Les complémentaires

Le Monde.fr : Les complémentaires santé envisagent des hausses de cotisations d’ampleur pour 2024

il y a 5 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les complémentaires santé envisagent des hausses de cotisations d’ampleur pour 2024

Entre les dépenses de santé qui s’envolent et les « transferts de charge » de l’Etat en leur direction, les organismes, qui redoutent les débats budgétaires à venir, menacent d’une hausse à venir de leur tarif. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale doit être examiné à l’Assemblée nationale d’ici à la fin octobre.

Par Camille Stromboni

Publié le 10/10/2023

C’est un épisode automnal désormais habituel entre l’Etat et les complémentaires santé, mais il s’annonce particulièrement tendu cette année. Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale a été dévoilé le 27 septembre et doit être examiné à l’Assemblée nationale d’ici à la fin octobre, les alertes montent déjà depuis plusieurs semaines dans les rangs des complémentaires santé.

Avec un même message : entre les dépenses de santé qui s’envolent et les « transferts de charge » de l’Etat en leur direction, la facture promet d’être sévère avec des augmentations de cotisations en vue « à deux chiffres », entend-on dans les rangs des organismes, qui sont en train d’effectuer leurs derniers arbitrages sur les tarifs de 2024.

Est-ce une manière de se prémunir d’une mesure gouvernementale à venir ? Le budget de la Sécu ne contient pas, à ce jour, de nouvelles mesures significatives en direction des complémentaires, mais tous les acteurs du secteur se souviennent de la « contribution exceptionnelle » demandée durant les années Covid, ou encore de la « contribution de solidarité » apparue au cours d’examen au Parlement, en 2022.

« Ce que nous ne maîtrisons pas, ce sont les débats budgétaires, tout peut en ressortir, y compris un amendement avec une nouvelle contribution, relève Séverine Salgado, directrice générale de la Mutualité française. Nous avons forcément des craintes parce que nous n’arrivons pas à voir dans le texte où sont les économies [3,5 milliards d’euros annoncés], ni comment l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie [fixé à + 3,2 %] pourrait être tenu… »

L’impact des revalorisations d’actes
Les organismes gardent en mémoire la demande d’Emmanuel Macron, en 2018, appelant avec insistance les organismes à faire preuve de « modération ». « Si l’exécutif veut nous mettre de nouveau la pression, ce serait vraiment hypocrite, attaque un membre d’une mutuelle qui préfère rester anonyme. On n’a plus de marge de manœuvre, le gouvernement le sait, on va devoir décider de fortes augmentations et ce n’est confortable pour personne, l’Etat doit assumer une responsabilité commune. » Du côté de l’exécutif, on reste silencieux face à ces augmentations d’ampleur annoncées pour 2024 par les complémentaires – jusqu’au ministère de la santé, qui refuse de s’exprimer.

Les organismes complémentaires mettent d’ores et déjà en avant, eux, les transferts de charges jugés « massifs » qu’ils vont devoir supporter : leurs dépenses vont augmenter de 1,3 milliard d’euros en 2024, selon la Mutualité française ; entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros selon Malakoff Humanis ; de plus de 1 milliard d’euros, selon France Assureurs, la Fédération française de l’assurance…

Pourquoi de tels montants ? Il y a d’abord l’impact des conventions signées ces derniers mois avec les différentes professions de santé (dentiste, kiné, sage-femme, règlement arbitral pour les médecins…), qui comprennent des revalorisations d’actes. Il y a surtout l’augmentation du ticket modérateur pris en charge par les complémentaires pour les soins bucco-dentaires, annoncée par le gouvernement en juin – passant de 30 % à 40 % – soit une enveloppe estimée à près de 500 millions d’euros.

« Il faut cesser d’agir par des mesures de rabot pour faire des économies de court terme », dénonce Eric Chenut, président de la Mutualité française. Dans une déclaration transmise à la commission des comptes de la Sécurité sociale, réunie le 29 septembre, sa fédération appelle à une « réforme structurelle de grande ampleur », alors que le « système de protection sociale est confronté à l’augmentation tendancielle des dépenses liées au vieillissement, au développement des maladies chroniques et au progrès médical ».

