Revenu de base - Salaire universel

Alter Eco + : Faut-il mettre en place un revenu de base ?

Octobre 2016, par infosecusanté

Faut-il mettre en place un revenu de base ?

Guillaume Duval

|25/10/2016

En cet automne, la question d’un revenu de base (ou d’existence ou encore universel selon les préférences sémantiques) est au cœur du débat public. Le député socialiste des Yvelines Benoît Hamon en a fait la mesure phare de sa candidature à la primaire socialiste, tandis qu’en face Nathalie Kosciusko-Morizet a choisi d’en faire elle aussi un marqueur dans la primaire de la droite. Les sénateurs de droite Jean-Marie Vanlerenberghe (UDI) et de gauche Daniel Percheron (socialiste) viennent de leur côté de présenter un rapport sur le sujet. Plus concrètement encore, le département de la Gironde veut l’expérimenter en 2018, tandis que le Premier ministre Manuel Valls s’est lui aussi emparé de l’idée en septembre, suite à un rapport remis par Christophe Sirugue au printemps dernier. Et on ne compte plus les débats et écrits sur ce sujet tant dans la sphère citoyenne que chez les universitaires, comme par exemple la journée de travail que l’OFCE y a consacré le 13 octobre.

1/ UNE IDÉE ANCIENNE REMISE AU GOÛT DU JOUR

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour la plupart de ceux qui le défendent, il s’agit d’un revenu qui doit être universel, individuel et inconditionnel. Universel, c’est-à-dire versé à tous sans distinction. Individuel, car il ne doit pas tenir compte de la situation de famille des personnes, contrairement à la plupart des minima sociaux actuels. Et inconditionnel, parce que l’Etat ne doit rien exiger en contrepartie de son versement.

L’idée remonte à Thomas More, l’inventeur de l’Utopie au XVIe siècle

L’idée est ancienne. On en situe généralement l’origine chez Thomas More, l’inventeur de l’Utopie au XVIe siècle. Elle est reprise ensuite au cours des siècles suivants par le grand révolutionnaire franco-américain Thomas Paine au XVIIIe siècle ou encore plus près de nous par des gens aussi divers que le philosophe John Rawls, le pasteur Martin Luther King ou l’économiste ultralibéral Milton Friedman.

Mais ce qui donne autant d’attrait aujourd’hui à l’idée de revenu de base, en France comme dans beaucoup d’autres pays développés, c’est évidemment la profondeur de la crise que traversent nos économies depuis plus de quarante ans maintenant. Les systèmes sociaux hérités des Trente glorieuses ont en effet de sérieuses difficultés à faire face au développement de la pauvreté et des inégalités dans un contexte de chômage persistant. Mais comme souvent avec les idées qui soulèvent un enthousiasme quasi unanime à un moment donné, il faut y regarder de plus près…

2/ UN DIAGNOSTIC ERRONÉ

Beaucoup de ceux qui défendent le revenu universel, le font au nom de l’idée que le plein-emploi serait devenu un objectif inatteignable et que les progrès des technologies numériques vont nécessairement aggraver encore le chômage à l’avenir. Le revenu universel serait donc un moyen de s’adapter à une situation durable où seule une fraction de la population en âge de travailler produirait des richesses et occuperait un emploi rémunéré (qu’il soit indépendant ou salarié). Le demi-siècle passé plaide certes en ce sens, mais il y a de bonnes raisons de penser que c’est surtout le recours persistant à des politiques économiques erronées, héritées du libéralisme de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, qui est à l’origine de ce fiasco. L’usage plus volontaire des politiques de réduction du temps de travail pourrait en particulier permettre de lutter plus efficacement contre le chômage de masse.

Ce n’est pas le rouleau compresseur de l’automatisation qui est à l’origine de nos difficultés actuelles

Ce n’est en tout cas pas le rouleau compresseur de l’automatisation qui est à l’origine de nos difficultés actuelles : au contraire, dans toutes les économies développées, les gains de productivité n’ont jamais été aussi limités que ces dernières années depuis la Seconde Guerre mondiale. Et pour l’avenir, si le numérique va, à n’en pas douter, bouleverser la plupart des activités et faire disparaître de nombreux emplois, il n’y a pas de raisons de considérer que cela devrait conduire à une aggravation du chômage global. Pas plus en tout cas qu’avec l’introduction des métiers à tisser mécaniques au XIXe siècle ou des chaînes de production au XXe.

