Les complémentaires

Challenges : La vérité sur les dérapages des frais de gestion des complémentaires santé

Mars 2019, par infosecusanté

La vérité sur les dérapages des frais de gestion des complémentaires santé
Samedi 16 mars 2019

Les complémentaires sont accusées de laisser filer leurs coûts de gestion, au détriment des consommateurs. Ces accusations sont-elles justifiées ? 

Convoqués à l’Elysée en pleine crise des "gilets jaunes", le 18 décembre, les patrons des assureurs et mutuelles ne s’attendaient pas à se faire sermonner de la sorte. "Le président était en colère car sa mutuelle lui avait adressé un courrier l’informant que ses cotisations allaient augmenter, mais surtout que cette hausse était liée à la mise en oeuvre du reste à charge zéro", raconte l’un des participants à la réunion. A l’idée qu’on puisse saboter sa promesse de campagne, Emmanuel Macron riposte. "Au détour d’une phrase, il évoque la piste de faciliter la résiliation des mutuelles à tout moment [une proposition de loi portée par la majorité sera examinée le 27 mars, NDLR]", confie Jean-Paul Lacam, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance.

Et il fait dériver la discussion sur un sujet houleux : les frais de gestion des complémentaires santé, qui ont grimpé de 4,2 % par an en moyenne entre 2008 et 2017, selon la Drees, le service statistique du ministère de la Santé, pour atteindre 7,3 milliards d’euros (3,6 milliards d’euros pour les mutuelles, 2,6 milliards pour les sociétés d’assurance et 1 milliard pour les institutions de prévoyance). "Les frais de gestion ont augmenté deux fois plus vite que les dépenses de santé, qui progressent de 2-2,5% par an", déplore Mathieu Escot, responsable des études à l’UFC-Que choisir. Sur 100 euros de cotisations versées par l’assuré, 20 euros servent à couvrir ces frais de gestion et, si l’on ajoute les taxes (qui s’élèvent désormais à 14,07% sur les contrats de complémentaires santé) et la marge des organismes, à peine 70 euros lui reviennent sous forme de prestations. Ainsi lestée, selon l’association, la cotisation moyenne à une complémentaire santé s’élevait en 2017 à 688 euros par an, soit 47% de plus qu’en 2006 !

Dès que l’occasion se présente, l’exécutif vante à l’inverse les efforts de la Sécurité sociale, qui prend en charge 70 % des dépenses de santé (271,1 milliards d’euros en 2017) mais n’a vu ses frais de gestion (7,7 milliards d’euros) augmenter que de 0,5 % par an en moyenne depuis 2008. "Les coûts de gestion des complémentaires santé pourraient à ce rythme prochainement dépasser ceux des régimes de base de Sécurité sociale", prédit la Drees.

Porsche Cayenne

Une inflation difficile à justifier. "Le budget santé devient insupportable pour les ménages et, année après année, des scandales sur les dépenses des complémentaires éclatent", réagit l’économiste Frédéric Bizard, auteur du livre Complémentaires santé : le scandale ! (édition Dunod). Les administrateurs de la Macif ont augmenté de 62 % la rémunération du patron du groupe, à 260.000 euros bruts, en janvier, en pleine négociation salariale. Et les révélations du Canard enchaîné sur les administrateurs de la Matmut, dotés d’un Porsche Cayenne comme voiture de fonction, et sur le chèque de départ du patron d’Audiens (1,9 million brut) en 2018 ont suscité une vive polémique.

Les dépenses promotionnelles de ces organismes, notamment celles - éloignées de l’univers de la santé - de sponsoring sportif, sont aussi dans le viseur de l’exécutif. Equipe cycliste d’AG2R La Mondiale, courses à la voile de la Macif, et parrainage ("naming") de stades pour MMA, Allianz, Matmut ou Groupama : les mutuelles déboursent, chaque année, des millions d’euros dans ces contrats publicitaires. Au global, selon la Drees, les dépenses liées à l’acquisition de clientèle pèsent en moyenne pour près de 8% des cotisations perçues par les organismes (12% pour les assureurs, 6% pour les mutuelles et 5% pour les instituts de prévoyance).

In fine, ces frais d’acquisition de clientèle pèsent sur leurs tarifs de manière très inégale. En juin dernier, l’UFC-Que choisir a épluché les documents commerciaux et avis d’échéance de 29 organismes. En dessous de la moyenne, Humanis avec 13,5 % de frais de gestion dont 4,1 % de frais d’acquisition, la Maaf (16 et 4,4 %) et Mutuelle générale (16,3 et 5,5 %) maîtrisent leurs coûts. En revanche, ceux de Swiss Life (26 % de frais de gestion et 13,7 % d’acquisition), MMA (24,3 et 13 %) ou Axa (20,3 et 8,5 %) crèvent le plafond.

