Luttes et mobilisations

Mediapart : La psychiatrie veut son « printemps »

Janvier 2019, par infosecusanté

La psychiatrie veut son « printemps »

22 janvier 2019

Par Mathilde Goanec


Les différents collectifs de soignants ainsi que des associations de patients en psychiatrie se sont rassemblés mardi 22 janvier à Paris. Depuis un an, le motif n’a pas varié : du personnel supplémentaire et du temps pour soigner au lieu de « contenir ». Une mission sur la psychiatrie démarrait le même jour à l’Assemblée nationale.

L’appel a été lancé depuis l’hôpital Pinel, à Amiens. Ses soignants sont devenus célèbres pour avoir mené sept mois de grève et tenu un campement jour et nuit pendant plus de douze semaines. Si les Picards ont organisé ce ralliement à Paris, c’est pour montrer que « la lutte, ça paie » et « permet de se sentir vivant ». Ils veulent aussi fédérer les différents collectifs de psychiatrie qui ont émergé, souvent de manière spectaculaire, depuis un an, alors que le secteur de la santé doit subir une réforme d’ampleur d’ici à 2022.

Mardi 22 janvier, quelques centaines de soignants, de psychiatres et de patients se sont donc retrouvés place de la République, sous une neige tombant dru. En grelottant, ils ont marché ensuite vers l’Assemblée nationale, où étaient lancées les auditions dans le cadre de la mission sur la psychiatrie, menée par la députée LREM du Bas-Rhin Martine Wonner. Une mission express, puisque le rapport doit être rendu début février, quelques jours avant la présentation au conseil des ministres de la loi réformant le système de santé.

La députée devrait avoir fort à dire puisqu’à Amiens, comme au Havre ou à Saint-Étienne, il y a eu quelques victoires, mais rien n’est vraiment réglé. À Amiens, un protocole de fin de conflit a été signé mi-janvier, avec un accord pour 30 créations de poste sur les 65 demandées. « Mais il va falloir être vigilant, la direction a cédé sur la moitié des postes seulement, et sans préciser comment elle allait les financer, souligne Catherine, infirmière à Amiens, près du camion où s’enchaînent les prises de parole. Il n’y aura pas réouverture de services, donc le problème de suroccupation des locaux reste entier. »

Au Havre, les “Perchés” sont tout aussi méfiants : les postes obtenus après plusieurs jours et nuits passés sur le toit de l’hôpital ont bel et bien été recrutés l’an dernier. « Il y a eu une vraie bouffée d’oxygène fin 2018, qui a permis aux collègues ne serait-ce que de prendre leurs congés à Noël, explique Frédéric Le Touze, infirmier, monté lui aussi à Paris. Mais début janvier, à nouveau, on a mis des lits supplémentaires dans les pavillons. Et aux urgences, on voit à nouveau des matelas par terre… » Jusqu’ici, les postes ouverts étaient par ailleurs financés sur le budget de l’hôpital, déjà en déficit. Dans la nuit précédant la manifestation parisienne, l’agence régionale de santé (ARS) a lâché un million d’euros supplémentaires pour la psychiatrie havraise, selon les Perchés. « Mais c’est une enveloppe pour 2019 seulement, et ça ne couvre pas la totalité des postes créés », met en garde Frédéric Le Touze.

Trente postes par ici, un million d’euros par là, le ministère de la santé privilégie jusqu’ici plutôt une gestion de « pompiers », pour éteindre les incendies qui ont éclos les uns après les autres dans plus d’une dizaine d’hôpitaux psychiatriques en France ces derniers mois. Agnès Buzyn a néanmoins évoqué 50 millions d’euros supplémentaires en fin d’année 2018, sans que l’on sache encore où cet argent va aller. « Cela fait des mois que des équipes se sont mises en grève, les difficultés sont importantes, il n’y a plus assez de soignants ni de médecins, décrit la députée Martine Wonner, manifestement bien consciente des problèmes. Vu le temps que nous avons, nous allons travailler en priorité sur le financement. C’est ce qui sous-tend toute l’organisation de la psychiatrie et j’espère que cette mission aura une portée très politique. »

