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Lequotidiendumedecin.fr : Étrillé par un rapport provisoire de la Cour des comptes, l’Ordre des médecins répond point par point

Février 2019, par infosecusanté

Étrillé par un rapport provisoire de la Cour des comptes, l’Ordre des médecins répond point par point

Martin Dumas Primbault

| 27.02.2019

Rarement l’Ordre national des médecins n’avait essuyé une charge aussi sévère.

Dans un article au vitriol paru ce mercredi, le « Canard enchaîné » dévoile les conclusions accablantes d’un rapport « provisoire » de la Cour des comptes sur la gestion de l’institution ordinale. De multiples dérapages y sont dénoncés. Entre comptabilité non sincère, pratiques douteuses de recrutement, train de vie ordinal, abus de médecins ou conflits d’intérêts non sanctionnés, l’Ordre en prend pour son grade.

La charge est si violente que – fait rare – l’Ordre national (CNOM) s’est empressé de répondre point par point, dans un communiqué diffusé la veille de la parution du « Canard ».

« Comptabilité insincère »

« Approximations, manques, erreurs » et même « écritures délibérément faussées », le pré-rapport de la Cour des comptes cité par l’hebdomadaire étrille la comptabilité de l’Ordre qu’elle juge « insincère ». Elle met en cause au passage l’aménagement en 2016 du nouveau siège de la rue Léon-Jost à Paris qui aurait coûté presque le double du devis initial (8,8 millions d’euros contre 4,9 annoncés).

Un écart que le CNOM justifie par la présence d’amiante que l’expertise initiale n’avait pas détectée et des « coûts additionnels » liés aux installations électriques et à la mise aux normes des extractions de fumées. Il se défend de toutes dépenses exagérées, assurant que le produit de la vente de l’ancien siège a suffi à assumer ces coûts « sans que le Conseil national soit contraint de souscrire de prêt additionnel ».

Indemnités salées

Côté portefeuille toujours, l’article du « Canard » pointe une hausse vertigineuse des dépenses personnelles des membres du conseil national. En 2017, les 54 médecins auraient perçu 2,2 millions d’euros d’indemnités et se seraient fait rembourser 2,6 millions de frais. Des « rémunérations déguisées », estime la Cour des comptes, qui auraient bondi de 33 % depuis 2011.

Exerçant là encore son droit de réponse, le CNOM affirme que « le niveau des indemnités des conseillers nationaux n’a pas évolué. C’est le nombre de journées indemnisées qui a augmenté ». L’institution « reconnaît et revendique l’augmentation mécanique du montant des indemnités » qu’elle impute au nombre accru de réunions depuis 2013 et à l’accroissement du volume de travail confié à l’Ordre − saisi de façon plus fréquente en commission des appels administratifs, chargé d’une nouvelle mission sur l’insuffisance professionnelle ou encore mobilisé pour son « expertise sur de multiples sujets ».

Déontologie à géométrie variable

La Cour pointe également les écarts à la déontologie dans les relations entre médecins et industriels, qui ne seraient pas sanctionnés. L’article cite le cas de certains médecins « principalement des cardiologues, des ophtalmos et des oncologues », participant chaque année à plus d’une dizaine de congrès, financés par les laboratoires et approuvés par le CNOM avec une justification qui laisse à désirer : « L’absence de programme ne permet pas de vérifier si la quantité de nuitées et de repas pris en charge est justifiée ». Ainsi, le « docteur G », pneumologue, aurait bénéficié, entre février 2016 et septembre 2018, de 27 500 euros de financement pour des congrès organisés aux Bahamas, à Hawaï, à Palm Beach, sur l’île Maurice ou à Bangkok, énumère le « Canard ».

Ces « relations médecins/industrie » sont censées être mieux contrôlées depuis une loi de 2011. Dans ce contexte, la Cour s’étonne de voir qu’« aucun médecin n’a été convoqué par le Conseil national et aucune poursuite disciplinaire n’a été engagée ». En 2017, 1,5 million de contrats et 200 millions d’euros ont pourtant été encaissés par les médecins, indique le « Canard ». Dans sa réponse, l’Ordre affirme avoir pris « clairement position en faveur d’une transparence totale des relations entre les médecins et les industriels » mais renvoie la balle dans le camp de l’exécutif. Ainsi, il ne peut faire usage du bâton tant qu’un décret d’application « permettant d’assurer le contrôle de toutes les déclarations de liens d’intérêt entre le corps médical et l’industrie de la santé », ne sera publié.

Recrutements familiaux

Également accusé de laisser libre court aux pratiques de certains élus qui recruteraient des membres de leur famille, parfois avec des salaires élevés et aux frais de l’Ordre, le CNOM se défend, assurant gérer ses ressources humaines « dans le plus profond respect du droit du travail ».

Face aux abus sexuels, un laxisme disciplinaire

Enfin, le rapport provisoire reproche à l’Ordre son laxisme, voire son aveuglement, à l’égard de médecins visés par des accusations de harcèlement ou d’abus sexuels. De nombreux médecins « ayant fait l’objet de doléances, de signalements ou de plaintes (conciliées ou retirées par les plaignants), condamnés au pénal ou placés sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec leur exercice, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire », accusent les magistrats cités par l’article.

Sur ce point très grave, l’institution ordinale dément toute complaisance et affirme transmettre systématiquement à la juridiction disciplinaire les cas qui lui sont rapportés. Elle assure inviter les victimes à porter plainte devant les instances ordinales. Mais le CNOM regrette le défaut d’application d’une circulaire demandant aux procureurs de la République d’avertir les instances ordinales lorsque des plaintes pénales sont déposées à l’encontre de médecins afin qu’ils puissent être poursuivis par les juridictions disciplinaires.

La profession touchée dans son honneur

Ironie du calendrier, ces révélations interviennent au moment où l’Ordre lance, dans le cadre du grand débat national, une grande consultation de sa base sur l’avenir du système de santé. Visiblement touché par ces accusations, le CNOM « tient à exprimer son plus vif étonnement sur le fait que ce pré-rapport ait été communiqué à la presse alors que la phase contradictoire n’a pas débuté ». La Cour des comptes a de son côté déploré la publication d’« observations provisoires » par le Palmipède. « Toute divulgation d’observations non définitives nuit à la procédure contradictoire et à la bonne information des citoyens. »

Il n’empêche. L’article du « Canard » devrait provoquer de nombreuses réactions. Dans un communiqué publié ce mercredi, le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, affiche sa stupéfaction. « Si les faits s’avéraient exacts à l’issue de l’enquête définitive, ils seraient d’une extrême gravité et porteraient atteinte à l’honneur et à la probité de toute la profession médicale, que le conseil de l’Ordre est censé défendre. »