Union syndicale de la psychiatrie (USP)

USP -Témoignages de psychiatres dans la crise Covid

Juin 2020, par Info santé sécu social

Jeudi 18 juin 2020

Un certain nombre de psychiatres ont eu beaucoup d’appréhension quant aux répercussions du confinement et de la crise Covid sur leurs patients mais tout cela a été globalement bien supporté.
Beaucoup ont constaté que le confinement était plutôt bien vécu, aussi bien par les enfants suivis que par les adultes. Malgré tout, ont été observées des majorations d’anxiété, des crises d’angoisse, des troubles du sommeil et également des décompensations délirantes ou des troubles thymiques (mélancoliques et maniaques).

Au fur et à mesure que les semaines ont passé, de plus en plus d’enfants ont été angoissés. Et les pédopsychiatres s’inquiètent du retour/non retour à l’école.
Le déconfinement a finalement amené plus d’angoisse.
Dans les unités d’hospitalisation, les 3-4 premières semaines ont été calmes, avec peu d’admissions puis elles ont repris. Les hôpitaux sont à certains endroits saturés depuis plusieurs semaines, en partie à cause des réorganisations (unités classiques transformées en unités Covid ; suppression des chambres double d’entrants pour en faire des chambres individuelles).
Dans les hôpitaux psychiatriques, des cellules de crise se sont mises en place, réunissant des membres de la direction, cellule d’hygiène, le médecin président.e de CME, les médecins généralistes de l’établissement.
Elles se réunissaient quotidiennement la plupart du temps, de façon hebdomadaire selon les endroits.
Ces cellules de crise étaient plus ou moins autoritaires, n’instaurant pas forcément un dialogue avec les praticiens de l’hôpital.
Le travail entre psychiatres et somaticiens s’est fait en bonne intelligence. Cela a été apprécié.
Les cellules de crise ont repris les directives des ARS qui préconisaient l’arrêt des visites, l’arrêt des permissions et l’interdiction des promenades dans les parcs des hôpitaux. Seules les promenades des patients accompagnées de soignants étaient autorisées, parfois 1 pour 1, ce qui rendait ces promenades rares compte tenu des effectifs réduits.
Des réorganisations ont eu lieu, acceptées en général par tous, pour créer soit des unités Covid pour patient atteints, soit pour les patients nouvellement admis. Il y a eu peu de patients atteints. Il y a donc eu une surcapacité d’accueil dédiée aux patients Covid. Les unités Covid ont fermé assez vite passé le pic de la maladie. Peu de décès à déplorer en hôpital psychiatrique.
Des unités classiques ont été fermées de façon prématurée par rapport à ce qui était prévu dans les projets de l’hôpital dans certains endroits (le Rouvray à Sotteville les Rouen, le Vinatier à Bron), et ce de façon autoritaire.
Les restrictions de liberté de circuler dans les hôpitaux ont eu comme effet de peser sur l’ambiance, d’autant plus que les personnels étaient le plus souvent en effectif réduit (pour constituer un pool de réserve) et parfois angoissés eux-mêmes, davantage que les patients. Certaines équipes ont été en souffrance.
Dans certains endroits, une grande solidarité s’est faite jour entre tous, professionnels et patients.
Certaines équipes ont choisi ensemble de ne pas suivre à la lettre les directives des ARS ou cellules de crises pour pouvoir continuer voire renforcer leurs prises en charge basées sur le collectif. La latitude laissée aux équipes a été souvent corrélée au degré de liberté laissée par le ou la chef de service et la qualité antérieure de l’ambiance institutionnelle au sein des unités de soins et des services.
Dans de nombreux services, les activités thérapeutiques habituelles ont été totalement arrêtées. Les réunions d’équipe également, réunions normalement essentielles au travail clinique.
Les unités ont été fermées à clé. Certains patients ont aussi dû être enfermés à clé dans leur chambre, soit parce qu’il ne respectait pas les gestes barrière compte tenu de leurs troubles psychiatriques, soit parce qu’ils étaient troublés par les mesures de confinement.
La question des fermetures de chambre (isolement) a posé problème dans certains endroits et donné lieu à de grandes tenions avec les cellules de crise ou la direction. La CGLPL a parfois été interpellée.
Selon les hôpitaux, soit les nouveaux entrants étaient accueillis en unité de courte durée : si testés à l’entrée, dirigés vers unité Covid si positif, dirigés vers unité classique si négatif ; sinon pendant 14 jours s’ils n’étaient pas testés.
Soit ils étaient hospitalisés en unités classiques, placés en confinement en chambre pendant 14 jours, empêchant la mise en place du travail relationnel d’accueil et de soin qui est la base de la prise en charge en psychiatrie.
Dans la plupart des endroits, pas de test systématique fait aux patients à leur admission.

