Environnement et facteurs dégradant la santé

Alternative économique - La fin du travail, hypothèse du projet de revenu universel, est très contestable

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Benoît Hamon fait une intéressante campagne. En particulier en se présentant comme un partisan du revenu universel ou revenu de base (RB par la suite). Je ne doute pas de la sincérité de ses convictions, mais l’hypothèse centrale qui fonde son projet, celle de la « fin du travail » (au sens de sa raréfaction) est très contestable s’agissant des prochaines décennies, et de surcroît peu compatible avec les exigences d’une transition écologique et sociale ambitieuse, qui est absolument vitale.

Voici un extrait d’un entretien de Benoît Hamon dans Le Monde du 4 janvier dernier (les majuscules sont de moi) :

« Je ne remets pas en cause l’importance du travail, mais je relativise sa place, CAR IL VA SE RAREFIER. Le numérique va bouleverser nos vies… SELON TOUTES LES ETUDES SERIEUSES, CE SONT DES CENTAINES DE MILLIERS D’EMPLOIS PEU OU PAS QUALIFIES QUI ONT COMMENCE A ETRE DETRUITS DANS LES ECONOMIES OCCIDENTALES. »

Ce diagnostic est fréquent, surtout parmi les partisans du RB. Les grands médias ont adoré relayer certaines estimations catastrophistes (pour l’emploi), mais tout cela est-il bien sérieux ? Je m’en suis déjà expliqué dans une série de billets sur « Le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions ».

Je résume. D’abord, des projections techno-pessimistes pour l’emploi, on a déjà connu cela et avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui : le rapport Nora/Minc de 1978, Rifkin et sa « fin du travail » en 1995, et le mythe de la « nouvelle économie » vers 2000. Dans tous les cas, ces prévisions ont été démenties par les faits. Je ne vois pas de raison de changer mes analyses passées (vous pouvez vous reporter au billet cité pour en savoir plus) avec tout ce ramdam récent sur les robots et le numérique dont on nous annonce qu’ils vont détruire 3 millions d’emplois en France dans les 10 ans qui viennent (La tribune du 27/10/14), voire… 18 millions en Allemagne « dans les prochaines décennies » soit pas moins de « 59% de la force de travail » !

POURQUOI CES ERREURS DE PREVISION ?

En quoi le raisonnement des Nora, Minc et Godet de l’époque est-il fautif, tout comme ceux de Rifkin et de nos prospectivistes d’aujourd’hui ? Voici trois biais d’analyse.

Premier biais : ils généralisent abusivement à des secteurs entiers des cas constatables sur des segments d’activités où, en effet, la « machine » remplace le travail humain.

Deuxième biais : ils raisonnent « toutes choses égales par ailleurs » sur le plan de la nature qualitative de la production de biens ou de services, en n’envisageant pas que, dans chaque secteur et dans l’économie, mais aussi pour nombre de métiers, le contenu de l’activité et de la production change fortement, se diversifie ou « s’enrichisse » en services nouveaux. Lorsqu’on en tient compte, le travail supprimé par la machine sur un segment peut (dans de nombreux cas que je cite dans mes billets) être plus que compensé par des activités nouvelles, ou bien tel métier dont on supposait qu’il allait disparaître peut voir son contenu transformé et les emplois correspondants maintenus. C’est pour cette raison que les prévisions périodiques de la DARES sur les métiers, autrement plus sérieuses, ne confirment pas du tout les tendances des prospectivistes médiatiques.

Troisième et dernier biais, le plus important. Ces prospectivistes font comme si le potentiel « révolutionnaire » qu’ils attribuent aux nouvelles technologies n’allait pas se heurter à des freins de toute sorte : freins humains du côté des travailleurs, des consommateurs ou des citoyens, freins économiques (le coût et la rentabilité des investissements dans les machines nouvelles), freins ou contraintes écologiques.