Coûteux intermédiaires

"D’une façon générale, les frais d’acquisition sont corrélés à la vivacité de la concurrence, ils augmentent quand le chiffre d’affaires des adhérents s’accroît", défend Bernard Spitz, président de la Fédération française de l’assurance, qui réfute les accusations de dérapage. "Leur hausse est faible, d’à peine 0,5 % depuis 2010." Depuis la généralisation de la complémentaire santé en entreprise en 2016 et avec l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs (banques, courtiers en assurance), les organismes se battent pour leurs parts de marché. "Ils n’hésitent plus à recourir à des intermédiaires, notamment des courtiers grossistes comme April ou Alptis, quitte à laisser filer leurs coûts de distribution", note Cyrille Chartier- Kastler, président du cabinet de conseil Facts & Figures. Sur les contrats individuels, les commissions aux intermédiaires peuvent fluctuer de 15 à 25 % du montant de la prime par an.

Selon les complémentaires, la comparaison avec l’Assurance maladie est biaisée. "Les frais de gestion dépendent du nombre de feuilles de soins traitées et non de leur montant", rappelle Thierry Beaudet, président de la Fédération nationale de la Mutualité française. Particularité tricolore, chaque acte de soins est doublement traité, par la Sécu d’un côté et les mutuelles de l’autre. Or, le coût médian du traitement d’une ligne d’acte par les complémentaires se situe autour de 50 centimes. "A cela s’ajoute l’avalanche de nouvelles réglementations qui nous obligent à investir constamment pour modifier nos garanties et mettre à jour nos systèmes informatiques", s’agace un responsable d’un groupe de prévoyance. Réforme des contrats responsables, Solvabilité 2 sur les réserves de fonds propres, règlement européen sur la protection des données… "Tout ceci a un coût."

"A côté, l’Assurance maladie, c’est General Motors !"

Reste que, selon Frédéric Bizard, les complémentaires ne sont pas assez efficaces en raison de leur "retard numérique". "A côté, l’Assurance maladie, c’est General Motors !" Pourtant, le marché de l’assurance-santé a été marqué par une vague de concentrations : depuis 2011, le nombre de ces acteurs a diminué de 30 à 40 chaque année. Il en reste environ 500, dont 20 se disputent la moitié du marché. Selon Pierre-Alain Boscher, managing director chez Optimind, ces fusions ont retardé les efforts d’informatisation : "Les acteurs ont concentré leurs efforts sur la relation client."

Surtout, ces créations de mastodontes (Groupe VYV, Malakoff Médéric Humanis, AG2R La Mondiale Matmut) n’ont pas produit les économies d’échelle escomptées. Un constat, tabou, se murmure : "On peut évidemment imaginer des économies sur les personnels, mais ce n’est pas dans l’ADN des mutuelles de faire des plans sociaux", confie un dirigeant de mutuelle qui, comme toute la profession, mise sur les départs en retraite massifs à venir. " Cela prendra du temps", lâche-t-il, pointant le double jeu des pouvoirs publics : "Ils dénoncent nos coûts mais ça les arrange bien qu’il n’y ait pas de vagues de licenciements."

Le tabou de la fusion avec la Sécu

Interpellé par un auditeur de France Inter, le 20 février, Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), a repris sa proposition de 2017 : fusionner mutuelles et Sécu pour créer une "assurance-maladie universelle" et faire, au passage, "6 milliards d’euros d’économies" sur les coûts de gestion du système de santé. "Ce sont des choses qu’il serait intéressant de revoir dans le grand débat", a-t-il lancé. L’idée n’entraîne pas les foules. "S’il y a des centaines d’acteurs en France, c’est parce qu’il existe des risques variés et qu’il faut des offres aussi variées, objecte Jean-Paul Lacam, du Centre technique des institutions de prévoyance. Le calcul des économies se focalise sur les frais de gestion, mais pas sur ce qu’on rapporte à l’Etat via la fiscalité." Pour l’économiste Brigitte Dormont, "économiser sur les frais de gestion est une des motivations. Mais il n’est pas réaliste de penser qu’une telle fusion peut se faire à court terme, compte tenu du nombre d’organismes et des centaines de milliers d’emplois en jeu".