« On ne peut pas absorber les surcoûts indéfiniment »
Les dépenses de santé ont explosé en 2023, met-on aussi en avant dans les rangs des complémentaires. En premier lieu, avec la montée en puissance du dispositif du « 100 % santé », soit la prise en charge totale de certains soins visuels, dentaires et optiques.

« Nous sommes dans un rythme de progression radicalement différent de tout ce qu’on a pu connaître », avance Thomas Colin, directeur technique chez Malakoff Humanis. Selon une enquête portant sur les deux millions d’assurés du groupe privé, la consommation de santé devrait bondir de 7 % sur l’année 2023. « Du jamais-vu ; c’est colossal », souligne le responsable, qui rappelle que, avant la crise due au Covid-19, les progressions étaient entre 2 % et 3 % par an.

Tous les postes de soins augmentent, peut-on voir dans le document, qu’il s’agisse de l’hospitalisation, en particulier chez les plus âgés couverts par des contrats individuels, ou des soins de ville, avec un bond important sur l’optique et le dentaire, surtout dans les contrats collectifs qui concernent majoritairement les 20-60 ans. Les médecines dites « douces » (psychologie, ostéopathie), qui représentent une part minime des soins remboursés, s’envolent aussi.

Résultat : « Nous allons vers des augmentations tarifaires significatives », reconnaît le responsable, qui dit se situer dans certaines fourchettes « du marché », soit entre 8 % et 12,5 % pour les tarifs des contrats collectifs. Ces fourchettes « d’indexations tarifaires », établies dans une enquête menée par le cabinet d’actuariat Addactis, sont scrutées de toutes parts sur ce marché concurrentiel. La progression envisagée serait de 9 % à 11 % pour les contrats individuels. Soit des évolutions d’un niveau inédit, à entendre les acteurs du secteur. « Il n’y a pas d’argent magique, on ne peut pas absorber les surcoûts indéfiniment », se défend le responsable de Malakoff Humanis, tout en assurant que d’autres actions sont menées sur la prévention ou encore la lutte contre la fraude.

« Ces augmentations me semblent très déraisonnables »
L’argumentaire ne convainc pas pour autant chez les observateurs du monde de la protection sociale, où l’on ne manque pas d’épingler les frais de gestion supérieurs de plusieurs milliards d’euros chez ces organismes privés, par rapport à ceux de la Sécu. « Il faut que les complémentaires commencent par réduire leurs dépenses internes et fassent le ménage dans ce qu’elles choisissent de rembourser », étrille-t-on en coulisse.

Jusqu’à l’Assurance-maladie, où ces augmentations annoncées aux alentours de 10 %, font tiquer. « Cela me semble très déraisonnable, réagit le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie, Thomas Fatôme. Il existe bien des phénomènes conduisant à des augmentations de dépenses de santé, il y a un contexte d’inflation. Mais pourquoi ne regarder qu’une partie du sujet et ne pas tenir compte des “plus” comme des “moins” dans les dépenses : pourquoi ne pas intégrer les paramètres qui engendrent moins de dépenses pour les organismes complémentaires ? »

Et de citer pêle-mêle la part croissante des médicaments innovants intégralement pris en charge par l’Assurance-maladie ; la prise en charge de 300 000 à 400 000 personnes de plus par an en « affection longue durée », soit couvertes à 100 % par l’Assurance-maladie, ce qui représente autant de « tickets modérateurs » en moins pour les complémentaires ; ou encore la baisse de certains séjours hospitaliers, avec la progression de la chirurgie ambulatoire… « Depuis plusieurs années, il y a des mouvements très forts vers l’Assurance-maladie obligatoire, de plusieurs centaines de millions d’euros », reprend Thomas Fatôme.

Camille Stromboni