sciemment les infirmières libérales au niveau de leurs honoraires signe un mépris profond pour cette profession, et décrédibilise tout ce plan... Et montre la non reconnaissance de leur immense travail au jour le jour dans nos campagnes profondes..., s’insurge un autre médecin dans un commentaire associé. A défaut de la ministre, les soignants semble avoir obtenu le soutien d’autres professionnels de santé et espèrent avoir celui des Français car c’est surtout aussi pour les patients qu’on est là ! affirme une infirmière.

Témoignages recueillis par notre correspondante* à Toulouse où 300 infirmiers étaient présents

• Par rapport à nos compétences, le plan santé 2022 nous a laissés pour compte.
• Les pharmaciens qui nous prennent le travail, la pression administrative des caisses, la hausse du carburant, la NGAP obsolète, les problèmes de stationnement… ça suffit, STOP. À quand aussi la reconnaissance du statut des infirmières référentes ?, Alain Bargues, IDEL dans le Lot, Sniil.
• Les infirmières libérales sont oubliées. Elles sont pourtant le premier hôpital de France, Délégation lotoise du Sniil (visuel 3792)
• Nous sommes sous le joug des médecins. On ne sait même pas que l’on existe. […] Pendant que l’on soigne, on nous oublie. Pourtant, c’est bien nous qui assurons la continuité des soins du vendredi midi au lundi matin, Xavier Caloin, IDEL dans le Lot, responsable Convergence Infirmière Occitanie.
• Dans le système de santé d’aujourd’hui, de demain, le premier recours, c’est nous. Pourtant, pas une fois dans le plan santé 2022 ils ont eu l’intelligence de nous utiliser et ce alors que les IDEL se forment, Pascale Cazaneuve, IDEL à Toulouse avec 38 ans de service et… en burnout cette année, représentante URPS infirmiers Occitanie.
• Nous sommes les acteurs de soins les plus nombreux, nous allons chez les patients, nous avons une obligation de continuité de soins… Mais nous n’apparaissons pas.
• Le libéral va mourir dans les 5-10 ans à venir et cela conduira à une privatisation de la santé
• Moi, je mets les mains dans le cambouis. Mais qui va le faire après ? Des structures privées ? Je suis très pessimiste pour la prise en charge du patient dans les cinq prochaines années et du système de santé dans son ensemble.
• Je souhaite juste que l’on me permette de soigner mes patients convenablement, qu’ils puissent recevoir le soin qu’ils méritent,Jean-Luc, IDEL à Moissac (82)
• On est abandonnés. On intéresse plus personne. Tout est fait pour nous conduire – comme les patients – vers la ville, Laurent, IDEL (FNI) en Haute-Garonne pendant une douzaine d’années en périurbain et depuis 5 ans en secteur rural.
• Nous sommes bonnes à tout faire au domicile, mais pas pour l’État. […] Que l’on reconnaisse au moins nos compétences et que l’on arrête de les dispatcher à d’autres [comme la vaccination aux pharmaciens par exemple, NDLR], Claude, Céline, Elsa et Pauline, IDEL en Haute-Garonne et à Toulouse/Unidel.

*Valérie Hedef, journaliste.