Segur de la santé (Mai Juillet 2020)

Le Monde.fr : Investissement, financement, gouvernance : les conclusions du dernier acte du « Ségur de la santé »

Juillet 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Investissement, financement, gouvernance : les conclusions du dernier acte du « Ségur de la santé »

Le ministre de la santé, Olivier Véran, a dévoilé mardi ses propositions pour accélérer la « transformation du système de santé », durement éprouvé lors de la crise du Covid-19.

Par Camille Stromboni

Publié le 22/07/2020

Les 33 mesures dévoilées, mardi 21 juillet, par le gouvernement, dans le cadre des conclusions du « Ségur de la santé », ne sont pas toutes spectaculaires. Mais mises bout à bout, elles indiquent un changement de philosophie pour le système de soin, épuisé par des années de restrictions budgétaires, et fortement éprouvé par la crise sanitaire du Covid-19. « Nous avons agi vite et fort parce qu’il le fallait », a avancé Olivier Véran, ministre de la santé, pour qui « il s’agit de remettre de l’humain, mais aussi des moyens et du sens dans notre système de santé ».

Gouvernance, investissements, financement… Le gouvernement s’est attaqué à différents leviers pour « accélérer » la « transformation du système de santé ». Un plan plutôt bien accueilli par le collectif interhôpitaux (CIH), le collectif de soignants qui avait organisé la démission de près de 1 200 chefs de services en janvier 2020, pour alerter sur la gravité de la situation dans les hôpitaux. « Cela va dans le bon sens, estime Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat à Paris, et membre du collectif. Mais tout va dépendre de la mise en œuvre de ces propositions, plusieurs d’entre elles restent encore floues. »

Il y avait urgence à répondre à la colère des soignants. Emmanuel Macron l’a reconnu le 15 mai, lors d’un déplacement à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière : « On a sans doute fait une erreur dans la stratégie annoncée il y a deux ans. » Bien avant la crise du Covid, plus de la moitié des services d’urgence s’étaient mis en « grève », et les signaux d’alerte du malaise à l’hôpital se multipliaient, avec des mobilisations répétées chez les soignants.

Cette « ultime étape » du Ségur de la santé – la concertation enclenchée avec les soignants au lendemain de la crise sanitaire – intervient après de premiers « accords » signés le 13 juillet prévoyant une enveloppe de 8,2 milliards d’euros, destinée à augmenter les salaires des personnels hospitaliers. Les autres mesures annoncées mardi, à l’issue de six semaines de discussions, visent à « libérer les établissements de santé et les personnels d’un certain nombre de contraintes » et « redonner du pouvoir d’initiative et de décision à celles et ceux qui soignent », a assuré Nicole Notat, l’ancienne numéro un de la CFDT en charge de l’animation des discussions.

4 000 lits « à la demande ». C’était un des points de crispation central dans le monde médical : le manque de lits dans les hôpitaux. Pour y répondre, le gouvernement a annoncé le financement de 4 000 lits « à la demande », avec une enveloppe de 50 millions d’euros, qui sera débloquée à compter de l’hiver 2020. Les établissements pourront les ouvrir selon les besoins, notamment en fonction des pics saisonniers ou des pics exceptionnels d’activité.

« Nous allons changer de logique sur [cette] question du capacitaire », a défendu le ministre, qui a insisté sur sa volonté de « sortir des dogmes et des guerres de positions, qu’il s’agisse de la fermeture systématique des lits ou du refus systématique de toute réorganisation ».

Du côté du CIH, qui demandait un moratoire sur la fermeture de lits dans les hôpitaux, on s’interroge : « On a du mal à voir comment cela va être mis en place en pratique, comment trouver les personnels, les infirmières, les aides-soignantes, qui vont permettre ces ouvertures », explique Olivier Milleron.

« Cela ne va pas régler le problème, balaie pour sa part Christophe Prudhomme, de la CGT Santé. On ne récupère même pas les fermetures actées sous ce quinquennat, soit plus de 4 700 fermetures. » Pour le responsable, qui n’a pas signé les accords sur les revalorisations – plus de 80 % des adhérents ont rejeté le texte, devait annoncer la centrale mercredi 22 juillet –, ce nouveau volet de mesures est « très insuffisant ».

Redonner plus de places aux territoires. Autre annonce qui devrait être bien accueillie dans la communauté médicale : le « Copermo » va être supprimé. « Il a vécu », a tranché Olivier Véran, concernant ce « comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers », qui instruit et valide les investissements hospitaliers. Son sigle était devenu associé aux plans de fermetures de lits dans les hôpitaux.

« Nous voulons que dorénavant, les territoires soient aux commandes », a avancé Olivier Véran, évoquant l’association des élus locaux à « l’appréciation des besoins de santé et aux décisions d’investissements ». Le Copermo sera remplacé, à l’horizon 2021, par un conseil national de l’investissement. Il sera en charge d’examiner les projets supérieurs à 100 millions d’euros. « Pour le reste, il faut déconcentrer les décisions », a annoncé le ministre de la santé. Ce sera le rôle des conférences régionales d’investissement en santé, où les collectivités locales et les élus seront présents.

