Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Mediapart : La psychiatrie sarthoise en danger : la dégradation dramatique de l’offre de soins

Juillet 2023, par infosecusanté

Mediapart : La psychiatrie sarthoise en danger : la dégradation dramatique de l’offre de soins

La psychiatrie sarthoise en grand danger : les psychiatres dénoncent la dégradation dramatique de l’offre de soins. Dans cette tribune rédigée par les médecins de l’établissement psychiatrique du Mans, couvrant tout le territoire de la Sarthe, ceux-ci alertent sur la situation catastrophique de l’offre de soins, avec un risque majeur de crise sanitaire imminente.

Le 28 juillet 2023,

Nous, médecins psychiatres, médecins généralistes et pharmaciens de l’EPSM de la Sarthe, souhaitons alerter nos concitoyen·nes sur la situation dramatique de la psychiatrie en Sarthe.

Du fait de la pénurie médicale s’aggravant depuis plusieurs années sur notre département, et plus particulièrement concernant notre discipline, les soins psychiatriques publics de notre département sont soumis à une dégradation constante.

Pour tenter de limiter les conséquences pour les sarthoises et les sarthois, l’établissement, sous l’impulsion de la direction et des représentant·es des médecins, met en place des dispositifs innovants et cherche à développer tout ce qui pourrait être utile pour améliorer l’accès et la qualité des soins. Compte tenu de la situation de crise globale de toutes les filières de soins, cela est fait dans des temps records et sans temps médical supplémentaire.

La pénurie médicale est aujourd’hui à un niveau extrême, mettant en péril l’ensemble de nos dispositifs de soins, tant hospitaliers qu’ambulatoires (consultations, hôpital de jour, soins de réhabilitation psychosociale…) : notre établissement n’est plus à ce jour en mesure d’assurer correctement ses missions auprès des patients en besoin de soins psychiques.

Enfants, adolescents, adultes, personnes âgées… aucune filière n’est épargnée par la forte réduction des moyens humains.

L’établissement a ainsi été contraint de fermer trois unités d’hospitalisation en ce début d’été, ce qui correspond à 42 lits fermés, avec pour conséquence immédiate une restriction majeure d’accès aux soins hospitaliers qui actuellement sont exclusivement réservés aux patients hospitalisés sous contrainte (sans leur consentement). Concrètement, si vous avez une dépression sévère résistante aux traitements antidépresseurs en Sarthe en 2023 avec nécessité d’hospitalisation : ce n’est pas possible à l’EPSM de la Sarthe.

L’accès aux consultations médicales – mais aussi infirmières et psychologique – en centre médico-psychologique est de plus en plus restreint et les listes d’attente s’allongent. En psychiatrie adulte il faut attendre plusieurs mois pour une consultation médicale, et parfois jusqu’à deux années pour voir un·e psychologue. Quant à l’accueil infirmier, souhaitable dans les 24-48h, il faut dans certains centres médico-psychologiques patienter souvent jusqu’à plusieurs semaines. Nos confrères et consœurs de la médecine générale, en première ligne dans leurs cabinets, prennent en charge seul·es les situations complexes qui nécessitent des soins spécialisés. Les délais d’attente sont devenus tellement importants que les patients arrivent dans nos centres de consultation dans un état de santé psychique très dégradé, puisque pris en charge avec grand retard.

La situation est extrêmement grave.

Elle va continuer de s’aggraver davantage. Dans tous les hôpitaux généraux dotés de service d’urgences, des patients nécessitant des soins psychiatriques peuvent être conduits à patienter, quelques heures, voire quelques jours, en attente d’un lit en psychiatrie. Au Mans, il y a encore trois ans, l’exception était qu’un.e patient.e reste deux jours aux urgences en attendant un lit d’hospitalisation. Aujourd’hui, ce sont une dizaine de patient.e.s qui attendent leurs places, pour certain.e.s pendant plus d’une semaine, dans des conditions indignes. L’hôpital du Mans n’a pas eu le choix depuis plusieurs mois de voir se créer une zone dite « tampon ». Elle est nommée « patio ». Les patient.e.s restent en attente d’hospitalisation à l’EPSM et sont hébergé.e.s le temps qu’une place se libère. Vous imaginez-vous en détresse psychologique intense avec l’idée insupportable de n’avoir plus d’autre choix que de mourir, placé.e dans une salle commune avec sept lits séparés par de minces paravents, à attendre en désespoir une prise en charge hospitalière adaptée ? Ce lieu nous a tous révolté à son ouverture il y a un an. Aujourd’hui, tout le monde s’en accommode, faute de moyens, et la banalisation de ce traitement nous alarme.

