Luttes et mobilisations

Mediapart : Les urgentistes promettent un été de mobilisation

Juillet 2019, par infosecusanté

Les urgentistes promettent un été de mobilisation

2 juillet 2019

Par Caroline Coq-Chodorge

Les urgentistes poursuivent leur mobilisation, qui devrait survivre à l’été. Les 70 millions d’euros promis par la ministre de la santé leur paraissent largement fictifs. Si Paris a gagné des effectifs, les hôpitaux de province n’ont presque rien obtenu.

Ce sont les CRS qui ont mis fin à la nouvelle manifestation du collectif Inter-Urgences, mardi 2 juillet à Paris, devant le ministère de la santé. Ils ont extrait de la foule les membres du collectif, qui se piquaient avec des seringues d’insuline. Cette hormone est utilisée par les diabétiques pour faire baisser leur glycémie. À forte dose, l’insuline conduit à l’hypoglycémie, et potentiellement au décès. Un peu plus tôt dans l’après-midi, ils s’expliquaient ainsi sur ce geste. « On veut leur dire qu’on n’est pas dupes, que ce qu’ils disent ne sert à rien, dit Orianne Plumet, infirmière à la Pitié-Salpêtrière. C’est plus possible ces morts évitables aux urgences, cette déshumanisation des soins. Pour qu’ils prennent la mesure du problème, on va faire ça sous leurs yeux. »

Chez les urgentistes, encore plus que chez les autres soignants, se mélangent sans cesse le drame et la farce. « C’est un système de défense », poursuit Inès Gay, infirmière à Lariboisière. Jusqu’à cette mise en scène morbide, la manifestation était festive. Les manifestants se sont grimés en robots, parce qu’ils ont le sentiment de travailler à la chaîne, de perdre sans cesse en humanité des soins. Ils avaient préparé une « cacapulte », pour lancer des couches au Nutella sur le ministère, mais le système de balancier équipé d’un panier à salades a fait flop.

Mais la mobilisation reste forte : 157 services d’urgences ont rejoint le collectif. Désormais constitué en association, il a désigné un président, l’infirmier de l’hôpital Lariboisière Hugo Huon, et une secrétaire générale, l’aide-soignante de l’hôpital Saint-Antoine Candice Lafarge. La manifestation, toujours limitée aux services d’urgences, a mobilisé 300 personnes. C’est important, car les grévistes sont largement réquisitionnés pour faire tourner les services. Les délégations présentes témoignent du niveau de mobilisation très important des paramédicaux, et localement des médecins à Saint-Nazaire ou à Brest. « Cela fait vingt ans que je suis infirmière aux urgences, et je n’ai jamais vu une mobilisation pareille », s’enthousiasme Vanessa, infirmière aux urgences au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Brest.

« La colère est telle que le mouvement va durer. Et l’été s’annonce chaud, dans tous les sens du terme », analyse Olivier Youinou, secrétaire général de Sud Santé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), également mobilisé aux côtés de la CGT et de FO. Les 70 millions d’euros annoncés par la ministre leur paraissent largement fictifs. Seuls les 15 millions fléchés vers les renforts d’effectifs pour l’été semblent bien réels. « Et encore, localement, les agences régionales de santé disent qu’elles n’ont rien reçu. Le directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, lui, dit que l’argent a été versé. Ils nous baladent », explique Benoît Cransac, infirmier aux urgences d’Annecy, de retour du rendez-vous avec le ministère, qui n’a rien donné. Et ces 15 millions sont loin d’être suffisants. « En Île-de-France, l’agence régionale de santé espère récupérer 20 % de l’enveloppe, mais ce n’est pas suffisant », dit Olivier Youinou.