Interrogé sur le sujet sensible des restructurations en cours, qui comprennent des suppressions de lits, à Nancy notamment, Olivier Véran a rappelé que l’ensemble de ces plans étaient « gelés » depuis la crise du Covid. Pour la suite, « on va faire du cas par cas », a assuré le ministre, assurant que certains plans « satisfont les élus et les soignants », quand d’autres « posent problème ».

Renforcer l’échelon départemental des ARS. C’est également dans un souci d’être au plus proche des territoires que le gouvernement envisage de faire évoluer les agences régionales de santé (ARS), qui se sont retrouvées en première ligne durant la crise sanitaire. Des moyens supplémentaires seront déployés pour renforcer leur présence à l’échelon du département, tandis que les élus locaux y verront leur place renforcée. « Un maire doit se sentir chez lui lorsqu’il franchit les portes d’une ARS », a dit Olivier Véran.

6 milliards d’investissement, notamment vers les Ehpad. Annoncé quelques jours plus tôt par le premier ministre, Jean Castex, l’investissement pour le système de santé va s’élever à 19 milliards d’euros. 13 milliards d’euros, déjà annoncés à l’automne, serviront à la reprise de la dette des hôpitaux. Les 6 milliards supplémentaires seront dirigés, sur cinq ans, vers les établissements médico-sociaux qui accueillent les personnes âgées, à hauteur de 2,1 milliards. 2,5 milliards sont fléchés vers le développement des projets liant médecine de ville et médecine hospitalière, 1,4 milliard pour le numérique.

« Ce plan va dans le bon sens, estime Frédéric Valletoux, de la FHF (Fédération hospitalière de France), structure qui représente les hôpitaux et établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics. Nous avons le sentiment d’avoir été enfin entendus, avec une prise de conscience intervenue avec la crise sanitaire. » L’investissement n’avait cessé de se réduire ces dernières années, avec des politiques de restrictions, pour atteindre une enveloppe de 4,5 milliards, explique-t-il : « Nous avons pris énormément de retard. »

Une gouvernance qui pourra s’adapter au niveau local. Sur le volet de la gouvernance des hôpitaux, décriée par une partie du corps médical comme trop administrative et n’accordant pas une place suffisante aux médecins, le gouvernement compte « corriger les excès de la loi HPST [Hôpitaux, patients, santé et territoire] » de 2010. Autrement dit, le ministre de la santé envisage une gouvernance davantage « participative ». L’échelon du service, dans les hôpitaux, devrait retrouver une place plus importante dans les décisions.

La « remédicalisation » des instances décisionnelles est également à l’ordre du jour, ainsi qu’une organisation interne aux hôpitaux qui pourra être adaptée selon la situation locale. « On va vers une approche différenciée selon les territoires, c’est un renversement par rapport à un système hypercentralisé », salue Frédéric Valletoux, de la FHF.

« C’est encore assez flou, estime pour sa part Olivier Milleron, du CIH. Nous espérons que la prise de décision sera plus collégiale, et que les paramédicaux et les usagers vont bien y avoir plus de place. »

Des expérimentations pour des modèles mixtes de financement. Sur un sujet sur lequel il était très attendu, le mode de financement de l’hôpital avec le système de la « tarification à l’activité » (T2A), dénoncé depuis des années pour avoir encouragé une course à l’acte bien éloignée du soin, Olivier Véran a avancé une option prudente. « Nous allons faire confiance et proposer aux établissements de santé et aux acteurs de la ville, sur un territoire, de faire évoluer le financement des activités vers un modèle mixte », a-t-il annoncé. Cela passera par des expérimentations dans lesquelles pourront s’engager ceux qui le souhaitent.

Le financement pourrait alors être fondé plus fortement sur un « socle populationnel », c’est-à-dire sur les besoins de la population d’un territoire, ainsi que sur des indicateurs de qualité. Reste à savoir quelle part prendrait chacun de ces modes de financement, ce que n’a pas précisé le ministre. Une enveloppe de 100 millions d’euros est envisagée pour accélérer cette réduction de la part de la T2A.

Une concertation sur les règles du budget de la santé. Autre rénovation en perspective : celle de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance-maladie), régulièrement brocardé pour son trop faible niveau et sa répartition inadéquate entre les différents secteurs du soin (hôpital, médecine de ville, etc.). Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie ouvrira des travaux préparatoires en 2020, suivis d’une concertation dont les effets sont attendus pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022.

Former plus de paramédicaux. Le gouvernement a également décidé de créer des places dans les formations paramédicales. Dès cette année, 2 000 places supplémentaires vont être ouvertes dans les IFSI (Institut de formation en soins infirmiers), soit une augmentation de 10 %. Les formations menant au métier d’aide-soignant doivent également voir leurs places doubler, d’ici à 2025. Pour permettre d’encadrer plus d’étudiants en santé en stage, 250 postes « d’enseignants universitaires » vont par ailleurs être créés, d’ici à cinq ans, pour des praticiens exerçant en ville comme à l’hôpital.

Camille Stromboni