S’il n’y a plus demain de travail humain rémunéré, alors il n’y a plus non plus de richesses monétaires à prélever et à répartir…

L’idée que les machines seraient capables de produire des richesses à notre place, richesses qu’on pourrait donc prélever et répartir sans difficulté vers ceux qui n’auraient plus d’emploi est une croyance fausse et dangereuse. C’est une illusion : seul le travail humain est capable de produire des richesses monétaires supplémentaires. Une machine ne fait que restituer dans les services et produits qu’elle contribue à produire, le travail humain qui a été nécessaire pour la produire elle-même. Autrement dit : s’il n’y a vraiment plus demain de travail humain rémunéré, alors il n’y a plus non plus de richesses monétaires à prélever et à répartir…

3/ LES AVANTAGES DU REVENU UNIVERSEL

Malgré cela, l’idée de revenu universel offre de nombreux avantages. Il permettrait tout d’abord de simplifier la tâche de l’Etat, qui n’aurait plus besoin de s’assurer que les personnes répondent bien à tel ou tel critère pour recevoir tel ou tel minimum social. Avec en contrepartie, et c’est encore plus important en termes de cohésion sociale, moins de stigmatisation et de contrôle bureaucratique pour les pauvres qui le reçoive. Pour que la protection sociale soit généreuse et efficace, il faut en effet toujours qu’elle soit universelle. Si les riches n’en bénéficient pas eux aussi, ils font toujours pression pour que les pauvres reçoivent moins et soient davantage contrôlés… Et ils obtiennent gain de cause.

Avec le revenu universel, un individu ne serait plus contraint d’accepter n’importe quel boulot mal payé avec des conditions de travail dégradantes

Le revenu universel exerce aussi une pression positive sur la qualité des emplois proposés : puisqu’il dispose d’un revenu de base inconditionnel, un individu n’est plus contraint d’accepter n’importe quel boulot mal payé avec des conditions de travail dégradantes. Cela oblige donc un pays à se positionner autrement que dans le low cost dans la division internationale du travail. Cet avantage rencontre cependant rapidement ses limites dans le contexte actuel de la mondialisation : si cette pression amène trop d’emplois à disparaître pour se localiser ailleurs, il n’y a plus suffisamment de richesses à répartir pour se payer le luxe d’un revenu universel… C’est déjà le reproche qu’on fait aujourd’hui au revenu minimum ou aux indemnités chômage.

4/ UN FINANCEMENT PROBLÉMATIQUE

Et c’est là qu’on rejoint la question délicate du financement de cette mesure et de ce que remplace le revenu universel. Un revenu universel à 500 euros par mois (le montant du RSA est actuellement de 535 euros par mois pour une personne seule sans enfant), représenterait en France 400 milliards d’euros par an, soit 18 % du PIB1. Si on veut placer la barre à 1 000 euros, on double la mise et il faudrait mobiliser pour cela 36 % du PIB…

Cette allocation pourrait certes remplacer plusieurs des prestations sociales existantes comme le RSA ou le minimum vieillesse même si cette fusion ne serait pas sans créer de nombreuses difficultés. C’est l’objet en particulier des réflexions du rapport Sirugue et des projets de Manuel Valls qui visent en réalité davantage à fusionner et simplifier les minima sociaux qu’à créer un véritable revenu universel. Mais l’ensemble de ces minima sociaux n’a jamais représenté que 23 milliards d’euros en 2013, 1,1 % du PIB…

On pourrait aussi en bonne logique amputer les indemnités versées aujourd’hui par l’assurance chômage ou les systèmes de retraites d’un montant correspondant. Mais on resterait encore très loin du compte car la question difficile concerne ceux qui ne reçoivent pas de prestations sociales de ce type, c’est-à-dire l’essentiel des 28 millions de Français qui occupent un emploi rémunéré. Que remplace pour eux ce revenu de base ?

Dans l’optique libérale d’un Milton Friedman, le revenu universel devait se substituer quasiment à l’ensemble de l’action publique

Il n’y a guère que deux possibilités. La première consiste en une réduction drastique des dépenses publiques par ailleurs. Dans l’optique libérale d’un Milton Friedman, le revenu universel devait se substituer quasiment à l’ensemble de l’action publique : on verse un montant à chacun et chacun se débrouille ensuite pour aller acheter des services d’éducation, de santé, de transport, de logement, etc. sur le marché auprès d’acteurs privés à but lucratif.

La seconde possibilité consiste à accroître d’autant les prélèvements via les impôts ou les cotisations sociales et donc réduire d’autant les salaires nets… Autrement dit, c’est l’Etat qui verserait désormais une bonne partie des salaires à la place des entreprises.

Quelle que soit l’option retenue, réduction drastique des autres dépenses publiques ou hausse correspondante des prélèvements obligatoires, le large consensus actuel autour du revenu de base risque fort de ne pas résister à un examen plus précis des conditions de sa mise en œuvre…