La colère, bien vivace, devrait servir d’aiguillon : « Nous avons 2 à 3 infirmiers pour 27 patients, et la direction vient de nous annoncer que cet été nous aurons deux semaines de vacances seulement, car personne ne peut nous remplacer, tonne une infirmière de Tours, sa blouse sur le dos. On crève, les patients souffrent, j’ai honte, j’ai honte ! » Des « Buzyn démission » retentissent. Martine Wonner s’est également fait huer devant l’Assemblée nationale.

Parmi les psychiatres présents dans le défilé parisien, tous confirment à la fois la faiblesse de la mobilisation des médecins dans les collectifs de défense de la psychiatrie, mais aussi la désertion dont souffre l’hôpital public. Selon l’Union syndicale de la psychiatrie, 25 % des postes ne sont pas pourvus. « On travaille avec des intérimaires, nous avons un énorme problème à recruter des médecins », confirme Corinne, d’Amiens. « On se retrouve avec des internes qui gèrent des services entiers, ils sont dépassés ! », déplore Pierre, l’une des blouses noires de Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen. « Les médecins ont complètement intégré la contrainte budgétaire, ils ne veulent plus se battre », regrette un ancien psychiatre du Rouvray, installé désormais en libéral. Chez les infirmiers, ce n’est guère mieux. « On n’arrive pas à recruter sur les postes ouverts, raconte Catherine à Amiens. Nos services ne font pas vraiment envie, les gens veulent pouvoir travailler correctement. »

Comment, dans ces conditions, croire au « printemps » et « soigner les institutions psychiatriques », comme le clame une pancarte décorée de fleurs, brandie sous la neige ? Une quarantaine de collectifs, syndicats, partis politiques, associations de patients ou clubs se sont associés dans un manifeste pour « un renouveau des soins psychiques ». « C’est la première fois qu’on fédère par les pratiques, ce ne sont pas les syndicats qui appellent, s’enthousiasme Mathieu Bellahsen, psychiatre en région parisienne, un gilet jaune sur le dos. Si on regarde bien, la forme rond-point a commencé avec la psychiatrie, à Amiens, à Dijon, où ils ont monté un barnum devant l’hôpital… La priorité, ce n’est pas la réorganisation, mais de retrouver du sens dans le travail et du sens à se soigner pour les patients. »

Refus de la fusion de la psychiatrie dans la médecine générale, de l’homogénéisation des soins, respect des libertés individuelles des patients et du travail des équipes… le combat est ambitieux et va bien au-delà de l’équation budgétaire. « Si le budget de la psychiatrie, sans cesse rogné depuis plusieurs années, doit être revalorisé, comme l’exigent toutes les mobilisations actuelles, c’est l’appauvrissement des relations au sein des lieux de soin qui est notre souci premier, peut-on lire dans ce manifeste. La standardisation des pratiques protocolisées déshumanise les sujets, patients et soignants. »

Du temps pour être près du patient, et du temps pour les équipes afin de « réfléchir », réclament les manifestants. « À Paris, nous sommes passés de journées de 8 heures à des journées de 7 h 30 pour réduire le nombre de postes, ce qui a réduit les possibilités de discussion entre nous au moment des transmissions à une demi-heure, c’est très insuffisant », se plaint une infirmière, membre de la psychiatrie parisienne unifiée (PPU).

Tout ce système induit des pratiques critiquées : la multiplication des chambres d’isolement, d’enfermement, de contention. « Quand j’ai commencé ma carrière à l’hôpital Janet, on n’avait pas de chambre d’isolement, pas de secteur fermé, pas d’instrument de contention, se souvient Frédéric Le Touze. Aujourd’hui, on a une chambre d’isolement par pavillon d’hospitalisation, et il est question de doubler ce chiffre, ou de créer une unité avec uniquement des chambres d’isolement. C’est une dérive terrible. »