En ambulatoire :
Presque tous les hôpitaux de jour et les CATTP, aussi bien en psychiatrie infanto-juvénile qu’en psychiatrie pour adultes, ont été fermés.
Les consultations ont continué. Très réduites en présentiel dans les centres médico-psychologiques mais elles ont eu lieu sous forme de consultations téléphoniques le plus souvent ou en visio-consultations. Cela a souvent satisfait les patients, les familles. Si ces formes de consultation ont permis de maintenir un lien avec les patients, elles ne sont pas appréciées comme les entretiens en présentiel. Dès que cela a été possible (11mai), celles-ci ont repris progressivement.
Des équipes mobiles se sont mises en place (Au centre Artaud à Reims) ou bien les infirmiers et médecins de CMP ont fait de nombreuses VAD, parfois pour tenir à bout de bras des patients fragiles. Certaines équipes ont fait du portage de repas à domicile ou des courses pour les patients les moins autonomes.
Avec les enfants, certains professionnels ont pu donner rdv au bas de leurs immeubles car consultations par téléphones impossibles.
Des groupes WhatsApp soignants/soignés ont été créés pour maintenir le lien avec les patients.
Des équipes ont redoublé d’inventivité pour maintenir les liens.

Dans le privé :

Consultations en présentiel parfois maintenues parfois totalement arrêtées et remplacées par consultations téléphoniques ou visio. Peu de perdus de vue.
Dans le public et le privé, mises en place ou participation des psychiatres des plateforme d’écoute. Quelques appels de soignants, peu de nouveaux patients.

Concernant le matériel
Pas ou peu de masques pendant plusieurs semaines. SHA rationnée également. Dans la plupart des services, la blouse blanche pour les psychiatres s’est imposée.
Dans les CMP les équipements étaient réservés aux VAD et soins corporels (injections).
Puis pénurie de surblouses. Mise en place d’atelier de confections avec tissus apportés par le personnel.
Directives « folles » de certaines directions : laver les masques, les faire sécher, les réutiliser (au Rouvray 9 personnes menacées de sanctions dont 2 en conseil de discipline par la direction pour avoir diffusé une de ces directives)

Finalement, la crise sanitaire a mis en évidence :
• Que la psychiatrie n’est pas une priorité (matériel, latence aux recommandations) : les professionnels s’en sont souvent bien sortis grâce à leur propre organisation et à leur inventivité, ne comptant pas leurs heures de travail.
• Que la pédopsychiatrie passe encore après la psychiatrie pour adultes.
• Des tensions là où il y en avait déjà, là où les directions sont en conflit avec les professionnels soignants. Des restructurations ont été accélérées sans concertation sous prétexte de Covid.
• Les cellules de crise ont parfois été l’occasion d’autoritarisme dans le quotidien, sans suffisamment de concertation.
• L’ensemble des professionnels sort de cette période très fatigué.
• De nouveaux patients ont décompensés mai dans l’ensemble, les patients ont relativement bien supporté cette crise.

Dr Delphine Glachant
Présidente USP