Quant aux 55 millions d’euros dévolus aux versements de primes pour les urgentistes, « il fallait en fait comprendre qu’il n’y pas d’argent supplémentaire, poursuit le syndicaliste. C’est de l’argent que les établissements doivent flécher sur les urgences. Cela revient à creuser les déficits des hôpitaux, alors que le niveau des dépenses d’assurance maladie est déjà insuffisant. C’est du foutage de gueule ». Localement, les discussions sont encore en cours sur la possibilité de pouvoir accorder et cumuler ces primes, qui pourraient s’élever à 156 euros net à l’AP-HP. Mais ailleurs, la plupart des directions affirment ne pas avoir de marges de manœuvre financières, et renvoient vers le ministère.

Hugo Huon, le président du collectif Inter-Urgences, raconte la rencontre, le 14 juin, de toutes les organisations d’urgentistes avec Agnès Buzyn, pour installer la nouvelle mission sur les urgences, qui doit rendre ses travaux cet automne. Aux côtés des médecins et des directeurs, les paramédicaux étaient enfin représentés. « C’était nul, tance Hugo Huon. Il y avait toutes les associations professionnelles, les fédérations hospitalières, les représentants des usagers. Tout le monde a répété que le constat était juste, et partagé. » Le chef du Samu de Paris, Pierre Carli, le député LREM Thomas Mesnier, urgentiste de profession, et un inspecteur général des affaires sociales doivent rendre un rapport à l’automne : « Est-ce que ce sera un énième rapport à la con ? Ou est-ce que Thomas Mesnier est prêt à se griller avec la majorité ? »

Le collectif reconnaît les efforts faits localement par la direction générale de l’AP-HP. « Ils nous ont accordé 230 postes, sur les 360 que nous réclamons, raconte Candice Lafarge. Nous avons tous obtenu des renforts. » Mais le collectif a le sentiment que ce geste correspond à une volonté de casser le mouvement national : « Ils tentent de stabiliser les choses à Paris pour casser notre solidarité. On est conscients qu’à l’AP-HP on est mieux dotés qu’ailleurs », dit Inès Gay.

Au CHRU de Brest, les arrêts maladie sont remplacés à partir de trois semaines d’arrêt seulement. Les collègues font des heures supplémentaires dans l’intervalle : « On se retrouve à devoir travailler trois week-ends d’affilée », raconte Vanessa. Face au mouvement de grève, la direction n’a concédé qu’un seul poste d’infirmière de nuit. À l’hôpital de Château-Gontier, en Mayenne, le service d’urgences est en zone blanche, à plus de 30 minutes du Samu, dans un désert médical. Sa fréquentation augmente de 7 % par an, sans que les effectifs n’aient jamais bougé. « La direction n’a encore rien lâché. On sait qu’on n’obtiendra rien localement », dit Sylvie, infirmière.

À Lons-le-Saunier, dont l’équipe des urgences a craqué début juin dans un contexte de sous-effectif chronique et d’heures supplémentaires non payées (lire notre reportage), rien n’a avancé non plus : « Au cours d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), l’inspection du travail a jugé inadmissible cette accumulation d’heures supplémentaires. Pour alléger notre charge de travail, le directeur a décidé de fermer notre unité d’hospitalisation de courte durée. On a donc plus de places pour nos patients sur les brancards. Et dans le même temps, l’hôpital ferme 22 lits de médecine. Les touristes ne sont pas encore arrivés, ça va piquer… »
Sur leur revendication principale, la réouverture de lits d’hospitalisation, les urgentistes n’ont donc rien obtenu. Les patients continuent à stagner aux urgences, ce qui alourdit leur charge de travail, et met en péril les malades les plus fragiles. « Hier, j’ai dû gérer un infarctus, une suspicion de méningite et une section du doigt, mais je n’avais qu’un box disponible, enrage Vanessa, de Brest. Il m’est arrivé de placer un patient victime d’un accident de moto dans la réserve à perfusion. J’ai honte de ce que je fais, je dis à ma fille de ne pas faire ce métier-là. Je veux qu’Agnès Buzyn ait aussi le poids de ça. » Vanessa est en larmes.