Revenu de base - Salaire universel

Le Monde.fr : Droite, gauche : à chacun son revenu universel

Octobre 2016, par infosecusanté

Droite, gauche : à chacun son revenu universel
De Nathalie Kosciusko-Morizet à Benoît Hamon, l’idée du revenu de base chemine sous des formes différentes.
LE MONDE

19.10.2016

Par Patrick Roger

Revenu de base, allocation universelle, revenu inconditionnel, dividende universel… Sous des appellations diverses et variées, la thématique d’un revenu universel et individuel attribué à chacun sans condition de ressources refait son apparition dans le débat public. Elle a ses partisans de longue date et ses nouveaux convertis. Et, à vrai dire, elle recouvre à peu près autant de conceptions que d’adeptes.
Preuve que l’idée chemine, une mission d’information du Sénat, créée à l’initiative du groupe socialiste, a publié, mercredi 19 octobre, un volumineux rapport sur l’intérêt et les formes possibles d’un revenu de base. Se gardant de porter le concept aux nues, la mission préfère avancer de façon pragmatique. Elle plaide pour que soit menée dès à présent une expérimentation, dans des départements volontaires, de plusieurs modalités de revenu de base, sur une durée de trois ans.

Si l’idée est ancienne, sa réactivation part aussi du constat que, malgré un système de protection sociale étendu, une importante partie de la population – 14,1 %, soit 8,8 millions de personnes – vit en dessous du seuil de pauvreté et ne peut satisfaire ses besoins élémentaires. L’évolution des ressources technologiques, le développement de l’intelligence artificielle, l’expansion de nouvelles formes d’activité, les interrogations sur la soutenabilité de la croissance, autant de bouleversements à venir qui amènent à repenser les modèles économiques et sociaux.

Un instrument d’émancipation

Ces réflexions, si elles convergent vers l’idée d’un revenu versé inconditionnellement, reposent sur des approches différentes. Pour les libéraux, il s’agit principalement de supprimer une partie plus ou moins importante de la protection sociale (minima sociaux, allocations familiales, indemnités de chômage, RSA, prime d’activité). Si le périmètre peut varier selon les propositions, l’idée de base est de remplacer une partie des allocations sociales par le versement d’un revenu pour solde de tout compte. A chacun, ensuite, de faire avec. Dans cette optique, il s’agit avant tout de libérer l’individu de la tutelle de l’Etat.

D’autres sensibilités perçoivent avant tout le revenu de base comme un instrument d’émancipation, un moyen de subsistance garanti permettant de ne pas être dépendant du travail, dans une société qui n’a pas les moyens d’en proposer à tous. Chacun pourrait ainsi être libre de choisir son mode de vie, soit en continuant à travailler ou en se consacrant à d’autres activités non rémunérées. Ses défenseurs le conçoivent comme un moyen de réappropriation des gains de productivité issus de la robotisation. C’est notamment la conception défendue par le Mouvement français pour un revenu de base et par de nombreux écologistes ou militants de la décroissance. Elle trouve aussi des partisans dans la mouvance autonome, comme le Collectif d’agitation pour un revenu garanti optimal (Cargo).

Une approche libérale

Parmi les tenants de la première approche, le think tank Génération libre, s’inspirant des travaux de l’économiste libéral Milton Friedman dans les années 1960, propose la version la plus aboutie. Ses promoteurs, Gaspard Koenig et Marc de Basquiat, ont baptisé leur revenu « liber ». Celui-ci, qui pourrait être de 450 euros par adulte et de 225 euros par enfant, serait financé par une « libertaxe », qu’ils fixent à 23 % de l’ensemble des revenus. Si la différence entre les deux est négative, le contribuable reçoit la somme équivalente. Si elle est positive, elle constitue sa contribution nette à la collectivité. Le liber se substituerait notamment au RSA, à la prime d’activité, aux allocations familiales et aux bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux. La libertaxe remplacerait l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la CSG. Ils imaginent ainsi qu’un quart de la population paierait un impôt positif et qu’un peu plus de la moitié serait récipiendaire nette, pour le reste l’opération étant neutre.

Ces propositions ont visiblement inspiré quelques-uns des candidats à la primaire de la droite. Nathalie Kosciusko-Morizet, par exemple, propose un revenu de base non conditionné, fusionnant notamment le RSA, l’allocation de solidarité spécifique et la prime d’activité, d’un montant de 470 euros. Dans le même temps, chacun devrait s’acquitter d’un impôt sur le revenu proportionnel, une flat tax.

Autre candidat à la primaire, Jean-Frédéric Poisson, représentant du Parti chrétien-démocrate, suggère l’instauration d’un revenu universel en remplacement de toutes les allocations sociales et familiales, « avec l’objectif de diminuer l’ensemble de ces dépenses de 10 % sans perte de pouvoir d’achat pour les familles ». S’il n’a pas réussi à se qualifier pour la primaire, Frédéric Lefebvre (LR) proposait quant à lui un revenu universel de 800 euros, sans conditions de ressources, qui se substituerait à toutes les aides sociales existantes.

Quel rapport au travail ?

De l’autre côté du champ politique, le candidat à la primaire socialiste et ancien ministre Benoît Hamon (PS) plaide, lui, pour la mise en place d’« un revenu universel d’existence, versé à toute personne majeure et d’un montant qui pourrait commencer par être au niveau du RSA socle, puis ensuite être à 750 euros par personne ». Plus récemment, le premier ministre, Manuel Valls, s’est aussi dit ouvert à l’idée d’explorer la piste d’un revenu universel, « une allocation unique, ouverte à tous, à partir de 18 ans, pour remplacer la dizaine de minima sociaux existants ».

Quel montant ? Quels destinataires ? Quels effets redistributifs ? Et quel financement ? Dans une note publiée en mai, la Fondation Jean-Jaurès, proche du PS, étudie plusieurs hypothèses, retenant comme scénario central un niveau de 750 euros, majoré de 1,5 pour les retraités (soit 1 125 euros). Les bénéficiaires de moins de 18 ans en percevraient 30 % jusqu’à 15 ans et 50 % entre 15 et 18 ans. Celui-ci serait financé par une réorientation de l’ensemble de l’assiette de financement de la protection sociale, y compris les cotisations vieillesse et maladie, ainsi que par une partie des exonérations patronales pour un montant total de 604 milliards d’euros.
Au-delà de l’aspect minimum vital de subsistance, le revenu de base soulève néanmoins de nombreuses questions, en termes de rapport au travail et, plus globalement, à la collectivité. Certains y voient un risque accru d’individualisation et d’affaiblissement des ressorts collectifs.