Le handicap

L’Humanité - HANDICAP. « CONDAMNÉ À VIVRE SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ »

Mai 2019, par Info santé sécu social

Mardi, 14 Mai, 2019
Alexandre Fache

Revenu, accessibilité, regard de la société… En fauteuil depuis vingt-cinq ans, Marc Colmar raconte la galère quotidienne des personnes handicapées, qui se mobilisent aujourd’hui.

Derrière ses lunettes d’un rouge éclatant, Marc Colmar dissimule de petits yeux rieurs. Affable et le cerveau toujours en alerte, il est rare que le sexagénaire résiste au plaisir de délivrer un bon mot. « Ça fait très longtemps que je m’intéresse à l’acceptation des personnes handicapées dans la société, alors que je ne l’étais pas moi-même… et que je n’avais pas l’intention de le devenir ! » raconte ainsi ce comédien de profession, qui se bat depuis quarante ans contre une sclérose en plaques, laquelle a fini par le rendre tétraplégique et le clouer en fauteuil. Une condition qui n’empêche pas ce militant de l’APF France Handicap de vivre pleinement sa vie et même, à l’occasion, de battre le pavé pour défendre ses droits comme ses convictions politiques, bien ancrées à gauche. Le 1er mai dernier, il s’est ainsi retrouvé « entre les gilets jaunes, les syndicalistes et les flics, au milieu des lacrymogènes ». Et ce mardi, il défilera à nouveau avec ses camarades de l’APF, sur son fauteuil électrique, lors du rassemblement organisé place de la République, à Paris, pour tenter de rappeler Emmanuel Macron à ses belles promesses de campagne sur le handicap (lire encadré ci-dessous).

« Le problème de fond, c’est le manque de reconnaissance sociale de la difficulté particulière, analyse – cette fois très sérieusement – Marc Colmar. Pour les pouvoirs publics et un peu aussi pour la société, soit on est complètement assisté, soit on ne l’est pas du tout. Mais il n’y a pas d’entre-deux. » Le corps rongé par une maladie apparue à la fin des années 1970, mais diagnostiquée en 1985, notre homme lutte pied à pied, au quotidien, pour conserver le maximum d’autonomie possible. « La médecin qui m’a expliqué à l’époque ce qu’était la sclérose en plaques m’a dit : “Cette maladie aura la tête que vous voudrez bien lui donner.” Depuis, je suis en apprentissage permanent. En résumé, ça fait quarante ans que j’apprends à être malade ! »

« La revalorisation de l’AAH, ça ne va pas changer ma vie »
En apparence, Marc Colmar donne le change et semble s’accommoder de son statut. Depuis 1992, il vit dans un logement social situé à quelques tours de roue de la porte d’Italie, où il a eu deux enfants qui poursuivent aujourd’hui leurs études. Il sort beaucoup, profite à fond de la gratuité des transports publics, milite, voit des amis, va au cinéma… Mais il suffit de gratter ce vernis un poil trop brillant pour faire ressortir des failles, communes à bien des personnes en situation de handicap. « On fait sans cesse des concessions, on avale en permanence des couleuvres, concède-t-il. Comme en politique au fond ! » Sur le pouvoir d’achat d’abord. Intermittent, collaborateur occasionnel de la Drôle Compagnie, une troupe de théâtre « mixte » (valides et non-valides), Marc ne cumule pas assez d’heures pour être indemnisé. « Je ne vis qu’avec l’allocation adulte handicapé (AAH), et donc à peine plus de 800 euros mensuels. Et même si j’arrivais à être indemnisé, ça ne se cumulerait pas avec mon allocation. Je suis donc condamné à vivre sous le seuil de pauvreté. » Quid de la revalorisation de l’AAH, promise par le chef de l’État, et qui doit porter son montant à 900 euros en novembre prochain ? « Franchement, ça ne va pas changer ma vie, soupire Marc. D’autant que, dès qu’on travaille un peu “trop”, on perd certains avantages sociaux liés à notre statut. Tout ça nous contraint à des calculs d’apothicaire très pénibles, qui nous pourrissent l’existence. »

Des calculs, Marc Colmar est obligé d’en faire à chaque déplacement, même le plus anodin. Calculs de trajectoire pour s’assurer que son fauteuil passera bien tel virage, telle porte, telle rampe… quand il y en a. Le seul trajet entre le seuil de son appartement et la sortie de son immeuble ressemble à bien des égards à un parcours du combattant, auquel beaucoup d’esprits forts auraient renoncé depuis longtemps. Grâce à une télécommande et une molette installées dans le prolongement de l’accoudoir gauche de son fauteuil, Marc Colmar pilote ses mouvements, de sa seule main encore partiellement valide. Appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur ne nécessite ainsi pas moins de trois ou quatre créneaux. Idem à l’intérieur du monte-charge. « Et arrivé en bas, je ne suis pas au bout de mes peines, puisqu’il y a une grille, juste après l’ascenseur. Je ne peux pas en même temps la déverrouiller, et la tirer. Je me retrouve prisonnier. » S’il est seul, Marc est contraint d’en appeler à ses voisins, ou au gardien de l’immeuble, pour obtenir sa « libération ». Et même de héler des passants afin de tirer la porte principale du bâtiment. Pourtant, l’homme est débrouillard et volontaire. C’est en transports publics qu’il se rendra à la manifestation de ce mardi. « Je prendrai sans doute le bus 47 jusqu’aux Gobelins, puis le 91 jusqu’à Bastille, et enfin le 20 pour République. Depuis le temps, je connais bien les lignes de bus, qui sont presque toutes accessibles, dans Paris intra-muros. » Le métro a, lui, plusieurs trains de retard. « La seule ligne accessible, c’est la 14, soit 3 % du réseau. Mais malheureusement, elle ne relie pas mon domicile à République, c’est dommage… »

Mécontents de l’action d’Emmanuel Macron à 89 %
Président depuis 2013 de l’Association des paralysés de France, rebaptisée l’an dernier APF France Handicap, Alain Rochon, lui-même en fauteuil, connaît bien ces barrières, visibles et invisibles, qui se dressent devant les personnes en situation de handicap. Allocation loin du seuil de pauvreté, retards massifs dans l’accessibilité des lieux publics, inégalités territoriales dans la compensation du handicap et « reste à charge » encore trop lourds imposés aux intéressés… Les raisons de la colère sont multiples et le militant n’était pas surpris de voir les sondés du dernier baromètre de l’APF se dire, la semaine dernière, « mécontents de l’action d’Emmanuel Macron » à 89 %. « On a cru aux promesses de campagne, à l’idée que le handicap serait une vraie priorité du gouvernement. Deux ans plus tard, la déception est d’autant plus forte », résume Alain Rochon. De fait, d’après le dernier rapport du Défenseur des droits, le handicap serait devenu l’an dernier, avec 23 % des saisines, la première cause de discrimination en France. Un constat d’échec que Marc Colmar et le président de l’APF se font fort de rappeler au président de la République, quelques semaines avant la conférence nationale du handicap, prévue d’ici à juillet.

Alexandre Fache