Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Huff-post - Deuxième vague Covid ? Celle des troubles mentaux inquiète les psy encore plus

Septembre 2020, par Info santé sécu social

S’il est encore difficile de cerner les conséquences psychologiques du coronavirus, psychiatres et psychologues émettent des hypothèses inquiétantes pour la suite de l’épidémie.

Par Marine Le Breton
10/09/2020

Les conséquences de l’épidémie de coronavirus, aussi multiples et diverses soient-elles, ne connaissent pas de frontières. Elles sont sanitaires, bien sûr, mais aussi économiques et sociales. Certains ont perdu leur emploi, d’autres ne peuvent plus rejoindre leur conjoint à l’étranger, beaucoup sont en deuil. D’autres conséquences, moins visibles à l’heure actuelle, pourraient s’ajouter à cette liste non exhaustive, et elles sont psychologiques et mentales.

L’annonce du confinement a d’abord semé un vent de panique. Celui-ci s’est déroulé, plus longuement que prévu, de manière plus ou moins agréable selon les individus, avant un déconfinement très progressif. Et puis les vacances d’été, très attendues, sont arrivées. Mais en ce début de septembre, l’épidémie semble repartir de plus belle, en parallèle d’une rentrée scolaire et d’une reprise du travail incertaines. Et c’est bien ce qui interroge les psychiatres, psychologues et psychothérapeutes.

“Les effets psychologiques sont parfois lents et retardés. Or l’épidémie continue, et, dans ce contexte de stress important, il risque d’y avoir des conséquences psychologiques”, affirme Antoine Pelissolo, psychiatre, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor, contacté par Le HuffPost.

Tous concernés

Comme ses collègues, il dit constater actuellement une hausse des demandes de rendez-vous, de la part de “personnes qui ne consultaient pas avant, parfois pour des choses très sérieuses”. Le constat est le même pour Gladys Mondière, psychologue et co-présidente de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) : “le mois d’août est d’habitude plus calme que les autres”. Cette fois-ci pourtant, il ne l’était pas. Même son de cloche, également, chez le psychologue clinicien Samuel Dock, co-auteur de “Le nouveau malaise dans la civilisation” : “nous constatons une augmentation des demandes de consultation, c’est radical”, souligne-t-il auprès du HuffPost.

Impossible de savoir si le Covid-19 est la raison ayant mené tous ces nouveaux patients dans un cabinet. D’autant plus qu’il n’existe pas de données nationales sur l’état psychologique des Français relatives à l’épidémie. Mais le constat est là. Et tout le monde, antécédents psychologiques ou non, est potentiellement concerné.

Pour Antoine Pelissolo, les patients en psychiatrie sont en effet loin d’être les seules victimes potentielles de la crise sanitaire. Même si leur situation pourrait s’aggraver : “ce sont des malades déjà en difficulté, dont la prise en charge a été compliquée par l’épidémie. À cela s’ajoute le facteur de stress en lui-même”, affirme-t-il. Pour l’ensemble de la population, les préoccupations ne sont pas en reste. “L’inquiétude, les perturbations concernent tout le monde, ceux qui ont des antécédents comme ceux qui n’en ont pas”, poursuit-il.

Gladys Mondière abonde en ce sens. “Des personnes comme vous et moi, qui allons plutôt bien, peuvent, en ces circonstances, être complètement bousculées dans leur fonctionnement. Même quelqu’un qui ‘va bien’, peut avoir du mal à gérer l’anxiété à long terme”, avance-t-elle.

Basculement des représentations
Pour expliquer l’importance capitale que peut prendre cette épidémie sur la santé mentale d’une population, Samuel Dock avance que le coronavirus a effectué un véritable basculement de toutes nos représentations, y compris de nos sociétés.

“Le corps est l’objet favori de notre contemporanéité, il faut en prendre soin à tout prix car on n’en a qu’un, qui est voué à vieillir, et il faut vivre à tout prix, car notre chance d’exister, c’est maintenant”, commence-t-il. Or le coronavirus “vient bouleverser ces représentations, il est la menace d’une maladie qui nous rappelle que notre corps est voué à disparaître et que nous ne sommes pas immortels”, poursuit-il.

Non seulement notre corps peut tomber malade à tout instant, mais nous devons le mouvoir dans un espace devenu “dangereux”. “L’autre est devenu un vecteur potentiel du virus, un objet susceptible de nous contaminer”, explique aussi Samuel Dock. “L’autre être humain, d’habitude le garant du pacte social, est devenu un antagoniste. Face à cette vulnérabilité, la première posture est de considérer l’étrangeté de notre interlocuteur. C’est une révolution totale”, poursuit-il.

Incertitude prolongée
À ce renversement de paradigme s’ajoute l’incertitude à laquelle nous sommes confrontés. “L’humain aime ce qui est tangible et compréhensible, son fonctionnement est fait de routines, or nous sommes dans une situation d’incertitude avec des informations successives et pas toujours cohérentes”, indique Gladys Mondière, faisant référence à l’évolution des recommandations sur le port du masque depuis le début de la crise. “Pas une personne, même un médecin, ne sait la conduite à tenir. Forcément, cela crée de l’anxiété”, ajoute-t-elle.

“L’incertitude est le moteur principal des troubles anxieux, qui peuvent dériver vers une dépression. Il s’agit d’un terreau très propice pour développer des troubles”, ajoute Antoine Pelissolo.

Avec ce sentiment d’être dépossédé de toutes les prises de décision et, plus généralement, de notre quotidien, les spécialistes de la santé mentale vont-ils devoir faire face à une vague de dépressions et autres troubles mentaux ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais ils envisagent une augmentation de troubles psychologiques. “Certaines personnes ont déjà des réactions très phobiques, d’autres vont faire des angoisses, des insomnies, voire des dépressions”, poursuit Samuel Dock.

Dépressions, stress post-traumatique
“Les vacances sont terminées, le travail reprend, ce qu’on peut envisager dans les semaines à venir, c’est l’équivalent d’un stress post-traumatique”, avance Gladys Mondière. La différence, avec le coronavirus, est sa durée. Par rapport à un événement traumatique -un attentat, par exemple-, une épidémie s’inscrit dans le temps. “C’est inédit en termes de longueur, mais il y aura beaucoup de similitudes ; des phobies, une peur de la contamination, un repli sur soi. Ce ne sont bien sûr que des hypothèses pour le moment”, tempère-t-elle.

En effet, nous n’avons que trop peu de recul sur la situation. Il est impossible à l’heure actuelle de savoir quelles conséquences la première vague de Covid-19 a pu avoir. Mais, pour Antoine Pelissolo, “tout ce qu’on connaît des temps de crise sociale prolongée va s’appliquer à cette situation. Même si certains mécanismes lui seront propres : l’incertitude sur la santé, le risque pour la vie, la sensation de menace”, explique-t-il. Plus de troubles psychiques et de dépressions sont donc à envisager, selon lui.

C’est sans compter les conséquences sociales, comme les pertes d’emploi, dont “on sait que ce sont des déclencheurs de pathologies”, ajoute le psychiatre.

Gladys Mondière craint aussi une série d’épuisements professionnels. “Le télétravail n’a pas été préparé, certains ne savent plus distinguer le professionnel du privé, et la reprise du travail a la rentrée se fait dans des conditions drastiques”, estime-t-elle.

Comment se préparer, et comment y faire face ? “Le système de santé mentale en psychiatrie est fragile. Nous sommes déjà très rapidement saturés”, s’inquiète Antoine Pelissolo. “Si les demandes de consultation venaient à monter en intensité, les réponses ne pourront pas suivre car nous sommes déjà en tension”.