Voici juste un exemple (d’autres sont explicités dans mes billets sur le sujet). Il concerne les perspectives de la « silver économie » dans sa version techniciste à la Montebourg. J’y ai consacré un billet d’humour caustique en décembre 2013, « La silver economy, ou comment les vieux vont sauver la croissance » où j’écrivais : « Ces gens-là ont-ils jamais passé quelques heures avec de vrais retraité-e-s et personnes âgées pour tenter de comprendre ce qu’ils et elles attendent d’une vie digne et heureuse à la retraite et au grand âge, ou avec des associations d’aide à domicile et de gestion de lieux de vie dans une philosophie d’accompagnement humain et pas d’abord d’équipement techno ? … Dans ce domaine comme dans d’autres, des « low tech » et du temps de « care » seraient humainement bien supérieurs aux High Tech à la Montebourg, que je cite : « téléassistance active ou passive, géoassistance, vidéovigilance, télémédecine, chemin lumineux… ». Et cela créerait beaucoup d’emplois utiles et ayant du sens.

ROBOTS, NUMERIQUE ET ECOLOGIE

Dans aucun de ces discours, je n’ai vu la moindre allusion aux faits suivants : les robots et autres technologies semblables, c’est beaucoup d’énergie, beaucoup de matières premières et de minerais devenant rares, ce qui rendra impossible la généralisation de ces outils.
[…] la robotisation de la production est la forme extrême de l’industrialisation productiviste, et ses impacts écologiques tiennent largement au volume lui aussi croissant des matériaux et ressources transformés. On se heurte alors forcément à la raréfaction physique et à des coûts croissants à long terme.

Un exemple. Les robots ont commencé à se diffuser dans l’élevage, en particulier pour la traite. Il ne s’agit plus seulement des trayeuses électriques à l’ancienne, qui supposaient une intervention humaine, mais de vrais robots où les vaches laitières viennent elles-mêmes se positionner, le tout dans des fermes usines. […] Les articles sur la question ressemblent à des contes de fées. Tout se passe comme s’il n’y avait qu’un modèle d’agriculture viable : à grande ou très grande échelle. Comme si l’élevage des bovins était destiné à croître, comme si la quête de gains de productivité était une finalité indiscutable.

Mais, dans ce cas comme pour le commerce (traité dans un autre billet), et comme pour certains secteurs industriels, un avenir socialement et écologiquement soutenable est-il du côté des « usines à vendre », des « usines à vaches et à lait », à poulets, à porcs, à tomates, fraises ou maïs, et des gains de productivité à perte de vue ? Est-il du côté de la consommation croissante de viande, de lait, de voitures, de téléphones portables, de tout ?

Si l’on répond non à ces question, ce qui est mon cas, et ce qui devrait être celui de Benoît Hamon qui a le mérite de prendre ses distances avec le culte de la croissance, on pourrait presque en conclure que la plupart des robots et des automates n’ont pas d’intérêt pour la transition et qu’au contraire ils sont essentiellement des machines à faire de la croissance matérielle et à surexploiter encore plus la nature. Quitte à impulser des recherches et des innovations, il vaudrait mieux les orienter vers des gains de qualité de vie, de travail et de soutenabilité, vers les « low tech », vers l’agro-écologie et la permaculture, que vers des gains de productivité tous azimuts.

Qui plus est, cela pourrait contribuer à créer… des millions d’emplois ayant du sens.

UN MILLION D’EMPLOIS POUR LE CLIMAT EN CINQ ANS ?

Il faut donc résister à l’idée de la raréfaction inéluctable du travail, non pas d’abord pour des raisons idéologiques, au nom de la valeur travail, mais d’abord parce que pour réussir la transition écologique et sociale il va falloir beaucoup d’emplois de bonne qualité dans la période à venir. Les besoins sociaux légitimes sont légion, y compris dans les services du bien vivre, et la lutte contre le réchauffement climatique est urgente. Or elle n’a aucune chance de réussir si on n’y consacre pas des moyens financiers, matériels et humains très importants. C’est le sens d’un rapport inter-associatif qui vient juste d’être achevé et qui sera présenté à la presse le 12 janvier prochain sous le titre « Un million d’emplois pour le climat ». Il est cosigné notamment par Les Amis de la Terre, Attac, Alternatiba, le Réseau Action climat, la Confédération paysanne, Emmaüs, la Ligue des Droits de l’Homme, la FSU, Solidaires, le Collectif Roosevelt, etc.

Il faudrait l’envoyer à Benoît Hamon et au Mouvement Français pour un Revenu de Base. J’y reviendrai après sa publication.