Cette situation « d’entre-deux », entre les urgences et les soins psychiatriques hospitaliers, est intolérable sur le plan éthique et déontologique. A la demande des urgentistes du Centre Hospitalier du Mans, l’Agence Régionale de Santé s’est emparée de cette question pour tenter d’y remédier. Des propositions ont été travaillées avec les établissements de la région Pays de la Loire, sans succès jusqu’à présent. En parallèle, la fermeture des lits fait augmenter le nombre de patient.e.s qui restent sans solution, à attendre une place en hospitalisation dans des conditions dangereuses, chez eux ou dans d’autres services de soins qui sont inadaptés (au patio des urgences ou dans des services de médecine). Les personnes les plus dangereuses pour elles-mêmes ou pour les autres sont encore dans le service des urgences, parfois attachées pendant plusieurs jours. Celles qui s’opposent à une décision d’hospitalisation devenue nécessaire sont privées de leur liberté de manière totalement illégale. Aucune solution viable n’a été trouvée pour prendre en charge ces personnes.

Laisser perdurer cette situation sans alerter la population serait franchir une limite inacceptable : celle de la déshumanisation des soins psychiques pour les patient.e.s sarthois.e.s. Se laisser imposer un tel niveau de dégradation de l’accueil des personnes en souffrance serait accepter un niveau de maltraitance institutionnelle inenvisageable.

« Ne rien dire, c’est consentir », disait une de nos consœurs urgentiste en 2021, « ne rien dire, c’est consentir » reprenait il y a quelques semaines l’un de nos confrères, urgentiste au Mans.

Ne rien dire, ce serait accepter d’invisibiliser la carence gravissime de l’offre de soins psychiques en Sarthe.

Ne rien dire, ce serait plier devant les conditions indignes d’exercer la médecine.

Ne rien dire, ce serait bafouer nos valeurs, notre éthique, notre engagement auprès des patient.e.s.

Collectivement, les médecins et pharmaciens de l’EPSM de la Sarthe alertent sur le défaut de soins et l’inégalité d’accès aux soins qui s’amplifient partout en France et notamment en Sarthe. Nous demandons de toute urgence de l’aide auprès de l’agence régionale de santé, du ministère de la santé et du gouvernement et réclamons des solutions pérennes.

Liste des signataires :

Dr Jean-François AUVILLE, psychiatre
Dr Régis BEAUDOUIN, médecin généraliste
Dr Pauline BOUDIN, psychiatre
Dre Guylaine CHOPLAIN, psychiatre addictologue, cheffe du pôle addictologie
Dr Antoine DECOUVELAERE, psychiatre
Dre DEFAUX Hélène, médecin addictologue
Dre Fouzia EL MAHI, psychiatre
Dr Pascal GERAUD, psychiatre, chef du pôle hospitalisation adulte et psychiatrie de la personne âgée
Dr Thierry GODARD, psychiatre
Dr Matthieu GROS, psychiatre, chef du pôle ambulatoire
Dr Frédéric HASSAN, psychiatre
Dre Geneviève HENAULT, psychiatre, cheffe adjointe du pôle ambulatoire, Vice-présidente de CME
Dre Irène JAGOT-LACOUSSIERE, psychiatre
Dr Vincent LECLERE, psychiatre intérimaire
Dre Juliette LECLERT, pédopsychiatre
Dre Catherine MALBOS, pharmacienne
Dre Gabrièle MUGNIER, psychiatre, cheffe du pôle psychiatrie de l’urgence
Dre Sophie PARENT, psychiatre
Dre Violaine PIOT-GLORIA, pédopsychiatre, cheffe de pôle de psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Vice-présidente de CME
Dre Marianne PIRON-PRUNIER, pédopsychiatre, Présidente de CME
Dre Marie-Hélène POIRIER-GARCIA, pédopsychiatre
Dr Arthur RIPOLL, psychiatre, géronto-psychiatre